Le Sénat va être saisi du projet de loi de réforme ferroviaire. Les sénateurs disposent de très nombreux documents pour alimenter leurs réflexions sur le système ferroviaire français et son devenir. Je me suis permis, dans la première partie des propositions du rapport, d'énumérer les principaux d'entre eux. Bien évidemment, cette liste n'est pas exhaustive.
Par ailleurs, je pense également que nous devrions être capables de dégager des éléments constitutifs d'un consensus. Le premier élément de consensus est, à mon sens, que nous disposons en France d'un système ferroviaire qui a fait ses preuves. La France possède une véritable valeur ajoutée en matière de transports en commun, et j'ai toujours pensé que nous ne la valorisions pas suffisamment à l'étranger. Cela pourrait constituer un point fort de la coopération décentralisée.
Le deuxième élément de consensus porte sur le succès de la régionalisation du transport ferroviaire de voyageurs. Les régions ont investi pour ce réseau, au-delà de leurs compétences, que ce soit par l'achat de matériel ou dans la maintenance. Mais elles ont également contribué, avec d'autres collectivités territoriales, à la construction des lignes TGV dans notre pays. En outre, certaines régions n'ont pas attendu la décentralisation pour s'intéresser de manière très active au ferroviaire. Je voudrais citer le cas de la région Nord-Pas-de-Calais - Michel Delebarre pourrait développer ce point - qui, à la fin des années 1970, en dehors de tout texte de loi, a procédé à un emprunt, qui a ensuite été acheminé vers la SNCF - M. André Chadeau était alors préfet. La SNCF, grâce à cet emprunt, a fait circuler dans la région Nord-Pas-de-Calais des trains et wagons rénovés répondant aux attentes des voyageurs. Je cite cet exemple pour montrer qu'il existe dans notre pays des possibilités et des réalités en matière d'innovation.
Un autre point de consensus est la priorité qui doit être donnée à la conservation et à l'amélioration de l'existant. C'est d'ailleurs l'un des grands axes du rapport Duron, dont nous avons beaucoup parlé dernièrement.
La question de la dette est également importante. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un investissement au bénéfice de la collectivité et du service public. La dette doit intéresser toutes les autorités publiques. J'envie à cet égard l'Allemagne qui, en 1994, a pris à sa charge, par l'intermédiaire de l'État fédéral, la totalité de la dette des chemins de fer. Mais nous ne sommes plus dans cette situation aujourd'hui.
Le contexte est en outre en pleine évolution, tout le monde s'accorde là-dessus. L'une des grandes questions est de savoir si nous assistons aujourd'hui à « la fin de l'âge d'or du TGV », pour reprendre le titre d'un article paru hier dans le journal Le Monde. En effet, la fréquentation des TGV est en recul, les nouvelles lignes sont moins rentables et l'on constate une hausse des coûts d'infrastructure. Que peut-on alors attendre des économies de gestion ? J'ai été très surpris d'apprendre à la lecture de cet article que le directeur de la branche « voyages » de la SNCF a annoncé qu'une très forte réduction avait été réalisée sur les coûts de la production.
En matière de fret, l'on ne peut que constater un déclin. Les autorités de la SNCF ne croient pas au fret au niveau national. Doit-on parler de déclin ou de délaissement ?
Enfin, le dernier élément de consensus, qui n'est toutefois pas perçu par toutes les parties prenantes, est la perspective de l'ouverture à la concurrence, à partir de 2019, du transport régional de voyageurs, sauf à changer les règles européennes. Or, il faut rappeler que la concurrence ne signifie pas l'exclusion de la SNCF, qui a toute autorité pour participer à la mise en concurrence.
Passons maintenant aux résolutions. La première peut apparaître comme une banalité mais, on l'a oublié, l'État doit retrouver sa fonction de stratège et d'autorité organisatrice du système ferroviaire français. Lorsque je parle d'État stratège, cela signifie par exemple que le tracé d'une ligne TGV n'a pas à être déterminé en fonction de la participation ou de la non-participation financière de telle ou telle collectivité territoriale. Il est important qu'il y ait une vision claire de ce que doit être le service public.
Le Parlement doit jouer son rôle de contrôle. J'attends beaucoup du prochain débat parlementaire sur le projet de loi adopté en Conseil des ministres le 16 octobre dernier. Par ailleurs, les collectivités territoriales doivent avoir une représentation dans les instances dirigeantes ferroviaires nationales. La SNCF ne peut être un État dans l'État.
Enfin, dans la période actuelle, tout transfert de charge vers la région est à proscrire, sauf accord de celle-ci ou s'il favorise explicitement le service public régional.
En ce qui concerne les évolutions attendues de la SNCF, on peut citer plusieurs pistes. Tout d'abord, la SNCF doit vivre avec la décentralisation, reconnaître pleinement l'existence et les compétences des autorités organisatrices de transports décentralisées. C'est une question culturelle qui mérite d'être posée. La SNCF doit apporter une réponse et se défaire de sa « culture de domination », cela a souvent été relevé par les personnes auditionnées. J'ai également ressenti l'influence de cette culture dans l'exercice de mes anciennes fonctions de maire et de président de la communauté rennaise.
