En attendant que la séance constitutive du Bundestag, le 22 octobre prochain, au cours de laquelle le président sera élu, les rencontres entre la CDU et le SPD se poursuivent.
Quelle que soit l’issue des négociations en cours, nous n’avons aucune inquiétude sur la permanence du couple franco-allemand et sa capacité à faire avancer l’Europe, non plus que sur la possibilité pour la France de faire valoir son point de vue auprès du nouveau gouvernement allemand.
Compte tenu du rôle moteur de nos deux pays dans la construction européenne, nous sommes appelés à continuer d’agir ensemble en tant que force de propositions pour l’avenir. Je vous rappelle que ce cheminement commun s’est traduit par la présentation de propositions, sur la base d’un texte de plusieurs pages cosigné par Angela Merkel et François Hollande le 30 mai dernier. Cela n’était pas si courant par le passé !
Ces propositions franco-allemandes pour faire avancer l’Europe ont été communiquées à l’ensemble des États de l’Union européenne. Monsieur Bizet, vous le voyez, nous faisons des propositions concrètes ensemble.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne se passe pas une semaine sans qu’un membre du Gouvernement ne soit en rapport avec son collègue allemand. Je ne prends aucun risque en l’affirmant, car, pour ma part, je suis en relation toutes les semaines avec mon homologue. Ainsi, j’aurai un contact avec lui demain, comme Michel Sapin a rencontré hier Ursula von der Leyen. En vérité, je ne crois pas que deux autres pays dans le monde entretiennent une relation aussi étroite et constante !
À propos du travail low cost et du salaire minimum, dont il a été question dans le débat, nos deux pays travaillent aujourd’hui de manière concrète ; du reste, cela n’a pas forcément été facile à faire admettre. La permanence et la qualité de notre relation nous permettent parfois de surmonter très rapidement nos divergences pour arriver à un accord.
M. Bizet a signalé des divergences entre l’Allemagne et la France. Nous avons pourtant suffisamment convergé pour rendre possible la plateforme commune du 30 mai dernier.
Or celle-ci comporte notamment des propositions au sujet de l’union bancaire, avec un calendrier de mise en œuvre et des caractéristiques de la résolution unique ; il n’a pas été facile de convaincre notre partenaire sur ce point. Elle affirme aussi la nécessité d’une convergence sociale, en mentionnant les salaires minimaux, ainsi que la nécessité de renforcer la dimension sociale de l’Union économique et monétaire. La plate-forme mentionne aussi la nécessité d’une convergence fiscale. Plus précisément, nous avons décidé de travailler à la définition d’une assiette commune harmonisée de l’impôt sur les sociétés. Vous voyez, monsieur Bizet, qu’il s’agit de projets concrets !
À ceux qui prétendent que la France n’écouterait pas les avis de la Commission européenne et agirait à sa guise, je signale que le commissaire Olli Rehn, dont chacun peut convenir qu’il n’est pas le plus prompt à soutenir le Gouvernement français, a jugé le projet de budget « responsable et prudent » et salué « les efforts réels entrepris pour remettre les finances publiques de la France sur une trajectoire soutenable et les décisions pour supprimer certains freins à la croissance et à l’emploi ». Telle est l’opinion de M. Olli Rehn sur le projet de loi de finances que vous examinerez dans quelques semaines. Ce jugement est aussi le fruit du travail mené par le Gouvernement depuis dix-huit mois ; je pense notamment à l’effort structurel de 1, 7 % du PIB en 2013, dont M. Collin a parlé en creux.
M. de Montesquiou a cité Schumpeter à propos de sa théorie de l’innovation. Certes, une innovation peut avoir pour effet d’accélérer l’obsolescence de certains biens ; mais Schumpeter affirme aussi que l’innovation, même dans sa fonction destructrice d’autres secteurs obsolètes, est en fait facteur de croissance. Nous considérons même que l’innovation est le facteur clé pour nous permettre d’élever notre potentiel de croissance et de créer des emplois.
C’est la raison pour laquelle nous poussons vraiment nos partenaires à adopter, les 24 et 25 octobre, une stratégie globale en faveur du numérique. De fait, une telle stratégie n’existe pas aujourd’hui ; tout le monde le reconnaît. Les différents gouvernements ont eu une approche « saucissonnée » du numérique, s’occupant un jour de la protection des données, un autre des aspects fiscaux, un autre encore du rôle des plateformes en matière d’Internet. Pour notre part, nous avons formulé une proposition globale.
