Madame la présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Madame la présidente de la commission des Affaires sociales, à vous, à mes collègues des départements qui sont présents et aux membres de la délégation, je voudrais, dans mon propos liminaire, parler de la situation financière des départements. J'aborderai ensuite la question des solutions qui seront mises en oeuvre dans le cadre de la loi de finances 2014 pour financer les trois allocations individuelles de solidarité.
Les présidents de conseils généraux ici présents connaissent bien la situation budgétaire des départements de France. Mais je voudrais la rappeler aux membres de la délégation qui n'ont pas de responsabilités au sein des assemblées départementales.
En 2012, selon le compte administratif, les dépenses de fonctionnement des départements ont crû de 3,1%. Les dépenses d'investissement ont reculé de 1,1% pour la troisième année consécutive, et l'épargne brute a baissé de 1,2 milliard d'euros. En 2013, selon le compte administratif anticipé, les dépenses de fonctionnement devraient croître de 2,8%.
Nous sommes devant un effet ciseau : des dépenses sociales qui s'accroissent très fortement, en lien avec la situation économique et sociale, et des recettes qui diminuent. Sur les 71 milliards d'euros du budget des départements, 34,5 milliards d'euros de dépenses sont consacrées à l'action sociale, dont les 14 milliards d'euros de financement des trois allocations individuelles de solidarité.
La situation département par département est assez hétérogène, mais l'effet ciseau se traduit globalement par une diminution de l'épargne brute, donc de la capacité d'autofinancement nette et de l'investissement. Ceci a des conséquences pour l'économie de nos territoires, en particulier dans deux secteurs-clefs : les travaux publics et le bâtiment. Nous avons rencontré à plusieurs reprises M. Patrick Bernasconi, président de la Fédération nationale des travaux publics, et M. Didier Ridoré, président de la Fédération française du bâtiment : ils sont extrêmement attentifs au budget de nos départements.
En ce qui concerne le financement des allocations individuelles de solidarité, les 102 départements français - les 96 départements métropolitains et les 6 départements d'outremer - ont mobilisé 112 milliards d'euros de dépenses cumulées sur la période 2002-2012, pour une compensation de 40,5 milliards d'euros. Sur l'année 2012, la dépense est de 15,6 milliards d'euros, avec un reste à charge de 6,3 milliards d'euros. En 2016, selon les projections, les allocations s'élèveraient à 18,7 milliards d'euros, pour un reste à charge de 8,6 milliards d'euros. Cette forte croissance serait d'abord celle du revenu de solidarité active (RSA), avec des dépenses qui passeraient en cinq années de 8,2 à 10,4 milliards d'euros, avec un reste à charge qui augmenterait de 1,9 à 3,2 milliards d'euros. Dans ces 3,2 milliards d'euros, 1 milliard est lié à la décision du Premier ministre d'augmenter le RSA de 2% par an pendant cinq ans - malgré son engagement, fin 2012, de financer à 100% cette augmentation. L'allocation personnalisé d'autonomie (APA), en établissement comme à domicile, semble avoir atteint un plafond. Elle passerait de 5,5 à 6,2 milliards d'euros, mais pour un reste à charge de 4,5 milliards d'euros, un peu supérieur à celui du RSA. Enfin, la prestation de compensation du handicap (PCH) est en croissance mais part de beaucoup plus bas. Elle passerait, en l'espace de cinq années, de 1,9 à 2,3 milliards d'euros, avec un reste à charge de près de 1 milliard d'euros.
Ainsi, en l'espace de cinq années, du compte administratif 2012 aux prévisions pour 2016, le reste à charge augmenterait de 2,3 milliards d'euros - à ramener aux 71 milliards d'euros du budget des départements. Ces chiffres sont validés par tous : la direction générale des collectivités locales, les ministères, Bercy, l'ADF. On a pu constater avec le temps une diminution du taux de couverture des dépenses de l'APA : ce taux est passé de 47% en 2002, lors de la première année d'application de la mesure, à environ 20% aujourd'hui par endroit - avec certes des différences d'un département à l'autre.
Le pacte de confiance et de responsabilité entre l'État et les collectivités locales associe les départements à l'effort de redressement des comptes publics de la nation. Le Gouvernement a retenu dans la loi de finances pour 2014 la proposition du Comité des finances locales. Cela correspond pour les départements à un effort de 476 millions d'euros, de recettes en moins ou de dépenses en plus. Le tableau de répartition sera dans le projet de loi de finances pour 2014.