En outre, la SNCF doit respecter les principes de transparence financière et technique. Les directives européennes y invitent. Je pense à celles du 29 juillet 1991 et du 26 février 2001, mais également à la législation française concernant les comptes d'exploitation conventionnels, les comptes détaillés de ligne, la qualité de service ou encore les conditions d'exploitation du transport. Je trouve stupéfiant qu'il faille insister fortement pour obtenir des comptes de lignes. Celles et ceux qui ont des délégations de transport public dans leurs villes savent ce que je veux dire. Deux régions SNCF sont actuellement en expérimentation : la Bretagne et le Limousin. Dans le cadre de l'expérience bretonne, la SNCF s'est engagée à produire des comptes de lignes. Cela permettra de comparer les coûts et les rentabilités. La transparence technique et financière permettra également d'éclairer un vieux débat : pour les uns, le TGV finance les TER, pour d'autres c'est l'inverse. C'est un débat qui existe, il faudrait y mettre un terme. Je souhaite raconter une anecdote au sujet de cette transparence. La région Limousin éprouvait des difficultés à avoir un décompte exact de la fréquentation des TER, élément impactant directement la comptabilité. Elle a donc mis en place une petite équipe pour comptabiliser la fréquentation quotidienne. Cela a été très mal pris par la SNCF.
Un autre élément très concret et intéressant en matière de transparence financière et technique concerne les travaux de maintenance et d'entretien. Selon certaines personnes auditionnées, les entreprises agréées par la SNCF auraient - et j'utilise bien le conditionnel - des coûts 40% supérieurs à ce qu'ils estimeraient être des coûts normaux.
Par ailleurs, la SNCF doit s'habituer à une certaine simplification. L'organigramme actuel n'est pas le plus simple. Toutes les personnes auditionnées, extérieures à la SNCF, se sont retrouvées pour estimer que le directeur régional de la SNCF devait être une autorité déconcentrée authentique ayant une réelle capacité de coordination. Or ce n'est pas le cas aujourd'hui. Une véritable décentralisation n'est pas possible sans une déconcentration des grandes entreprises. Les autorités décentralisées ont besoin d'un interlocuteur qui dispose d'un réel pouvoir. La question qui se pose est de savoir si les directeurs régionaux sont favorables à cette extension de pouvoir : certains le sont, d'autres moins. Le profil des directeurs régionaux a également son importance. Il est indispensable que le directeur régional ait une compétence en matière de fret régional.
Enfin, la gestion du foncier et de l'immobilier laisse à désirer. La SNCF veut constituer des réserves, ce qui est tout à fait légitime. Mais un meilleur usage de ce foncier est possible et la nécessité de réserves ne doit pas être confondue avec un conservatisme coûteux. De larges possibilités de valorisation existent.
Les évolutions attendues des collectivités territoriales sont également nombreuses. Tout d'abord, la région doit exercer pleinement ses compétences dans le cadre d'un schéma régional établi en concertation. Je ne reviendrais pas sur la définition du chef de file. Nous en avons suffisamment discuté au Sénat. Et je dois dire que la définition du chef de file qu'a proposée le Sénat est une excellente définition, puisqu'elle met l'accent sur la coordination. Toutes les collectivités territoriales autorités organisatrices des transports doivent être associées et y participer. En outre, j'estime que dans le cadre du schéma régional ferroviaire, la région doit définir des orientations dans le fret de proximité. Il y a des expériences, des recherches à mener, en matière de technologie par exemple. Je ne suis pas un expert du wagon isolé, et je ne peux donc me prononcer, mais j'estime qu'il est nécessaire d'étudier cette question. Ce qui est clair, c'est que si on laisse l'organisation du fret régional à la seule SNCF, il n'y aura pas de fret de proximité. Dans cette optique, un dialogue entre la SNCF, RFF et les collectivités doit être instauré. Il doit notamment porter sur la formation des agents. Il y a en effet une perte de connaissance importante que ce soit, par exemple, sur l'assemblage et la recomposition de trains ou en matière d'horaires. En outre, il faut également voir si les infrastructures peuvent être remises en état. En effet il y a des régions où les infrastructures ont été totalement abandonnées.
Par ailleurs, pour faciliter les relations de la SNCF avec les régions, il serait souhaitable que l'ARF exerce une fonction d'expertise conseil, sans monopole, et participe à la reconnaissance de clauses générales susceptibles de se retrouver dans chaque convention SNCF-Région. J'ai été surpris par les différences de prise en charge de la retraite des cheminots. Dans certaines conventions, la région la prend en totalité, dans d'autres la prise en charge en nulle, dans un troisième cas de figure enfin, elle est de 50/50. Je ne sais pas si cela peut faire l'objet d'une clause interrégionale, mais on pourrait au moins essayer de rapprocher les points de vue. Sur ce point, je ne peux m'empêcher de faire un parallèle avec le rôle de conseil que doit, selon moi, avoir le département à l'égard des intercommunalités.
