Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sécurité sanitaire dans toutes ses composantes est au coeur de toute politique de santé publique et constitue l'une des missions régaliennes de l'Etat, ainsi que cela vient d'être rappelé et comme le précise fort opportunément, dans son article 2, la loi du 9 août 2004. Or je constate qu'un peu plus d'un an après le vote de cette loi le budget consacré à cette mission ne donne pas à l'État les moyens d'exercer cette responsabilité régalienne.
La nouvelle présentation budgétaire que nous inaugurons cette année en application de la LOLF du 1er août 2001, malgré le progrès qu'elle est censée apporter dans la visualisation des programmes et des actions, n'en pèche pas moins par certaines insuffisances, ce que Mme le rapporteur spécial a très justement relevé tout à l'heure, me dispensant d'y revenir.
Le budget de la mission, en faisant apparaître une diminution inquiétante, de plus de 10 %, du volume de la dotation consacrée à la sécurité sanitaire, déjà trop faible au regard des enjeux de la période, prouve, s'il en était besoin, que l'Etat se dérobe à ses obligations au profit d'institutions ou d'établissements dont ce n'est pas la vocation, telles l'assurance maladie ou l'industrie pharmaceutique.
C'est la raison pour laquelle le mode d'organisation et de fonctionnement des agences se caractérise plus par un désengagement de la puissance publique que par un renforcement de ses moyens d'action.
Les agences sont en effet confrontées aujourd'hui à une diminution des crédits qui leur sont affectés, et le recours au fonds de roulement, pour pallier cette carence, ne saurait devenir la règle. Cette pratique, qui a tendance à se banaliser, masque en réalité des dysfonctionnements que l'Etat ne cherche ni à connaître ni à réduire, car ils lui permettent de diminuer le montant de ses participations.
Ainsi le mode de financement de l'AFSSAPS en fait un organe d'expertise largement dépendant de l'industrie pharmaceutique puisqu'elle est financée à plus de 80 % par les diverses taxes provenant des laboratoires. La subvention de l'Etat, de 18, 2 millions d'euros cette année, est en diminution de plus de 2, 5 millions d'euros pour l'année 2006 : elle ne sera que de 16, 62 millions d'euros, dont 3, 1 millions pour les missions de veille, d'expertise et d'alerte, dans un contexte où les affaires récentes, celle du Vioxx notamment, devraient pourtant conduire à un renforcement de ses moyens.
Il est préoccupant de constater que cette diminution de l'implication de l'Etat dans le financement de l'agence est présentée comme l'indice d'une bonne gestion. Ainsi notre collègue Richard Mallié, rapporteur spécial à l'Assemblée nationale, a-t-il considéré que l'exercice 2005 était « marqué par la poursuite d'une recherche de ressources propres », à savoir les taxes diverses acquittées au bénéfice de l'AFSSAPS par les laboratoires pharmaceutiques, ajoutant : « Ces ressources permettent de diminuer la subvention. »
Une telle logique pourrait conduire l'AFSSAPS à rendre les autorisations de mise sur le marché plus attractives afin d'en augmenter le nombre, au risque de porter atteinte à la qualité de l'expertise et, par voie de conséquence, à la sécurité d'emploi de médicaments mis trop rapidement et en trop grand nombre sur le marché.
On est bien loin des préoccupations exprimées dans le rapport des quatre inspections générales de 2004, où l'on pouvait lire ceci : « Pour l'AFSSAPS, cette part varie considérablement, de 8 % à 40 % sur la période, au rythme des régulations budgétaires et des augmentations des tarifs de redevance. Le niveau de 8 % » - c'était celui de 2003 - « est sans doute, en tendance, excessivement bas, sauf à installer l'idée que l'AFSSAPS a plus de comptes à rendre à l'industrie qui la finance qu'à l'Etat. »
Ne sommes-nous pas déjà dans ce cas de figure ?
On relèvera d'ailleurs que ces agences n'ont toujours pas signé de conventions d'objectifs et de moyens, contrairement aux recommandations de la Cour des comptes dans son rapport d'activité de 2004, lacune largement imputable à une carence des autorités de tutelle.
Cette situation est d'autant plus préoccupante que l'ensemble de ces agences fait l'objet de sévères critiques quant à la qualité et à l'indépendance de l'expertise dispensée. Osons le dire, la France n'a pas su ou voulu relever le défi, en matière de sécurité sanitaire, d'une expertise publique forte. C'est particulièrement vrai pour l'AFSSAPS, qui est largement organisée autour d'une expertise externe, dont l'indépendance est loin d'être prouvée. Le rapport de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques établi par notre collègue Claude Saunier est très éclairant à cet égard.