La répartition se ferait en fonction du revenu moyen par habitant, de l'effort fiscal, de la part que représente le foncier bâti, seul impôt direct des départements, par rapport à la masse des recettes. Je ne vais pas m'étendre sur la position de l'ADF sur cette mesure : nous étions extrêmement critiques à l'égard du Gouvernement, je n'ai pas besoin d'y revenir. Je rappellerai juste le rôle que jouent les départements dans la relance de la croissance économique de notre pays. On connaît les leviers que sont l'investissement industriel des entreprises, l'investissement des ménages et la consommation. Il ne faut pas oublier l'investissement public porté par l'Etat et les collectivités. Aujourd'hui, l'investissement des collectivités représente plus de 45 milliards d'euros, avoisinant presque les 50 milliards. Comment oublier l'impact économique de cet outil, dans une conjoncture extrêmement difficile, pour ne pas dire plus ? Certes, on peut demander un effort aux collectivités - et il le fallait - mais une autre approche aurait pu être cherchée. L'une des idées aurait pu être la mise en place de contreparties pour dégager des moyens financiers qui seraient alors réinjectés dans l'investissement public. Le département est aujourd'hui la seule collectivité qui a enregistré une diminution globale de l'investissement. Je reconnais que quelques départements continuent à connaître une croissance de l'investissement, mais l'immense majorité d'entre eux font face à une diminution. C'est notamment le cas des grands départements, des départements très urbains avec une forte démographie, ce n'est plus celui des plus petits départements. La situation n'est pas homogène : grands départements d'un côté et départements ruraux de l'autre. Il existe dans ces catégories des différences en fonction de la gestion du budget - et des choix politiques, il faut le dire, des uns et des autres.
Je pense que l'intérêt de cette audition est lié à la question du financement pérenne des allocations de solidarité. Quelles sont les propositions du Gouvernement sur ce sujet ? Il faut rappeler que l'annonce qui a été faite est le résultat d'une négociation de neuf mois. Celle-ci a débuté après la réunion tenue à l'Élysée le 22 octobre 2012. Dix points ont été évoqués. Le premier est le suivant : le Gouvernement s'engage en faveur d'un financement pérenne et durable des trois allocations individuelles de solidarité dès la loi de finances 2014. Un groupe de travail, dit groupe de travail Matignon, animé par M. Vincent Léna, conseiller-maître à la Cour des comptes, a été mis en place : d'un côté le Premier ministre et l'ensemble des ministres concernés, de l'autre côté l'ADF avec neuf présidents de toutes sensibilités, et celui qui représente l'ADF au sein du Haut conseil du financement de la protection sociale. Et nous avons travaillé avec le groupe technique animé par Vincent Léna. Nous avons ainsi pu arriver au compromis proposé par le Premier ministre lors de la réunion du 16 juillet 2013. Au sein du groupe, il y a eu unanimité concernant le diagnostic, unanimité sur les tendances d'évolution des allocations et, en revanche, discussion sur les solutions possibles. Aujourd'hui l'accord porte sur trois points : le premier concerne une recette supplémentaire pour les départements de 827 millions d'euros, résultant d'une réduction des frais d'assiette et de gestion de recouvrement du foncier bâti prélevés par l'Etat. J'ouvre une parenthèse sur ces 827 millions d'euros, car il s'agit d'une proposition intéressante : compte-tenu du contexte économique et financier et de la baisse de 476 millions d'euros des recettes des départements au titre du pacte de confiance et de solidarité, nous n'allons pas rejeter cette proposition d'un revers de main. Chacun peut porter l'appréciation qu'il veut, mais il s'agit toujours d'un gain. En outre, en ce qui concerne les fameux frais d'assiette et de gestion afférents aux impôts locaux, nous sommes plusieurs, moi et d'autres, à dire des choses depuis des années. Quelles que soient les alternances, Bercy retient 4% des recettes en compensation de ses services. Il s'agit de montants importants, et nous serions bien inspirés, au sein des collectivités, de nous en préoccuper.
Je reviens aux trois points de l'accord. Premièrement, donc, un retour de 827 millions d'euros. Il s'agit d'une somme pérenne, durable, actée pour toutes les années qui viennent. Deuxièmement, pour les années 2014 et 2015, la possibilité donnée à chaque département d'augmenter le plafond des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) à hauteur de 4,5%. Aujourd'hui le plancher est à 1,2% et le plafond à 3,8%. La proposition est de garder le plancher mais d'augmenter le plafond. J'y reviendrai tout à l'heure, car il y a des aspects qui ne sont pas que d'ordre financier mais qui sont aussi techniques et que l'on retrouve dans la loi de finances. C'est extrêmement important. Nous faisons le calcul, compte-tenu de l'état d'encaissement des DMTO aujourd'hui, qui sont en diminution, d'un supplément possible de 1,3 milliard d'euros. Voilà ce qui est proposé.
