Mon général, c'est avec un grand plaisir que nous vous accueillons devant notre commission, pour vous entendre sur les crédits du projet de loi de finances. Je rappelle qu'après Saint-Cyr vous avez effectué toute votre carrière au sein de la Gendarmerie nationale. Vous avez assumé différentes fonctions tant en Gendarmerie départementale que mobile ainsi qu'en administration centrale. Vous avez également été à la tête du GIGN. Par la suite vous avez occupé le poste de commandant de la région de Gendarmerie d'Ile-de-France avant de rejoindre en qualité de conseiller Gendarmerie le cabinet du ministre de l'intérieur.
Enfin, vous avez été nommé directeur général de la Gendarmerie nationale, en avril 2013.
Nous sommes donc très heureux de vous entendre sur le budget de la Gendarmerie nationale dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014. Où en sommes-nous de l'augmentation des effectifs de la Gendarmerie ? Qu'en est-il des fortes contraintes qui pèsent sur les crédits de fonctionnement ? Quelles sont les perspectives s'agissant de l'immobilier, et de l'état de certaines casernes domaniales, qui pèsent sur le moral des gendarmes et de leur famille ? Enfin, où en sommes-nous concernant le renouvellement des équipements lourds de la Gendarmerie comme les hélicoptères ou les véhicules blindés à roue de la Gendarmerie mobile et qu'en est-il des gendarmes déployés en OPEX ? Mon général, vous avez la parole.
Général Denis Favier, directeur général de la Gendarmerie nationale - Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je veux avant tout vous dire l'importance que revêt pour moi cette audition. J'ai été nommé directeur général de la gendarmerie nationale il y a 6 mois et ce premier rendez-vous devant les sénateurs est une étape importante. C'est l'occasion de dresser le bilan et de dessiner les perspectives de la Gendarmerie nationale.
Depuis plusieurs années, la Gendarmerie connaît une profonde mutation, pourtant elle a préservé des acquis essentiels : ses valeurs de cohésion et d'esprit de corps, ses valeurs d'engagement et de dévouement et de sens de la mission, et, enfin, sa proximité avec la population, que je souhaite toutefois encore renforcer.
Mais si elle a su préserver ce qui fait son essence, la Gendarmerie présente des fragilités qu'il faut mesurer avec lucidité. Elle sort de dix ans de réformes denses et ininterrompues, comme peu d'institutions publiques en ont connu. À l'objectif, légitime, d'amélioration de la performance s'est greffé l'impératif de réduction des dépenses. Cet exercice a ses limites et la Gendarmerie a atteint un seuil.
Ainsi en matière de personnel, elle a été malmenée par la RGPP, avec une baisse de 6 700 effectifs entre 2008 et 2012. Cette diminution des effectifs a eu des conséquences importantes notamment sur les brigades territoriales et sur la gendarmerie mobile, avec la dissolution des escadrons, dont nous mesurons les effets aujourd'hui. La tendance a été inversée, avec 192 ETPT supplémentaires en 2013, et désormais 162 postes supplémentaires prévus en 2014, qui se répartissent aux deux-tiers par des sous-officiers de gendarmerie et pour un tiers par des gendarmes adjoints volontaires. Pour ce qui concerne les moyens, sa capacité à renouveler ses équipements a été réduite de moitié depuis 2007, passant de 570 millions d'euros en crédits de paiement en 2007 à 249 millions d'euros en crédits de paiement en 2012 ce qui explique mes difficultés en matière de politique d'investissement.
Un écart se crée, aujourd'hui, entre des attentes toujours plus fortes en matière de sécurité et un budget sous tension. Nos difficultés sont amplifiées par les divers « gels » et « surgels » en cours d'année. La gestion 2013 est, en cela, emblématique. Entre la mise en réserve et le « surgel » de début d'année, les crédits du programme 152 ont été réduits de 34 millions d'euros sur le titre 2 (dépenses de personnel) et de plus de 90 millions d'euros sur le hors titre 2. La loi de finances de 2013 garantissait des moyens calculés au plus juste, mais elle permettait de faire face. Sans la réserve, le fonctionnement et les investissements sont sous tension.
Nous connaissons des « années blanches », aucune commande de véhicules passée, pour le moment, en 2013, aucune commande non plus d'ordinateurs, pour la deuxième année consécutive. Nous sommes en difficulté pour assurer les paiements sur des lignes incontournables, par exemple les dépenses d'énergie (chauffage ou électricité par exemple).
