Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous est proposé ce matin atteste l'attention constante que porte le Sénat aux questions liées à la protection des données personnelles et à l'évolution de la réglementation numérique, ce dont je me félicite.
Ce débat s'inscrit dans la perspective de l'adoption d'un règlement européen sur le sujet, texte dont on peut regretter qu’il tarde un peu à être adopté même si, naturellement, notre attention porte d'abord sur son contenu et sur les protections que cette réglementation pourra comporter.
En la matière, je note que notre Commission nationale de l'informatique et des libertés est en pointe. Elle aura besoin du soutien actif du Gouvernement dans son expression sur ces différentes questions.
Mais, plutôt que de m'interroger, comme de nombreux collègues l'ont fait avant moi, sur le contenu de cette négociation et de cette réglementation, je voudrais insister sur le type de société que nous voulons. Car tel est bien l'enjeu de fond qui ne saurait être masqué par nos débats : quelles sont les valeurs que nous tentons de promouvoir dans la construction d'une société où le numérique tiendra une place croissante ?
La première observation que je formulerai – non pour « casser l'ambiance », mais seulement pour attirer l'attention sur les préoccupations qui doivent être les nôtres –, c'est que, si le développement du numérique recèle évidemment des chances considérables – y compris pour les citoyens, et même dans le domaine des libertés –, il comporte aussi de très nombreuses menaces pour nos libertés individuelles, si nous ne prenons pas garde.
Aujourd'hui, l'interconnexion généralisée que permet internet est utilisée par les entreprises, exploitée pour les gouvernements et favorisée par nos concitoyens au travers des réseaux sociaux. Il suffit d'énoncer les menaces qui en découlent pour éveiller notre vigilance...
On a tendance à présenter ces évolutions comme positives ; je pense plutôt qu’elles sont neutres, et qu’elles peuvent devenir négatives si notre attention se relâche.
Je ferai allusion, par exemple, à ce que l'on désigne, dans ce langage caractéristique tout imprégné d’anglo-saxon, le Big data, c'est-à-dire cette masse de données que les entreprises peuvent désormais exploiter pratiquement sans limites, soit qu’elles se les procurent directement auprès de leurs clients, soit qu’elles les obtiennent par d'autres détours, notamment via les réseaux sociaux, parfois sans le consentement direct des personnes concernées.
Ce phénomène permet non seulement de développer des stratégies de marketing, ce qui est en soi acceptable, mais aussi d'établir le profil des clients et d'atteindre à une connaissance assez profonde de l'état de l'opinion d'une personne au regard de ses achats, voire de son état de santé, ce qui ne peut être accepté sans que l'on ne se pose certaines questions au préalable.
Dois-je évoquer, à ce propos, le sujet délicat de l'Open data, cette ouverture des données publiques à l'ensemble des citoyens ? Le principe n’en est pas contestable : il s'agit d'accroître encore la transparence en permettant à chaque citoyen de contrôler directement, par la consultation de ses données détenues par les administrations, la manière dont elles fonctionnent et les bilans dont elles disposent.
Mais la mise en place de ce dispositif, très fortement encouragée aujourd'hui, se fait sans aucune évaluation préalable des conséquences éventuelles sur la vie privée, car on présuppose que ces risques n’existent pas, au lieu de les anticiper et de tenter de les évaluer.
Dois-je aussi évoquer les problèmes posés par la biométrie et le fait que l'on est de plus en plus souvent confronté à ce type de contrôle qui utilise un élément du corps humain ou un prolongement du corps humain…