Troisièmement, et c'est qui explique la présence de Yves Ackermann à mes côtés, l'ADF a proposé la mise en place d'un fonds de péréquation de 400 millions d'euros, alimenté par l'excédent des DMTO quand ceux-ci sont dynamiques et par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). L'idée est celle d'un potentiel fiscal corrigé, n'ayant rien à voir avec le potentiel fiscal et financier qui est appliqué aujourd'hui et qui avait été mis en oeuvre en 2010. Le Gouvernement a accepté d'expertiser notre proposition. Les encaissements de ce fonds devraient croître pour atteindre, dans les années 2020, 200 millions d'euros de plus et arriver à une somme de plus d'un milliard d'euros. Toutefois, il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un fonds basé sur les ressources et non sur les charges. Notre dispositif est en cours d'expertise dans les ministères, à la direction générale des collectivités locales. Le Gouvernement a également demandé un rapport à l'Inspection générale de l'administration (IGA). L'IGA vient de produire son rapport, qui n'est pas encore public, et va plus dans le sens des propositions de l'ADF que dans celui de la DGCL sur le sujet. Je le rappelle, pour nous ce fonds est un élément fondamental de l'avenir du financement des fonds péréqués. Tout cela est en discussion au sein de l'ADF, tout n'est pas acté, nous en sommes aux principes. La commission des Finances de l'Assemblée nationale se réunira le 16 octobre prochain, elle attend que nous lui fournissions une proposition. Nous faisons aujourd'hui des simulations pour voir comment nous pouvons avancer sur le sujet.
Cela signifie qu'il faut replacer tout cela dans un contexte global. Il est important de rappeler que ces fonds sont alimentés par des ressources. Or, plus que le montant de ces fonds, c'est le reste à charge qu'il est important de regarder. Plusieurs idées ont été émises, notamment la mise en place d'un seuil plancher et d'un seuil maximal de reste à charge pour les départements, avec une possibilité d'écrêtement. Concrètement, voici les différents éléments entrant en ligne de compte : 476 millions d'euros nous sont retirés dans le cadre du pacte de confiance et de responsabilité. Nous bénéficions toutefois de 500 millions d'euros dans le cadre du fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI) qui, au départ, était un fonds ponctuel reconduit d'année en année puis pour une période triennale, et est désormais pérennisé. D'un autre côté, un supplément de 1,3 milliard d'euros est attendu avec l'augmentation potentielle du taux de DMTO à 4,5%. À cela, il faut ajouter 400 millions d'euros de péréquation, 827 millions d'euros au titre de la réduction des frais d'assiette et de gestion, 2,3 milliards d'euros pour la contribution spéciale à l'apprentissage qui est un fonds péréqué, 1,5 milliard d'euros pour l'APA, environ 600 millions d'euros pour la PCH et, enfin, 200 millions d'euros pour les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Au total, nous avons un ensemble qui représente pour les départements 4 milliards d'euros de recette pour les allocations sociales.
La mise en place d'une péréquation répond à l'idée de faire en sorte que les départements riches soient un peu moins riches, et les départements pauvres un peu moins pauvres. Le rapprochement peut être assez rapide avec un fonds de péréquation. Ce qui est d'ores et déjà acquis c'est, d'un côté, les 827 millions d'euros de réduction de frais de gestion et, d'un autre côté, la liberté d'augmenter le taux des DMTO à 4,5%. La négociation sur les 400 millions de fonds de péréquation est en cours. Même lorsque les recettes des DMTO sont au plus bas, elles produisent encore quelques centaines de millions d'euros pour alimenter un fonds de péréquation. À titre d'exemple, pour l'année 2013, plus de 20 millions d'euros viendront des écrêtements des DMTO. Pour la loi de finances 2014, il y aura un fonds qui sera alimenté à 460 millions d'euros par les DMTO et la CVAE. Si cela remonte, des moyens financiers plus importants seront disponibles.
Aujourd'hui, tous les taux de DMTO sont au plafond. Selon le Code des impôts, ce taux plafond est un taux par défaut : les départements ont la possibilité de le diminuer. Pour procéder à cette modification, il est nécessaire de délibérer avant le 30 juin, la mesure est alors applicable au 1er janvier de l'année suivante. Si rien ne change, ce qui est prévu n'entrera en vigueur qu'en 2015, ce n'est pas acceptable. C'est pourquoi nous demandons que la délibération soit possible au 1er janvier pour une entrée en vigueur en mars. Une négociation est actuellement en cours avec le Gouvernement pour que s'applique dès le 1er janvier la possibilité d'augmenter les taux à 4,5%. Le Gouvernement est favorable à ce que chacun ait la liberté d'augmenter les taux, il l'indique dans le projet de loi de finances pour 2014.
En outre, nous partons du principe que puisqu'un effort nous est demandé pendant deux ans, il est alors possible d'imaginer qu'avec des taux à 4,5%, 0,7% soit consacré à alimenter un fonds de péréquation. Il y a une discussion politique sur ce sujet, elle va traverser toutes les sensibilités. En effet, si un accord a été trouvé sur le principe, les modalités d'application sont difficiles à fixer. Il n'existe pas de solution parfaite, dans la mesure où des inégalités existent au départ. Tout le travail de M. Ackermann a été de proposer un système où l'on part d'un instant « t » pour redéfinir les indices de richesses et de ressources afin de répartir le fonds de péréquation.