J’ai été interpellé à propos de la fiscalité. Le modèle des grands groupes de vente par Internet, comme Amazon, doit être remis en cause, car l’évasion fiscale à laquelle se livrent ces grandes plateformes est inacceptable. La contribution du Sénat à cet égard a été prise en compte dans les propositions qui ont été soumises par la France. Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous défendons fermement ces idées au niveau européen.
Bref, nous voulons que l’ensemble des questions liées au numérique soient traitées de manière exhaustive, transversale et cohérente, dans le cadre d’une stratégie globale. Pour cela, il faut que le Conseil européen des 24 et 25 octobre commence à examiner, car il y faudra du temps, les aspects politiques, stratégiques, industriels, culturels et fiscaux de ce problème.
Il traitera aussi de la différence de taxation entre les biens physiques et les biens numériques. D’ailleurs, la Commission européenne prépare une révision de la directive TVA, pour que cette taxe soit payée là où le service est rendu, et non là où l’entreprise est installée.
Une question essentielle se pose s’agissant de l’érosion des bases fiscales des États, dans la mesure où nous cherchons les uns et les autres à optimiser nos recettes fiscales. Aussi, je me réjouis que la fin de l’année marque des avancées importantes sur cette question : les stratégies individuelles ou d’entreprise ne doivent plus permettre que, chaque année, des milliards d’euros échappent à la fiscalité dans l’Union européenne, en s’engouffrant dans les failles du système. Je pense notamment à certaines entreprises bien organisées dans le domaine du numérique.
Beaucoup ont fait référence aux initiatives en faveur des jeunes. M. Collin et M. le président de la commission des affaires européennes ont longuement évoqué le fonds de 6 milliards d’euros. On peut considérer que ce n’est pas suffisant. On peut aussi se dire que jamais, dans l’histoire de l’Union européenne, dans les budgets adoptés par le passé, il n’y a eu une telle expression de solidarité à l’égard de la jeunesse, dans le cadre de la lutte contre le chômage. Ces 6 milliards d’euros seront formellement approuvés, avec le cadre financier 2014-2020, par vos collègues du Parlement européen dans les prochaines semaines. Ils seront utilisés sur la période 2014-2015, pour soutenir, par effet de levier, les actions mises en place par les collectivités territoriales. En France, les sommes seront affectées à une douzaine de régions, là où le chômage touche plus de 25 % des jeunes.
Ne l’oublions pas, 2 milliards d’euros supplémentaires pourraient être disponibles après 2015. Au demeurant, je ne les appelle pas de mes vœux ! En effet, si le Parlement européen était amené à délibérer, en 2015, sur cette question, cela signifierait que le chômage structurel des jeunes aurait été auparavant insuffisamment combattu.
De plus, il faudrait ajouter à ce fonds tout l’argent issu du Fonds social européen, qui n’a pas été pris en compte.
Utilisons donc ce qui nous est octroyé et examinons comment ces crédits peuvent concourir à apporter aux jeunes des solutions de formation, d’apprentissage ou de retour vers l’emploi.
On me demande comment la « garantie jeunes » s’appliquera. Elle ciblera en priorité les jeunes qui ne sont ni étudiants, ni dans un emploi, ni en formation, et qui présentent des vulnérabilités. Ce programme commence ce mois-ci dans dix départements tests. Au bout de trois mois, soit en janvier prochain, dix autres départements seront ouverts à l’expérimentation. Enfin, la « garantie jeunes » sera généralisée sur l’ensemble du territoire national, et 300 000 jeunes pourront être concernés.
Monsieur Billout, les négociations sur les réseaux des services publics de l’emploi sont en cours au groupe des affaires sociales. La France y participe activement.
Ayant l’impression que vous considérez les recommandations de la Commission européenne comme des injonctions, je tiens à vous rassurer : les recommandations sont des avis, dont nous tenons compte. Nous avons en effet souhaité que la Commission analyse l’ensemble des politiques mises en place par les pays membres de l’Union européenne, afin d’en dégager un cheminement commun. Nous avons donc besoin de cette analyse, qui ne constitue à nos yeux qu’un avis.