Comment ne pas être inquiet à la lecture du fichier informatisé des déclarations d'intérêts des experts de l'AFSSAPS, quand on sait que plus de 10 % d'entre eux ne se sont pas pliés à cette obligation et que ce manquement n'a fait l'objet ni de sanctions ni même de remarques de la part de la direction de cette agence, laquelle fait preuve à cet égard d'un laxisme coupable, laissant en friche la cellule de veille déontologique après le départ du magistrat qui l'animait ?
J'ajoute que cette même direction tolère que le président et le vice-président de la commission d'autorisation de mise sur le marché des médicaments aient des liens d'intérêts avec pas moins de huit des plus grands laboratoires pharmaceutiques mondiaux !
En outre, on ignore toujours les conditions dans lesquelles se déroulent les séances de cette commission, alors que, depuis le 30 octobre dernier, la directive européenne devrait être appliquée ; mais elle n'est toujours pas transposée ! Cette directive prévoit, dans son article 126 ter, que l'AFSSAPS rend accessibles au public son règlement interne et celui de ses comités, l'ordre du jour et les comptes rendus de ses réunions, assortis des décisions prises, des détails des votes et des explications de vote, y compris celles qu'inspirent les opinions minoritaires.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner un calendrier de cette transposition, d'autant plus que l'AFSSAPS pourrait appliquer cette réglementation par anticipation, ce qui serait une bonne chose en matière de transparence et donnerait confiance à ceux qui doutent de l'indépendance des experts ?
Il ne faudrait pas croire pour autant que les autres agences sont épargnées par ces problèmes d'expertise.
Le directeur scientifique de l'AFSSE a démissionné au mois de juin dernier, au motif que « l'indépendance de l'agence n'était plus garantie ». Très récemment, son président a suivi sa position, considérant, à l'occasion d'un colloque organisé dans nos murs, que « l'expertise de l'AFFSE sur la téléphonie mobile n'a jamais suivi, ni de près, ni de loin, les règles que l'AFFSE s'est fixées à elle-même ». Cela vous a conduit, monsieur le ministre, à diligenter une enquête sur le « bon respect des pratiques scientifiques de l'AFFSE ». Je me demande s'il ne serait pas opportun d'élargir cette enquête à l'ensemble des agences.
Je terminerai mon propos en disant quelques mots sur l'architecture des agences. Le mouvement de restructuration et de rationalisation mené dans le domaine de la sécurité sanitaire en vue de la suppression des doublons et de la prise en compte des zones périphériques non couvertes, qui avait été entamé ces dernières années avec la création de l'AFFSE et poursuivi avec la création de l'Agence de biomédecine, est loin d'être achevé.
Certes, l'AFFSE vient de voir ses compétences étendues à la santé au travail, et l'on ne peut que se féliciter de cette réforme. Mais, sans moyens supplémentaires, l'AFFSET ne pourra pas exercer cette nouvelle compétence, pas plus qu'elle n'a été en mesure, depuis sa création, d'occuper la place qui lui revenait en matière de sécurité sanitaire environnementale, parce qu'on a voulu en faire une simple agence de coordination.
Il faut donc profiter de cette extension de compétences à la sphère du travail pour poser une nouvelle fois ce problème. Si l'on veut enfin atteindre l'objectif que l'on s'est fixé, il faut transformer l'AFFSET en une véritable agence d'objectifs et de moyens, et, sur ce point, je partage les propos de M. le rapporteur pour avis.
Une telle perspective pose la question du devenir de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'INERIS, et de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, l'INRS. À tout le moins, un changement de statut de l'INRS serait souhaitable, dès lors que cet institut vient d'être chargé de préparer la mise en oeuvre du projet REACH et qu'il ne présente pas toutes les garanties de neutralité requises pour nous mettre à l'abri d'événements tels que ceux que l'on a connus avec le Comité permanent amiante. Naturellement, l'idéal serait d'intégrer l'INERIS à l'AFSSET, comme l'avait proposé, lors de la création de l'Agence en 2001, notre ancien collègue Claude Huriet. Mais je crois savoir que, depuis que l'opposition est devenue majorité, elle a changé d'avis sur ce point. Monsieur le ministre, peut-être pourrez-vous me le confirmer tout à l'heure.
Dans ces conditions, vous comprendrez que les membres du groupe CRC ne pourront pas voter le budget de la mission « Sécurité sanitaire ».