Toutes les forces sont mobilisées pour obtenir le dégel des crédits, y compris au niveau du ministre. Et même si elle ne réglera pas tout, la levée de la mise en réserve est indispensable et urgente. Dans le cas contraire, les investissements seront abandonnés et nous ne pourrions, non plus, honorer nos dépenses incontournables de fin d'année. Les factures impayées induiraient un report de charge de 21 millions d'euros sur 2014, que le budget prévu n'est pas en capacité d'absorber.
Par ailleurs, afin de respecter mon enveloppe de crédits hors titre 2 en 2013, la dotation en carburant dans les régions a globalement été contrainte, en prenant des dispositions en début d'année pour respecter cette enveloppe. Au final, la dépense sera en moyenne inférieure de 6% à l'enveloppe initiale. Cela entraîne des conséquences sur l'activité opérationnelle, puisque le véhicule est l'instrument de base du gendarme. A la différence des armées, et en dehors de quelques équipements spécifiques, comme les hélicoptères ou les véhicules blindés à roue, nous n'avons pas d'équipements lourds, mais des équipements, comme les véhicules, qui servent quotidiennement aux unités.
S'agissant des impératifs budgétaires pour 2014, l'action de la Gendarmerie s'insère dans un cadre exigeant où les objectifs ambitieux en matière de sécurité doivent être conciliés avec les impératifs de sérieux en matière budgétaire.
Dans ce cadre, la Gendarmerie serait dotée d'un budget 2014 responsable et cohérent. C'est un budget responsable car il s'inscrit dans l'objectif de maîtrise des dépenses. C'est un budget cohérent avec mes missions. Même si nous faisons partie des « programmes prioritaires », les efforts à produire se traduisent de manière concrète et me conduisent, en tant que responsable de programme, à fixer des priorités.
En matière de ressources humaines, ce budget permet de concrétiser la priorité gouvernementale de création de 162 postes. Le budget du titre 2 est de 6,820 milliards d'euros, dont 3,706 milliards d'euros hors compte d'affectation spéciale (CAS) pensions et 3,114 milliards d'euros pour le CAS pensions. Des mesures catégorielles sont également prévues pour valoriser la condition du personnel, notamment la poursuite de la mise en oeuvre de la catégorie B.
De son côté, la dotation prévue sur le hors titre 2 s'élève à 1,138 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,213 milliard d'euros en crédits de paiement, en hausse de 1% en euros courants. Au sein de ce hors titre 2, le budget de fonctionnement restera globalement identique à 2013 (949 millions d'euros contre 950 millions d'euros en 2013). Cela signifie que l'inflation et les hausses inévitables, comme celle des loyers, seront prises sous plafond, par redéploiement des crédits. La tension persistera donc. Certaines dépenses comme les déplacements, le carburant ou l'entretien des véhicules devront être ajustées pour garantir le règlement de nos engagements contractuels.
Les investissements prioritaires seront préservés - avec 190 millions d'euros en autorisations d'engagement et 265 millions d'euros en crédits de paiement - sans, pour autant, être en mesure de rattraper le retard pris ces dernières années. Ainsi en matière de mobilité, le vieillissement du parc pèse sur la disponibilité des véhicules. Les 40 millions d'euros en autorisations d'engagement permettraient de commander environ 2 000 véhicules d'intervention, pour un parc total de 27 500. Dans le domaine des systèmes d'information et de communication, les investissements ont déjà été plusieurs fois retardés, nous contraignant à prolonger des matériels obsolètes. Ainsi, le renouvellement des ordinateurs est devenu indispensable. Environ 8 millions d'euros en autorisations d'engagement y seront consacrés, pour 10 000 ordinateurs. Quant à l'immobilier, condition du maillage territorial et lié à la disponibilité des gendarmes, il sort d'une année blanche. 9 millions d'euros en autorisations d'engagement sont prévus pour des opérations de maintenance urgentes dans les casernes domaniales, pour faire face à des situations de rupture très préoccupantes. De même, 6 millions d'euros en autorisations d'engagement doivent permettre de relancer la construction de quelques casernes locatives, au travers des subventions aux collectivités territoriales. Pour autant, cela reste en deçà de nos besoins réels et nous avons de réelles préoccupations concernant l'état de certaines casernes domaniales.
Vous le constatez, ce budget est construit au plus juste. Géré rigoureusement, il devrait permettre de faire face à nos besoins.
