Je vous remercie de m'associer à vos travaux sur ce thème des femmes résistantes.
Les femmes ont-elles joué un rôle spécifique dans la Résistance ? Quelle a été leur place ? Comme pour les hommes, il n'est jamais aisé de répondre avec des chiffres à des questions concernant un mouvement clandestin. On dispose toutefois de données a minima relatives au nombre de femmes fusillées et surtout déportées, grâce au travail de recensement des convois effectué par Serge Klarsfeld. On estime aujourd'hui à 88 000 le nombre total de déportés politiques, dont 10 % de femmes. C'est une preuve irréfutable de l'engagement des femmes, même si cela ne rend compte ni de son intensité, ni de sa variété.
Malgré une participation très faible à la vie politique avant-guerre, les femmes sont nombreuses à prendre en charge le quotidien de la Résistance. Leur rôle essentiel consiste à restaurer le lien social mis à mal par la force corrosive de l'occupation.
Leur faible nombre apparent tient aussi au fait qu'elles ont été très peu nombreuses, après-guerre, à demander des cartes de combattants volontaires. Certaines ont été médaillées par le gouvernement français ou par le gouvernement britannique, mais lorsque l'on interroge la plupart d'entre elles, elles estiment que ce qu'elles ont fait était « normal ».
Claire Andrieu a décrit ces femmes comme les « intendantes de la Résistance ». Je dirais, pour ma part, qu'elles ont plutôt été les protectrices de l'ordre clandestin, s'adaptant aux modalités de l'action clandestine avant même la constitution des grandes organisations.
La Résistance a été organisée par des femmes et autour d'elles. Ce sont elles qui mettent en place les premières filières d'évasion des prisonniers de guerres français - qui ont ensuite profité aux aviateurs alliés -. Comme exemple de cette action, on peut citer le rôle des femmes auprès des prisonniers du centre de La Croix de Berny à Antony pour les prisonniers en attente de transfert vers l'Allemagne, ou encore le rôle joué par Simone Martin-Chauffier en Côte d'Or. Plus tard, ce sont elles qui assurent le ravitaillement des maquis.
Leur rôle est complémentaire de celui des hommes, à la fois au sein des réseaux d'action clandestine - spécialisés par types d'opérations - et au sein de mouvements de Résistance à vocation plus politique. Elles y assurent des fonctions de secrétariat, d'agents de liaison ou prennent en charge le transport de matériel au travers de la ligne de démarcation. Cela supposait d'innombrables contrôles. Or, pour l'occupant, elles n'ont pas le profil de « terroristes ». Etre une femme était un atout pour passer ces contrôles.
Elles exercent rarement des fonctions de responsabilités, même si des exceptions existent telles Marguerite Gonnet, chef de Libération Sud pour l'Isère, ou Lucie Aubrac, à la tête d'un corps franc chargé d'organiser des évasions.
Elles peuvent aussi exercer une influence politique, comme celle de Berty Albrecht auprès d'Henri Frenay. C'est sous son influence qu'Henri Frenay a évolué en faveur de l'idée européenne.
Des femmes ont ainsi pu diriger des réseaux après l'arrestation de leur chef. C'est le cas de Marie-Madeleine Fourcade qui le raconte très bien dans son livre « L'Arche de Noé », surnom donné au réseau Alliance. Rappelons qu'il s'agissait de jeunes femmes d'environ 25 ans...
Une mention particulière doit être faite des résistantes communistes. Au Parti communiste français (PCF), les femmes jouent un rôle important. Tout d'abord, les femmes germanophones se consacrent à une mission très dangereuse : un « travail antiallemand » (TA) consistant à lier conversation avec les soldats d'occupation pour les démoraliser. Il y a aussi les manifestations de ménagères organisées par le PCF. L'une de ces manifestations, restée célèbre, a lieu le 1er août 1942 devant le magasin Félix Potin de la rue Daguerre à Paris. Lise Ricol, compagne d'Artur London y mobilise la foule contre la pénurie et contre la relève annoncée par Pierre Laval, consistant en un échange de travailleurs volontaires contre le retour de prisonniers français. Il y a plusieurs blessées ; dix jours plus tard les militantes sont arrêtées. Ces mouvements ont été particulièrement étudiés par l'historienne américaine Paula Schwartz.
Les femmes ont aussi une place dans la Résistance extérieure. On peut citer Élisabeth de Miribel, affectée à Londres en 1939 à la mission française de guerre économique et qui reste pour assurer le secrétariat particulier du Général De Gaulle. On peut citer aussi, bien sûr, Ginette Éboué qui travaille au cabinet de son père, Félix, à Brazzaville, capitale de l'Empire rallié à la France Libre. Elles participent aussi aux comités de la France Libre constitués notamment aux Etats-Unis et en Amérique du Sud pour soutenir la cause de la Résistance. Des femmes sont engagées volontaires militaires au sein du corps féminin des volontaires, devenu en 1941 le corps des volontaires françaises. Sans jouer de rôle directement combattant, elles remplacent les hommes partout où cela est possible : comme conductrices de camion, mécaniciennes, infirmières, médecins ou encore au service du chiffre ; certaines sont même parachutistes.
Un cas unique est celui de Jeanne Bohec, jeune chimiste travaillant dans une poudrerie à Brest. A Londres, elle est engagée comme caporal dans le secrétariat des laboratoires de recherche militaires. Elle travaille au développement d'explosifs et réalise le coup de force d'être envoyée en mission en France par le Bureau central de renseignements et d'action (BCRA), les services secrets de la France Libre. Elle instruit les Forces française de l'intérieur (FFI) en Bretagne à l'usage des explosifs. Cette région revêtait un caractère stratégique car en application du Plan vert, les Résistants y étaient prêts, dès le mois de mai 1944, à détruire toutes les voies de communication avec le reste du pays, gênant ainsi les Allemands dans le rapatriement des troupes après le débarquement. Dans ses mémoires, intitulées « La plastiqueuse à bicyclette », elle raconte qu'elle maniait mieux les armes que ses compagnons masculins mais qu'on ne la laissait pas s'en servir lorsqu'un homme était là pour le faire.
Présentes dans toutes les armes, les femmes volontaires sont au nombre de 15 000, dont 1 800 au sein de la France Libre ; que l'on songe notamment au fameux bataillon des « Rochambelles » au sein de la 2ème division blindée.
Les femmes ont donc exercé des fonctions spécifiques : elles ont eu une contribution incontestable à la Résistance.