Intervention de Gaëtan Gorce

Réunion du 17 octobre 2013 à 9h30
Débat sur la protection des données personnelles

Photo de Gaëtan GorceGaëtan Gorce :

Je suis frappé d’observer que certains, des techniciens, défendent avec une certaine ardeur, qui n’est pas celle des néophytes, le développement du numérique en expliquant que nous devons reconsidérer la notion de « vie privée » au regard de ce développement, plutôt que de limiter cette technologie au regard de l'idée que nous nous faisons de la vie privée.

Naturellement, ce processus est également favorisé, pour une part, par le comportement de nos concitoyens. L'individu est devenu l'axe de l'organisation sociale ; les réseaux sociaux et la possibilité que nous avons de communiquer en nous exposant à la vue des autres nous donnent encore plus d'importance et nous incitent à livrer sur nous-mêmes des informations qui en disent trop, même si, à un moment donné, nous pouvons avoir le sentiment qu’elles servent à nous valoriser dans une société où, d'une façon générale, l'information et la communication sont devenues déterminantes.

Si, cependant, nous ne devons pas protéger les personnes contre elles-mêmes, nous devons réaffirmer un principe, et le faire dans notre droit.

En effet, nous sommes confrontés à la difficulté de définir la notion de « respect de la vie privée » – cette part d'intimité que nous devons protéger, qui ne doit être connue que de nous-mêmes et de notre famille, ce « misérable petit tas de secrets » dont parle un philosophe, qui ne mérite d’être connu que de nous-mêmes…

Cette vie privée, nous ne disposons pas aujourd'hui des moyens juridiques suffisants pour la protéger, car la notion de « respect de la vie privée », affirmée dans son principe général, n’est jamais définie, y compris par rapport aux enjeux du numérique. Il serait temps que nous nous en saisissions et que nous fassions de cette préoccupation un des centres de notre activité législative.

Une proposition existe, au Sénat, des textes y font référence – la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notre code civil, le projet de règlement européen –, mais il est temps de rappeler ce que nous pourrions considérer comme étant l'ordre public en la matière, c'est-à-dire ce à quoi il n’est pas possible de porter atteinte, qu’il s'agisse de la santé, des opinions et de bien d'autres domaines sur la définition desquels nous devrions travailler, dans l'intérêt même de nos concitoyens.

La deuxième question est celle de savoir si nous serons capables – cela a été évoqué par Simon Sutour et Yves Détraigne – de recouvrer la maîtrise de ces évolutions technologiques. Nous devrons, en effet, nous garder de certaines dérives régulièrement constatées.

La première de ces dérives est une foi naïve dans les bienfaits de la technologie. Lorsque je suis intervenu sur les questions de l'Open data – l'ouverture des données –, j’ai été frappé par le déferlement de critiques qui m'ont été adressées au motif que je remettais en cause l'évolution de la technologie et ses bienfaits naturels. Comme si la technologie pouvait être, en elle-même, bonne – ou mauvaise, ce que je ne prétends pas non plus. Je dis simplement qu’elle doit être soumise au droit, c'est-à-dire aux valeurs de notre société.

Cela suppose aussi que nous sachions nous défier d'une sorte d'économisme primaire, autre dérive possible. En effet, on a très souvent tendance à aborder ces questions selon des points de vue certes d'importance - l'avenir industriel, technologique et économique de l'Europe et de la France, nos activités en la matière -, mais en oubliant que ces données doivent toujours rester subordonnées à d'autres préoccupations, celles qui se rapportent au type de société que nous voulons construire.

Madame la ministre, j’ai noté que vous n’échappiez pas tout à fait à ces tentations d’économisme à travers les déclarations qui étaient encore récemment les vôtres devant la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, où vous avez indiqué qu’il ne faudrait pas que nous appliquions trop de contraintes aux entreprises européennes, alors que celles qui sont en dehors du continent européen en subissent moins. Notre préoccupation serait-elle d’abord économique, avant d’être juridique et politique ? Je souhaite que nous inversions cet ordre des choses dans notre approche de ces sujets.

Troisième et dernière question : serons-nous également capables de mettre de l’ordre, sur le plan international, dans un droit qui reste diffus ? Le comportement des États-Unis, notamment à travers la fameuse loi FISA – Foreign Intelligence Surveillance Act –, qui permet aux autorités américaines d’exiger des entreprises la communication de données, y compris provenant de citoyens européens, sans que ces entreprises puissent le révéler, puisque la loi le leur interdit, et sans que l’on sache ni pour quelle finalité, ni pour quel fonctionnaire, ni pour quelle durée, un tel comportement donc est insupportable et nous devrions le dénoncer.

De ce point de vue, madame la ministre, je regrette que le Gouvernement soit resté d’une expression si prudente dans l’affaire Snowden. Soit nous savons des choses sur cette affaire qui nous incitent à cette prudence, et il faut l’expliquer ; soit nous considérons au contraire que M. Snowden a mis le doigt sur une menace essentielle pour l’avenir de nos libertés, et alors nous devons la dénoncer et dire au gouvernement américain, dans le cadre des négociations qui s’ouvrent, qu’il n’est pas question de l’accepter.

Nous pouvons évidemment reporter de quelques jours un rendez-vous sur une négociation transatlantique, mais, au vu de l’ampleur des sujets, il me semble que nous devrions indiquer que ces pratiques sont contraires aux conceptions que nous nous faisons de l’avenir de nos sociétés, que nous ne pouvons y consentir et qu’elles posent un problème politique de fond.

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