Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1977, la France prenait les premières mesures de précaution concernant l'amiante. C'était quarante-six ans après le Royaume-Uni, trente et un ans après les Etats-Unis et treize ans après la conférence internationale de New York qui a dressé la liste exhaustive des risques liés à ce matériau. Il a fallu attendre encore vingt ans pour que notre pays en interdise totalement l'usage.
Les industriels ont fini par trouver une solution de remplacement, mais, aujourd'hui, ce sont les usagers et les professionnels qui paient des années d'aveuglement en subissant les ravages qui en découlent en termes de santé.
Après l'amiante, il y a eu l'hormone de croissance, le plomb, le sang contaminé, les farines animales : autant de drames qui ont fondamentalement bouleversé les comportements et ont réduit le niveau général d'acceptation du risque.
Nos concitoyens ont ainsi exprimé de nouvelles exigences dans les domaines de la sécurité alimentaire, de l'environnement et des produits de santé.
Sous l'impulsion du Sénat, notamment, la création, à la fin des années 1990, de l'Institut de veille sanitaire, l'InVS, de l'AFSSAPS, de l'AFSSA, puis, quelques années plus tard, de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale et du travail, l'AFSSET, et de l'Agence de la biomédecine, l'ABM, répondait à cette nouvelle préoccupation et a incontestablement permis de réaliser des avancées.
Cependant, quelques années après la création de ces agences de sécurité sanitaire, des lacunes ou des zones d'ombre demeurent. À cet égard, on pense en particulier aux milliers de produits chimiques utilisés dans l'industrie et mis sur le marché, qu'un projet communautaire tend à réglementer.
Seulement 3 % des 150 000 produits chimiques commercialisés ont fait l'objet d'une évaluation quant à leur incidence sur la santé et l'environnement ! Jusqu'à présent, la France, qui possède la deuxième industrie chimique d'Europe, n'a mobilisé que quatre toxicologues pour lancer l'évaluation de 150 substances jugées prioritaires.
Comme le soulignait le professeur Marcel Goldberg devant la mission d'information sur l'amiante, il existe pourtant plusieurs douzaines de produits cancérigènes qui sont quotidiennement utilisés dans l'industrie, voire dans notre cuisine ou notre salle de bain ; le professeur Goldberg citait notamment l'arsenic, le nickel, le chrome, le benzène ou les ionisants.
Certes, lorsque ces produits font l'objet d'une utilisation contrôlée et encadrée, notamment en termes de confinement et de limitation de l'exposition, les risques diminuent. Mais le problème est de savoir si, à tout moment, l'usage qui en est fait met totalement à l'abri les consommateurs, les utilisateurs et les salariés.
Le projet REACH, adopté le 17 novembre dernier par le Parlement européen à l'issue d'une longue bataille, a pour objet d'instaurer, sur onze ans, un système d'enregistrement de quelque 30 000 substances fabriquées ou importées dans l'Union européenne pour des quantités dépassant une tonne par an. Ce texte impose aux industries chimiques de tester les produits qu'elles mettent sur le marché, de démontrer leur innocuité pour la santé publique et, s'ils s'avèrent dangereux, de les remplacer par d'autres.
Si l'on en croit les experts bruxellois, avec ce projet, 50 milliards d'euros pourraient être économisés sur les dépenses de santé dans les trente ans à venir. Ce coût correspond aux cancers, aux maladies dégénératives, aux allergies que l'on évitera en connaissant mieux et en contrôlant les substances chimiques que l'industrie répand dans la nature.
Il semble néanmoins que la bataille autour de ce texte ne soit pas terminée. Un conseil extraordinaire a été programmé pour le 13 décembre, afin de parvenir à un accord politique. Mais les Allemands demandent une révision à la baisse de la version votée en première lecture par le Parlement européen, notamment pour ce qui concerne l'autorisation limitée des substances dangereuses et leur substitution obligatoire, points sur lesquels les partisans de l'environnement ont enregistré une victoire.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelle est la position de la France sur ce dossier et quelles sont les chances d'aboutir à un accord avant la fin de l'année ?
En réalité, ce problème révèle plus largement l'insuffisance des connaissances sur l'exposition aux risques.
Il me paraît indispensable de mener à la fois une veille scientifique sur les phénomènes émergents, qui sont prévisibles, et une veille prospective pluridisciplinaire sur les risques non identifiés. Il semble que ce soit le coeur de métier de l'InVS. La loi relative à la politique de santé publique lui assigne en effet la mission de « détecter de manière prospective les facteurs de risque susceptibles de modifier ou d'altérer la santé de la population ou de certaines de ses composantes, de manière soudaine ou diffuse ». Mais l'InVS a-t-il les moyens de cette mission ?
À en croire le directeur général et certains membres du comité scientifique, ce n'est pas le cas. L'insuffisance de moyens budgétaires conduit l'institut à concentrer son action sur certaines priorités, ce qui est exactement l'inverse d'une veille.
Par exemple, le réchauffement climatique n'a pas été considéré comme un risque imminent, ce qui explique l'absence de l'InVS au moment de la crise de la canicule de 2003.
Un certain nombre de domaines restent d'ailleurs à explorer. J'aimerais, monsieur le ministre, que vous m'apportiez des précisions, par exemple, sur le contrôle de l'ionisation des aliments. La France se distingue par ses dérogations qui étendent la libre exploitation de cette technique à quatorze produits, alors que l'Europe ne le permet que sur les aromates et les condiments. Qu'en est-il ? Qui est en charge de ces problèmes ? Je souhaiterais obtenir une réponse claire sur ce point.
La mission sanitaire doit aussi se préparer à l'arrivée de nouvelles techniques de production, dont les OGM, et de nouvelles technologies comme les nanosciences.
L'évolution accélérée des réalités mondiales exige maintenant que l'ensemble du dispositif de sécurité sanitaire français, mais aussi européen, puisse faire face efficacement aux problèmes émergents.
Par ailleurs, l'État doit avoir une parole forte sur les grandes questions qui agitent notre société, qu'il s'agisse d'accidents climatiques et environnementaux ou de l'usage des médicaments.
Enfin, la difficile question du positionnement de l'expertise dans le domaine des médicaments doit être soulevée, sachant qu'elle se pose au niveau mondial.
Je pense que nos concitoyens attendent de l'Etat l'exercice plein et entier de cette mission, par essence régalienne : la protection de la santé. À cet égard, il reste encore, monsieur le ministre, un long chemin à parcourir.