Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, fidèle à sa tradition de défenseur en toutes circonstances des libertés publiques, le groupe du RDSE se réjouit naturellement de la tenue de ce débat sur un sujet qui préoccupe de plus en plus nos concitoyens.
Il s’en réjouit d’autant plus qu’il s’en était emparé très tôt au travers de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, déposée par notre ancienne collègue Anne-Marie Escoffier et par Yves Détraigne, votée par le Sénat le 23 mars 2010 mais toujours en attente d’examen à l’Assemblée nationale. Nous ne pouvons que répéter notre regret que nos collègues députés tardent tant à agir sur une problématique aussi fondamentale pour les libertés et évolutive du point de vue technologique.
Désormais, nous connaissons bien les termes de la problématique : comment concilier les progrès des technologies de l’information et leurs apports sur l’économie ou la vie quotidienne avec le respect des droits fondamentaux de la personne, à commencer par le droit au respect de la dignité humaine et à celui de la vie privée ?
À cette question cruciale, le droit n’a pas encore su apporter de réponse satisfaisante. Un récent sondage a ainsi montré que 80 % des Français ne croient pas à la confidentialité de leurs données personnelles sur Internet. Les faits leur donnent raison : l’expansion continue d’Internet a pour corollaire l’explosion des données rendues publiques hors de tout contrôle, qu’il s’agisse des informations stockées par les moteurs de recherche ou les cybermarchands, des moyens de paiement ou encore des dérives des réseaux sociaux.
L’actualité nous montre à quel point il est urgent d’agir, de l’affaire Snowden, qui a mis au jour les agissements tentaculaires de la National Security Agency, ou NSA, aux propensions des géants comme Google ou Facebook à monnayer à des fins commerciales les données personnelles qu’ils collectent – ouvertement ou pas, d’ailleurs. Je pense en particulier au conflit qui oppose Google à la CNIL et à ses équivalents européens, s’agissant des règles de confidentialité. Plus près de nous, il n’est désormais pas rare que les recruteurs fouillent la vie privée des candidats sur les réseaux sociaux ou que le harcèlement des plus jeunes sur Internet favorise la marginalisation ou pis encore.
Madame la ministre, la France avait su, en son temps, se montrer à la pointe du sujet en promulguant, dès 1978, la loi dite « informatique et libertés ». La décision politique, pour être efficace, ne peut pourtant aujourd’hui intervenir que dans un cadre au minimum européen.
De ce point de vue, nous nous félicitons du volontarisme qui semble enfin se faire jour, comme en témoigne, par exemple, la tenue la semaine dernière d’un Conseil « Justice et affaires intérieures » consacré à cette question. Nous approuvons ainsi la proposition de la mise en place d’un guichet unique au niveau européen, qui permettrait l’harmonisation de la surveillance des traitements de données personnelles, sous la réserve, bien sûr, que tous les États membres adoptent les mêmes standards de protection de la vie privée.
C’est d’ailleurs pour contourner cette éventuelle difficulté que la garde des sceaux, avec l’appui implicite de la CNIL, a récemment mis en avant l’idée d’une procédure de codécision qui associerait chaque autorité de contrôle nationale aux procédures concernant l’un de ses résidents. Cette mesure nous paraît conforme au but recherché, à savoir garantir aux citoyens comme aux entreprises un niveau de protection optimal.
Nous serons attentifs à l’évolution de cette question dès le prochain Conseil européen qui se tiendra les 24 et 25 octobre prochain, et dont un point de l’ordre du jour sera consacré au numérique.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous ne perdons pas de vue la question de fond, à savoir la création d’un véritable droit à l’oubli numérique.
Peu de personnes ont conscience que le moindre clic sur Internet est tracé, conservé, utilisé à des fins de profilage publicitaire, lorsque ce n’est pas à des fins policières, légales ou non. Le droit à l’oubli numérique demeure, à ce stade, une chimère. Nous militons ardemment pour son instauration, dans la lignée des propositions qu’avaient formulées nos collègues Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne. D'ailleurs, ce point concerne aussi bien les fichiers de données créés par les autorités que ceux qui sont créés par des entreprises.
La lutte contre l’insécurité sous toutes ses formes ne doit pas servir de prétexte à la banalisation des outils de surveillance de la population, sans que celle-ci en ait du reste toujours conscience.
La question du fichier des données des passagers des transports aériens – les « données PNR » – est l’illustration de ces dérives : sous couvert de renforcer la lutte antiterroriste, la Commission européenne, influencée par les États-Unis, souhaite contraindre les compagnies aériennes à transmettre aux gouvernements des vingt-sept États membres des informations personnelles sur les passagers entrant dans l’Union européenne ou en sortant, comme leur adresse, leur numéro de téléphone ou encore leur numéro de carte bancaire. C’est à bon droit que la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen a rejeté cette proposition, arguant de préoccupations quant à la conformité de cette dernière aux droits fondamentaux de la personne.
Dans le même registre, la vidéosurveillance a été benoîtement renommée « vidéoprotection », tandis que la création de fichiers a atteint un rythme quasiment industriel, qui donne le tournis à la CNIL.
Dans tous les cas, la conservation des données et le détournement de leur usage constituent une question sensible sur laquelle notre pays n’est pas exempt de reproches : je songe, par exemple, aux données du fichier automatisé des empreintes digitales, qui peuvent être conservées vingt-cinq ans en dehors de toute condamnation et ont valu à la France une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, le 18 avril dernier, pour atteinte disproportionnée au droit à la vie privée.
Mes chers collègues, pour notre part, nous plaidons pour une sensibilisation aux dangers de la vie numérique dès le plus jeune âge, afin que les enfants deviennent, demain, des citoyens numériques informés et responsables. Faire de l’éducation au numérique une grande cause nationale pour l’année 2014, comme le soutient la CNIL, nous paraît essentiel dans notre société démocratique en mutation constante, où l’ignorance numérique produit de véritables ravages et aggrave la fracture entre citoyens. Le groupe du RDSE apporte son soutien à cette initiative et souhaite, madame la ministre, que le Gouvernement fasse de même. §