C'est le cadre de gestion qui créera des contraintes fortes. Ainsi, la mise en réserve viendra, dès le début d'année, réduire nos ressources. Sur la base d'un taux de 7%, elle atteindrait 85 millions d'euros en crédits de paiement sur le hors titre 2, bien loin du budget voté par le Parlement.
Si j'insiste sur ce point, c'est pour rappeler que la gestion que nous vivons reste éloignée de la loi de finances que vous votez. Je ne remets pas en cause le principe de mise en réserve, ni même de « surgel ». Ce mode de fonctionnement est assez sain et prudent. Ce qui est gênant, c'est que le taux de mise en réserve soit passé, en quelques années, de 5 à 7%, voire 8 ou 9 % avec les « surgels ». Ce qui est gênant également, c'est que le dégel de ces crédits en cours d'année est devenu aléatoire. Et quand, après de nombreux efforts, ils sont accordés, ils le sont en toute fin de gestion, trop tard pour être utilisés convenablement, car il faut souvent les engager en urgence. Au bout du compte, les responsables de programme perdent l'essentiel de leur initiative. Ils n'ont pas de visibilité, anticipent donc peu et finalement dépensent en fin d'année ce qui leur est rendu, mais dans l'urgence. Je ne suis pas sûr que tout cela soit gage de bonne administration.
J'en viens maintenant aux objectifs opérationnels, aux visions et priorités pour 2014.
Avec ces ressources, nous mettrons résolument en application une politique de sécurité solide. Le ministre de l'intérieur a présenté, le 30 septembre dernier, les trois grands projets qui vont structurer notre action.
D'abord, une meilleure organisation des missions de sécurité. Ensuite, la valorisation du potentiel humain au sein des forces de l'ordre. Enfin, la définition et la préparation d'une « sécurité 3.0 » à l'ère du numérique et des nouvelles technologies.
Dans ce contexte j'ai, pour 2014, une ambition : promouvoir une Gendarmerie dynamique et humaine, en réaffirmant le sens de l'engagement de son personnel et en la recentrant sur le service public de sécurité.
Pour cela, je veux tout d'abord poursuivre notre modernisation. Cette modernisation s'inscrit dans une feuille de route, appliquée avec détermination depuis juin 2013, partagée par le personnel et avec le plein appui du ministre. Il s'agit d'une démarche qui s'inscrit totalement dans la modernisation de l'action publique.
L'objectif essentiel est de dégager, pour tous les gendarmes quel que soit leur niveau de responsabilité, du temps, de l'initiative et de la liberté d'action et d'insuffler, à tous les échelons de l'institution, un état d'esprit valorisant l'initiative et l'innovation. Il y aussi, derrière, l'objectif de la meilleure utilisation possible des ressources, au travers de l'emploi optimal des moyens disponibles et du temps des gendarmes.
Au-delà d'un travail sur nos « process » et nos méthodes, nous conduirons des actions porteuses de sens. Ainsi, l'adaptation de notre outil opérationnel, déjà bien engagée, sera poursuivie avec résolution en 2014. L'achèvement de la réforme régionale viendra rationaliser nos structures de commandement en regroupant, dans les 15 régions non-zonales, les états-majors de la région et du département chef-lieu, sous l'autorité d'un seul chef qui cumulera la responsabilité des deux niveaux. L'adaptation - au cas par cas - de la cartographie de nos unités territoriales pour répondre aux évolutions de la démographie, des flux et de la délinquance. L'ajustement des zones de compétence entre la Gendarmerie et la police se poursuivra, là encore au cas par cas et en fonction des réalités locales.
L'amélioration de nos synergies avec la police se traduira par des initiatives communes : le rapprochement de la criminalistique dans certains départements, l'emploi des moyens rares - cynophiles, aériens... En 2014, nous accompagnerons aussi la création de la nouvelle structure de renseignement territorial, notamment par une réorganisation, en profondeur, de notre propre chaîne de renseignement et de conduite des opérations.
Parmi les diverses manifestations de l'insécurité, la lutte contre les cambriolages, dans le prolongement du plan annoncé par le ministre le 25 septembre, sera une des priorités.
Nous garderons enfin pour objectif d'entretenir un contact étroit et renforcé avec les élus et la population, d'expliquer notre action, et de rendre des comptes sur la qualité du service rendu. Là réside un puissant levier de confiance, notamment pour battre en brèche le sentiment d'insécurité.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre attention et je suis prêt, maintenant, à répondre à vos questions.