Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 22 octobre 2013 : 1ère réunion
Communication de m. philippe marini président sur un nouvel indicateur permettant de mesurer l'émigration fiscale des particuliers

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, président :

J'ai conduit depuis plusieurs mois des travaux sur un indicateur permanent pour mesurer les départs pour l'étranger de résidents fiscaux français. La question de l'exil fiscal revient régulièrement dans le débat public, mais les éléments objectifs dont le Parlement et le Gouvernement disposent sont très lacunaires. Jusqu'à l'année dernière, ils se limitaient à la mesure des départs et des retours de contribuables assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), quelques centaines de personnes seulement. Sur un échantillon si petit, il était difficile de faire la part des diverses motivations à partir ou à revenir ou d'interpréter les variations d'une année sur l'autre. L'interprétation ne pouvait être que tendancieuse, d'autant que l'information n'était restituée qu'après un long délai.

Je me suis donc rendu à Bercy le 28 février dernier, dans le cadre de mes pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place, afin d'avoir un échange approfondi avec le directeur général des finances publiques, Bruno Bézard. Celui-ci, entouré d'une quinzaine de collaborateurs - ce qui montre la complexité du sujet - m'a montré les premiers résultats d'un compteur des déclarations de transferts de domicile fiscal hors de France au titre de l'exit tax. Ces travaux, inédits, présentaient un intérêt : sur les 251 déclarations enregistrées entre la création de l'exit tax et le 31 janvier 2013, qui correspondaient à 2,1 milliards d'euros de plus-values latentes, soit 8,36 millions d'euros par personne, seuls 83 contribuables étaient assujettis à l'ISF. Cela confirme que l'ISF est un indicateur réducteur. Cependant l'exit tax ne fournit pas de données plus robustes, car son assiette n'est pas large.

C'est pourquoi nous avons, ensemble, décidé qu'il fallait construire un indicateur plus solide et qu'à cette fin, la direction générale des finances publiques (DGFIP) extrairait les données concernant les départs à l'étranger de redevables à l'impôt sur le revenu, sur une longue période, et avec une ventilation par tranche du barème, par pays de destination, par âge du contribuable et par composition des revenus et du patrimoine. Il résulte des travaux de grande qualité conduits par la DGFiP un indicateur prometteur : nous avons pu retracer, sur les bases de données du ministère des finances, les départs entre 2007 à 2011. Cela ne permettra cependant pas d'apprécier les effets d'un changement de législature ou de politique fiscale, puisqu'il ne sera possible de rendre compte des départs d'une année N qu'entre juin et septembre de l'année N+2.

Cet indicateur a aussi des limites. D'une part, nous n'avons pas encore de mesure équivalente des arrivées ou des retours de contribuables sur le sol français. Le tri des seuls retours semblent poser des problèmes méthodologiques. D'autre part, la destination d'une proportion importante - 18 % en 2011 - de contribuables est inconnue, notamment lorsque les intéressés ont un représentant fiscal en France.

Le nombre de redevables de l'impôt sur le revenu partis de France, environ 26 000 par an entre 2007 et 2009, a baissé à 22 000 en 2010, puis augmenté de façon importante en 2011 : 35 000 départs. Cet indicateur général concerne, on le voit, un nombre de cas beaucoup plus grand que l'ISF ou l'exit tax. Il apparaît que des variations de forte ampleur peuvent se produire. La population de ces migrants a un revenu médian de l'ordre de 40 000 euros, supérieur de 70 % à celui de l'ensemble des redevables de l'impôt sur le revenu. Elle est surtout beaucoup plus jeune : 40 % des migrants de 2011 ont moins de 30 ans, contre 17 % pour l'ensemble des redevables. En limitant l'analyse aux foyers dont le revenu fiscal de référence est supérieur à 100 000 euros, on observe que le nombre de départs progresse de 1 100 à 1 300 entre 2007 et 2010 et bondit à 2 000 en 2011. Il en va de même des foyers dont le revenu fiscal de référence dépasse 300 000 euros.

Ces constats contredisent une interprétation purement fiscale des départs : les motivations professionnelles, comme le moral des jeunes actifs, jouent un rôle important, quoique difficile à quantifier. Mais la fiscalité est loin d'être neutre : certaines destinations, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, sont privilégiées par ceux qui ont les plus hauts revenus salariaux et qui sont les plus jeunes, quand les contribuables plus âgés, aux revenus patrimoniaux les plus élevés, préfèrent la Belgique et la Suisse. La géographie fiscale qui se dessine ainsi correspond à celle que nous connaissons pour l'ISF.

Ce nouvel outil nous fournira de précieux renseignements sur la sociologie des migrants fiscaux comme sur les effets de la fiscalité. Observerons-nous des années de rupture ? Les tendances constatées se prolongeront-elles ? Identifierons-nous des différences notables entre le comportement des plus aisés et celui des autres ? Ces comportements rejoindront-ils ceux des détenteurs de capitaux, redevables de l'ISF ou de l'exit tax ? Chacun peut faire ses conjectures. Mais patience ! On ne peut tout demander de ces premiers chiffres, il faudra attendre de disposer de séries longues.

Nous ne disposons pas encore des données sur l'ISF de 2011 mais un doublement des départs des contribuables cette année-là aurait bien sûr suscité des interprétations que le nouvel indicateur fondé sur l'impôt sur le revenu permettrait de relativiser. Quant à l'interprétation de l'augmentation des départs en 2011, l'anticipation de l'alternance a-t-elle joué ?

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