Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 16 octobre 2013 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 24 et 25 octobre 2013

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ordre du jour du prochain Conseil européen a été modifié à la demande du gouvernement français, afin qu’y soit examinée la réponse européenne aux défis posés par l’immigration clandestine, à la suite des drames de Lampedusa.

À l’occasion de ce Conseil européen, il est impératif, pour reprendre les termes de Laurent Fabius, que « les chefs d’État traduisent « leur indignation en faits et en actes ».

Le mois dernier, dans le cadre d’une délégation menée par la ministre des Français de l’étranger, Hélène Conway-Mouret, j’ai visité un camp de réfugiés syriens basé en Jordanie, le camp de Zaatari. À ce titre, je me dois de saluer le travail de notre mission militaire médicale au sein de ce camp.

La Jordanie, petit pays sans ressources naturelles, offre un asile à des centaines de milliers de réfugiés syriens, tandis que plusieurs milliers de familles jordaniennes hébergent des réfugiés jusque sur leur terrasse. Le Liban accueille quant à lui près de 4 millions de réfugiés syriens. Quelque 97 % des réfugiés syriens sont actuellement dans des pays limitrophes.

Que disent ces chiffres ?

Ces chiffres disent qu’une toute petite et même une infime minorité de migrants fait le choix périlleux de s’aventurer en mer, ou par les terres, pour trouver refuge en Europe. Les termes de « déferlantes » ou d’« afflux », que l’on retrouve trop souvent, sont bien outranciers au regard de la réalité démographique.

Ces chiffres disent que la réalité de l’asile se joue en dehors de l’Union européenne.

Ces chiffres, et notamment le nombre de Syriens en Jordanie et au Liban, disent que la solidarité n’est pas avant tout une question budgétaire.

Ces chiffres, 1 500 morts en mer en 2011, disent en outre qu’il faut renforcer nos modes d’intervention maritime pour secourir les naufragés.

Monsieur le ministre, l’Europe, première puissance économique du monde, est-elle devenue si inhumaine pour laisser sombrer en mer Méditerranée ses principes moraux ?

Au cours des dix dernières années, à coup de crises financières et économiques successives, le projet européen a perdu sa force mobilisatrice. L’Europe a déjà pour partie désespéré Billancourt. Il ne faudrait pas qu’elle désespère également ceux qui n’ont pas renoncé à un projet politique humaniste.

L’Europe ne doit pas laisser la Méditerranée, qui est le berceau de la civilisation abrahamique et l’épicentre des trois monothéismes, se transformer en cimetière des valeurs qui lui sont constitutives, et dont la première est de porter secours à ceux dont la vie est menacée.

L’émotion suscitée par les drames de Lampedusa ne parvient pas à se traduire en actes. En s’interdisant d’agir afin de ne pas alimenter électoralement les extrêmes, les États européens ne font rien d’autre que légitimer la xénophobie. Bientôt, si l’Europe persiste dans cette voie, si elle continue à se dresser en une forteresse où ses dirigeants observent à la longue-vue les migrants périr en mer, ses derniers supporters vont se faire porter pâles.

À l’occasion de ce Conseil européen, La France doit défendre une nouvelle approche européenne de l’immigration, notamment de l’immigration clandestine. Des outils existent d’ores et déjà, et la situation géopolitique de la rive sud de la Méditerranée doit inciter les États membres à adapter leur politique. La réponse développée durant les dix dernières années, essentiellement sécuritaire, a révélé non seulement ses failles techniques, mais aussi et surtout son angle mort moral.

Parmi les outils existants susceptibles de constituer une amorce de réponse au drame des réfugiés syriens figure la protection temporaire, sujet qui vient d’être évoqué.

Monsieur le ministre, vous vous en souvenez sans doute, en 2011, le groupe socialiste du Sénat a déposé une proposition de résolution tendant au déclenchement de la protection temporaire à destination des Afghans. Peut-on envisager la mise en place au niveau européen d’un programme spécifique permettant d’accueillir, pour une durée déterminée, un nombre prédéfini de réfugiés syriens, via le déclenchement de ce dispositif ?

Peut-on envisager, au niveau européen, d’harmoniser une procédure dans le cadre de l’octroi de visas humanitaires ?

Peut-on envisager de demander de nouveau, et en dépit des positions passées des autres États membres, une révision du règlement « Dublin II », afin de ne pas laisser la Grèce, Chypre, l’Italie, Malte et la Croatie supporter la majeure partie du coût de la demande d’asile ?

Quelles sont les options que la France compte défendre sur ce sujet lors du prochain Conseil européen ?

Sur le deuxième point à l’ordre du jour, l’agenda numérique, je souhaite plus précisément attirer l’attention du Gouvernement sur les questions liées à la fiscalité numérique, sujet auquel le Sénat attache une très grande importance. Les collègues qui m’ont précédée à cette tribune ont déjà abordé cette question.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication va prochainement se saisir, en deuxième lecture, de la proposition de loi visant à interdire, pour le livre, le cumul de la remise de 5 % et de la gratuité des frais de port. En d’autres termes, il s’agit de combattre les pratiques de dumping d’Amazon.

Si une telle mesure, que je soutiens, permettra de rétablir des règles du jeu plus équitables, il n’en demeure pas moins qu’Amazon, à l’instar d’autres sociétés déjà citées, a développé des pratiques d’optimisation fiscale lui permettant d’être particulièrement performante et compétitive. Les procédés que ces entreprises emploient sont, aux yeux de nos concitoyens, sont de plus en plus illégitimes. Ces firmes établissent leur siège social dans des États à moindre fiscalité tout en bénéficiant, en passagers clandestins, des infrastructures des pays où ils commercent. Bien sûr, ces pratiques sont légales, ou tout au moins très difficiles à sanctionner. Les États membres ne doivent pas pour autant laisser prospérer de tels usages, qui non seulement réduisent la base fiscale mais se posent en modèle pour toutes les autres sociétés à venir.

Tant que la pratique de l’optimisation fiscale ne sera pas mieux encadrée, le message sera clair : ne venez surtout pas domicilier vos entreprises en France !

Monsieur le ministre, pensez-vous qu’il soit possible d’aboutir à la définition européenne d’un « établissement stable virtuel » qui permettrait de territorialiser de nouveau l’impôt sur les bénéfices de ces multinationales ?

Pensez-vous qu’il soit possible de réduire le calendrier d’application de la directive TVA, notamment afin de mettre un terme aux distorsions de concurrence liées à ce dumping fiscal ?

Les défis de l’agenda numérique européen dépassent largement la seule question fiscale. Cela étant, l’élaboration d’un cadre fiscal commun me paraît essentielle à la bonne information des acteurs.

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