C'est effectivement un progrès.
Ce bilan est rassurant, car les récentes crises, en particulier celle de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, ont eu pour principal mérite de nous conduire à nous doter d'un dispositif efficace, fruit de la loi novatrice de 1998 qui, en dissociant « la double mission », confiait la gestion des risques à plusieurs ministères et leur évaluation à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA.
En sachant asseoir rapidement sa crédibilité, l'AFSSA a validé la qualité de notre système de contrôle et de surveillance de sécurité des aliments, qui fait aujourd'hui l'objet d'un large consensus.
Le bilan est rassurant, car les traumatismes passés ont fait de la sécurité alimentaire l'une des préoccupations essentielles des Français, dont la vigilance s'est nettement accrue ces dernières années.
Ce constant encourageant une fois effectué, l'optimisme béat n'est pas de mise.
Difficiles à identifier, d'origine parfois mal connue, empruntant les voies détournées de frontières poreuses et de législations étrangères plus laxistes que la nôtre, de nouveaux dangers sont là, qui rendent notre environnement alimentaire de plus en plus incertain.
Le dogme de la barrière des espèces, longtemps rassurant, n'est plus qu'une utopie. Cette certitude, déjà ébranlée par les maladies comme la tuberculose, la rage ou la brucellose, a définitivement volé en éclats lors de l'apparition de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Du fait de l'intensification des échanges résultant de la mondialisation, 20 % des produits alimentaires que nous consommons viennent de l'étranger, dont une part non négligeable provient de pays où les normes sanitaires ne sont pas les mêmes que les nôtres et où, par exemple, l'utilisation d'antibiotiques n'est pas contrôlée.
A cet égard, on peut s'interroger sur l'utilisation, même à dose raisonnable, d'antibiotiques dans l'alimentation animale, avec des « effets discrets », que je qualifierais plutôt d'incertains.
En résumé, plusieurs crises, toutes gérées dans l'urgence, nous ont fait prendre conscience de l'ampleur des menaces et nous ont permis d'améliorer notre dispositif de veille, de gestion et de lutte, voire de traitement médical.
Indéniablement, nos outils d'évaluation, de surveillance et d'action ont été renforcés au cours de ces dernières années.
Pourtant, sans jamais négliger aucun de ces aspects, il est essentiel de compléter notre arsenal de sécurité sanitaire par une vraie culture de la prévention.
La prévention, c'est tout d'abord, pour une large part, le contrôle. C'est aussi l'éducation des consommateurs et en particulier des jeunes consommateurs.
En ce qui concerne les contrôles, point essentiel eu égard à ce que je viens de dire sur l'ouverture de nos frontières, vous comprendrez que je souhaite replacer mon propos à un niveau qui me semble déterminant, celui de l'Europe, dont la multiplication des postes d'entrée de denrées alimentaires doit être soulignée. Je rappelle que l'Europe compte plus de 800 points d'entrée, contre 20 aux Etats-Unis. Il est également légitime de soulever la question des contrôles effectués à nos propres frontières.
Si, au terme de sept années de négociations, il convient enfin de saluer l'entrée en vigueur de la réglementation européenne sur la sécurité sanitaire - le « paquet » sanitaire - avec, en particulier, l'obligation de la traçabilité des aliments dans les Etats membres, comment, avec l'élargissement récent de l'Union européenne, répondre au défi que constitue l'harmonisation des normes, normes qui varient déjà considérablement entre anciens pays membres, s'agissant de la salmonelle ou du taux de dioxine, par exemple ?
Plus concrètement, est-il normal que des viandes provenant de Chine avec de faux étiquetages, portant le nom d'entreprises réputées, pénètrent en Europe par l'Estonie ?
L'Autorité européenne de sécurité des aliments, l'AESA, est, en théorie, dotée d'un champ d'investigation très large, mais quels sont ses pouvoirs réels, alors que la remontée des informations ne dépend que de la bonne volonté des États membres ?
Monsieur le ministre, comment l'Agence vétérinaire européenne peut-elle, avec un effectif d'une petite centaine d'inspecteurs, mener à bien sa mission au sein de l'Union, avec - excusez-moi de le répéter, mais c'est essentiel - de nouveaux États membres qui présentent des frontières vulnérables et des législations parfois quelque peu élastiques ?
Quant aux contrôles effectués sur notre territoire, que dire de leur nature ? Sont-ils faits sur bordereaux ou par un contrôle physique ?
Ne pouvons-nous nous fixer comme objectif de réduire le nombre de points d'importation aux seuls postes douaniers capables de procéder à de vrais contrôles et de former les contrôleurs français à intervenir et à opérer des contrôles chez nos voisins, dans des conditions qui restent à définir ?
Force est de reconnaître que la France comme l'Europe sont d'une très grande naïveté au regard de la réalité du monde.
La crédibilité de notre système de veille passe par un renforcement des moyens notoirement insuffisants affectés aux contrôles. À cet égard, la diversité des acteurs rendant difficile la production de données fiables, il serait intéressant, monsieur le ministre, que nous puissions disposer de statistiques plus précises. Il est nécessairement possible de développer de meilleures coordinations.
Prévenir, c'est contrôler, mais c'est aussi éduquer et former. Nous le voyons actuellement avec la crise de la grippe aviaire : un écho planétaire, source de fantasmes, a fait oublier que l'on élimine tout risque avec une cuisson des volailles à 70 degrés.
Par ailleurs, l'éducation du consommateur passe aussi par l'utilisation des réfrigérateurs individuels, sur lesquels il y aurait beaucoup à dire : citons à cet égard le respect de l'hygiène ou de la « chaîne du froid », par exemple. Nous pouvons éviter ces risques.
Pour ce faire, nous pouvons notamment nous adresser aux jeunes. Passionnés de consommation au sens large, de qualité de la consommation, les jeunes constituent un public motivé et réceptif.
Comme l'éducation civique ou la sécurité routière, la sensibilisation à la sécurité sanitaire doit pouvoir faire l'objet d'un enseignement spécifique.
L'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, l'INPES, a vu son champ d'intervention s'ouvrir à la sécurité sanitaire après la canicule. Pourtant, si son budget est indéniablement important, ses moyens humains le sont moins, et il est à craindre que la grippe aviaire n'en absorbe prochainement la plus grande partie.
Il y a là pourtant là matière à réflexion, monsieur le ministre. Je voudrais que vous m'indiquiez ce que vous pensez de la possibilité de développer des partenariats plus étroits entre l'INPES et l'éducation nationale. Que penseriez-vous de la création d'un portail Internetconsacré exclusivement à la sécurité sanitaire, où chacun pourrait trouver l'information dont il a besoin ?
En conclusion, il faut être conscient du fait que, compte tenu de l'évolution permanente des risques qui menacent nos sociétés, la sécurité alimentaire peut toujours être battue en brèche.
Dans un tel contexte, il apparaît au moins aussi important d'apprendre à adapter une attitude à un danger que d'en connaître tous les aléas.
En matière de sécurité alimentaire, comme en beaucoup d'autres domaines, la connaissance est nécessaire ; la pédagogie est génératrice de réactions adaptées.
Souhaitant, monsieur le ministre, que vous acceptiez de vous inspirer de ces quelques pistes de réflexion au service d'un enjeu de taille qu'est la mise en oeuvre d'une stratégie véritable de la sécurité sanitaire, je voterai, avec mon groupe, les crédits de cette mission.