De la même manière, l’entrée en vigueur du two-pack se traduira par un acte symbolique : un avis de la Commission européenne sur le budget de notre pays, dont vous débattrez souverainement. Cet avis viendra compléter celui du Haut Conseil des finances publiques, créé au niveau national. Bien évidemment, il ne se substituera pas à la décision de la représentation nationale, dont la légitimité vient du peuple.
J’évoquerai également, madame Khiari, quelques éléments de fiscalité. Le Conseil européen des 24 et 25 octobre traitera, je l’ai dit, la question du numérique de manière globale et transversale. Toutefois, une fiscalité propre aux activités numériques ne constitue pas, à nos yeux, la solution, même si nous devons adapter les cadres et outils existants au niveau national. D’autres membres du Gouvernement l’ont dit, il n’y aura pas en 2014 de nouvelles taxes sur le numérique. Nous devons travailler sur ce sujet aux niveaux européen et international. Je le répète, la réforme de la TVA fera peser sur les sociétés, à partir de 2015, une obligation en matière numérique : elles devront en effet s’acquitter du taux de TVA du pays où est installé l’acheteur du service, et non du territoire où elles ont intelligemment installé leur siège social. Ainsi, la présence d’Amazon au Luxembourg ne sera plus, désormais, un atout concurrentiel.
Par conséquent, la fiscalité sera bien à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. Nous travaillons à la mobilisation de nos partenaires sur cette question, pour laquelle l’unanimité est nécessaire.
Mme Khiari et MM. Sutour et Marc ont abordé les indicateurs sociaux et leur caractère obligatoire. La France a demandé que, dans le cadre de la détermination des politiques de l’Union économique et monétaire, les choix se fassent à l’avenir en continuant de se fonder sur des indicateurs financiers propres à chaque pays. Il est également important de disposer, à l’échelle de l’Union européenne, d’un éclairage sur la situation sociale de chaque pays, afin que les recommandations, les politiques de convergence, soient adaptées à la réalité sociale de chaque pays en matière de chômage et de formation des jeunes.
Ainsi, c’est pour éclairer la Commission sur les différences entre les pays que nous souhaitons instaurer un dialogue sur les indicateurs sociaux. Ceux-ci ne doivent être ni obligatoires ni opposables. Il s’agit non pas de créer un corset supplémentaire, mais de tenir compte de la réalité intrinsèque de chaque État. Finalement, il s’agit de construire des politiques plus intelligentes, car mieux adaptées à la réalité de chaque pays.
À cet égard, la proposition de la Commission du 2 octobre dernier nous semble un premier pas intéressant, car inédit, d’autant que son président, ayant peu d’appétence pour ces questions, n’en est pas à l’origine. C’est bien la France qui a fait cette demande.
Ces premiers indicateurs devront être complétés. Nous ferons des propositions après le Conseil européen des 24 et 25 octobre, afin que des décisions puissent être prises au mois de décembre prochain. Cela devrait nous permettre d’avancer dans le sens d’une convergence, l’interprétation des indicateurs par les États membres devant être homogène. S’ils devenaient des critères contraignants, leurs niveaux risqueraient d’être très bas, ce qui favoriserait plutôt une approche libérale.
Sur l’union bancaire, M. le rapporteur général du budget a raison : les stress tests constitueront un moment très important du premier semestre 2014. Il s’agit même d’une étape clé pour assainir durablement les banques, avant que la BCE n’assume pleinement ses fonctions de superviseur. Ces stress tests devront impérativement être crédibles, M. le rapporteur l’a appelé de ses vœux. En cas de difficultés, la France défend, avec d’autres partenaires européens, la possibilité d’avoir directement recours au mécanisme européen de stabilité pour recapitaliser les banques. En tout état de cause, en cas d’intervention directe des États auprès de leur banque, la Commission adaptera évidemment son jugement sur les finances publiques du pays concerné.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à la fin de cette longue intervention, j’ai le sentiment de ne pas avoir apporté toutes les réponses que vous attendiez. Selon moi, les questions qui sont posées permettront sans doute d’ouvrir un débat approfondi, à l’occasion notamment d’un grand rendez-vous, celui de mai 2014, au cours duquel nos concitoyens devront s’exprimer sur leur vision de l’Europe.
Je relève au moins un point positif de tout ce que j’ai entendu ici sur ce sujet, sur toutes les travées : personne ne remet en cause l’Europe.