Mais c’est lent !
Je pense également au calendrier européen, avec une Commission et un Parlement en fin de mandat. Cependant, cet état de fait n’autorise pas le Conseil européen à céder à la passivité, voire à la résignation.
Le traité de Lisbonne a réformé le Conseil européen pour donner plus de continuité à son action. C’est pour cette raison qu’a été mise en place une présidence stable, chargée de préparer les décisions et de veiller à leur application. Quel que soit le contexte, le Conseil européen est à même d’agir. Il faut que cette capacité d’action se montre plus clairement, que les citoyens constatent que l’Union européenne est dirigée. Et c’est bien le rôle du Conseil européen que d’assurer la direction politique de l’Union : c’est ce que disent explicitement les traités.
Face à la montée des populismes, nous avons besoin d’un cap à l’échelon de l’Union européenne. Ce cap, le Président de la République l’a bien défini en parlant d’« intégration solidaire ».
Il nous faut poursuivre l’intégration, particulièrement au sein de la zone euro, où il faut parvenir à une gouvernance réellement commune, disposant des moyens nécessaires pour agir, notamment une capacité budgétaire autonome. Il faut parachever l’union bancaire, bâtir une communauté européenne de l’énergie, affirmer une politique industrielle européenne et une stratégie commune pour le numérique, car il n’est pas acceptable que l’Europe reste une « colonie du monde numérique», comme l’a dit notre collègue Catherine Morin-Desailly dans un récent rapport d’information remis au nom de la commission des affaires européennes.
Toutefois, cette intégration accrue n’est pas dissociable d’un approfondissement des solidarités. Tout le monde doit en tirer des bénéfices ; ceux-ci ne doivent pas être abusivement captés par ceux qui pratiquent le moins-disant social et le moins-disant fiscal. C’est pourquoi une intégration accrue sans une solidarité accrue ne peut pas être viable à long terme.
Or l’action de l’Union européenne reste encore malheureusement déséquilibrée. Au cours des dernières années, nous avons avancé dans l’intégration économique, financière et budgétaire, mais, en matière de solidarité, nous avons fait du surplace, voire, parfois, régressé.
Une amorce d’évolution s’est manifestée récemment, mais elle reste très timide. L’initiative pour l’emploi des jeunes n’est certes pas négligeable. Mais est-elle à la hauteur du problème ?
Sans atteindre les niveaux insupportables que j’ai mentionnés précédemment pour les pays du sud de l’Europe, le taux de chômage des jeunes est presque partout alarmant : il n’est inférieur à 10 % que dans deux pays de l’Union européenne : deux sur vingt-huit ! En moyenne, un jeune sur quatre dans l’Union européenne est au chômage. Face à cette réalité dramatique, peut-on se contenter d’un plan doté de 8 milliards d’euros sur sept ans pour l’ensemble de l’Union ?
Un même manque d’ambition se retrouve dans la récente communication de la Commission européenne sur « la dimension sociale de l’Union économique et monétaire ». Ce document prévoit certes d’intégrer des indicateurs sociaux dans la coordination des politiques, mais sans fixer aucun seuil entraînant une intervention de l’Union européenne. Il y a donc deux poids et deux mesures : d’un côté, des critères précis et des sanctions possibles pour ce qui concerne la coordination des politiques économiques et budgétaires et, de l’autre, rien de précis, ni de contraignant pour ce qui a trait à la dimension sociale.
Je ne reviendrai pas sur la question des travailleurs détachés, que nous venons d’aborder. Toutefois, celle-ci fait ressortir la nécessité d’établir des règles communes pour le salaire minimum et les garanties sociales essentielles. Bien sûr, l’Union européenne élargie est devenue beaucoup plus hétérogène. La convergence prendra donc du temps. Mais ce n’est pas une raison pour permettre que les règles du marché intérieur soient dévoyées.
C’est pourquoi il est nécessaire que le Conseil européen donne une direction claire et une impulsion forte ; c’est son rôle. Nous voyons le populisme gagner du terrain dans un grand nombre de pays membres. Si nos concitoyens voient l’Europe agir efficacement pour la croissance et l’emploi, s’ils la voient conjuguer intégration et solidarité, ils cesseront d’écouter les slogans simplistes.
Je ne peux conclure mon propos sans évoquer, à l’instar de nombreux collègues et de vous-même, monsieur le ministre, le drame de Lampedusa et les migrations clandestines qui se poursuivent dans cette zone.
Là également, il faut refuser de faire de l’Europe un bouc émissaire. Cependant, il faut aussi constater que la politique de l’immigration a été largement communautarisée depuis l’adoption du traité d’Amsterdam, voilà plus de quinze ans. Il n’y a donc pas d’obstacle juridique à ce que l’Union européenne ait une action plus efficace et plus solidaire face à ce problème lancinant. Nos partenaires italiens, maltais et grecs ont le sentiment d’être laissés un peu seuls en première ligne, alors même qu’on leur demande de redoubler de rigueur budgétaire. Voilà un autre domaine où la notion d’intégration solidaire devrait trouver toute sa portée.
J’en viens à ma conclusion.
Non, l’Europe n’est pas le problème, comme se plaisent à le répéter les populistes. Elle détient au contraire une grande partie de la solution. Encore faut-il qu’elle le montre concrètement dans son action au jour le jour. Jacques Delors a souvent comparé l’Europe à une bicyclette qui doit avancer pour tenir debout. C’est particulièrement vrai aujourd’hui : nous sommes au milieu d’une côte ; c’est le moment d’appuyer plus fort sur la pédale, et non pas de mettre le pied à terre. §