Les régions doivent se préparer à la généralisation de la concurrence et prendre les initiatives les plus appropriées pour favoriser le service public. L'Union européenne est fondée sur certains principes : mobilité, libre concurrence. Si certains veulent croire que ce principe de libre concurrence ne s'appliquera pas aux TER, sachons que seul un changement des textes et principes européens peut le permettre. En l'état actuel des choses, la généralisation de la concurrence est devant nous. Il faut s'y préparer. Certains avancent l'idée, qui n'est pas nouvelle car elle date des années 1920-1930, de créer des entreprises régionales ferroviaires. Dans mon rapport, je fais un parallèle entre les avantages attendus de la mise en concurrence et les critiques qu'on peut lui faire. De manière générale, il est important de rappeler que la concurrence n'est pas un dogme, une finalité, mais un moyen pour développer le ferroviaire dans le respect d'un certain nombre de principes. Ces derniers sont d'ailleurs rappelés dans les rapports de nos collègues Yves Krattinger et Roland Ries. Le 10 octobre dernier, un débat au Sénat a porté sur l'organisation du ferroviaire. Lors de celui-ci, notre collègue Michel Teston est intervenu. L'on retrouve un point commun : la concurrence doit être encadrée. Concurrence et péréquation doivent aller de pair. Il faut aussi organiser des lots avec des lignes rentables et des lignes qui le sont moins, car sinon l'on voit tout de suite les conséquences que cela peut avoir. Il est en outre important d'élaborer un cadre social commun qui s'impose à l'ensemble des entreprises ferroviaires, quelles que soient leur nature juridique et leur nationalité. La concurrence ne doit pas pénaliser le contribuable, l'usager et le personnel. Ainsi, lorsqu'un nouvel adjudicataire est nommé il doit, conformément au droit commun, reprendre le personnel en place. À mon avis, les régions auraient intérêt à dialoguer avec les communautés, lesquelles sont habituées, en matière de transports urbains, aux changements d'adjudicataire. De même, je pense que les organisations syndicales des cheminots auraient tout intérêt à dialoguer avec leurs homologues des transports urbains. Nous allons avoir un débat identique à celui que nous avons eu lors du transfert du personnel des collèges. Par ailleurs, je vous invite, sur les perspectives de l'ouverture à la concurrence, à relire le rapport de notre collègue Roland Ries, qui développe la notion d'enchères positives et négatives. Il parle d'une « ouverture constructive à la concurrence ». Je le répète : la concurrence, ce n'est pas la privatisation systématique, ni le déclin du statut social du personnel.
Au-delà du seul thème de l'ouverture à la concurrence, les collectivités territoriales doivent également rechercher la simplification et l'efficacité : promouvoir la maîtrise d'ouvrage unique, les pôles d'échanges multimodaux, l'information intégrée, la billettique unique. Cette dernière n'est pas facile à mettre en oeuvre, elle demande beaucoup de négociations. Je l'ai éprouvée sur le terrain. En Bretagne, nous avons dans un premier temps mis en place au niveau de l'agglomération rennaise une billettique unique qui a été par la suite étendue à l'ensemble de la région.
Il est nécessaire, par ailleurs, de promouvoir la mise en place de comités de coordination de maitrise d'ouvrage en définissant les compétences des présidents.
Les régions doivent également retrouver la pleine propriété des matériels qu'elles ont financés intégralement.
La priorité doit être donnée à la maintenance du réseau (entretien, surveillance, correction des défaillances, renouvellement). Je ne suis pas sûr que la population soit bien conscience de l'état du réseau. C'est aussi l'une des conséquences de l'effet TGV. Les infrastructures de proximité doivent être développées.
Enfin, il est nécessaire de clarifier les modalités de gouvernances des gares, par la mise en place de conseils de gouvernance.
Mon dernier point est d'ordre financier et fiscal. D'une manière générale, dans le contrat de solidarité et de responsabilité entre l'État et les collectivités territoriales, un dispositif particulier est à inscrire en ce qui concerne l'exercice de la compétence « transports » des régions. Plusieurs questions se posent. Quels financements ? Quelle doit être la part de l'État et celle des collectivités ? Quelle doit être la part de l'usager et du contribuable ? De quels contribuables : la personne physique, l'entreprise ?
L'ARF avance l'idée d'un versement transports, avec deux propositions : un versement additionnel à celui qui existe déjà, ou bien la mise en place d'un versement transport interstitiel. En effet, il existe aujourd'hui une inégalité entre les entreprises qui se trouvent au sein d'un périmètre de transport urbain et sont alors soumises à un versement transport, et celles qui se situent en dehors. L'idée d'un versement transports affecté à la région est cohérente, car cela correspond à ses compétences. Toutefois, à titre personnel, dans la conjoncture actuelle la chose me parait difficile à mettre en place. Les choix à faire sont d'ordre politique.
Je suis en revanche favorable à ce que les régions puissent disposer d'une liberté tarifaire, bien entendu en respectant les tarifs sociaux et nationaux.
Je m'interroge aujourd'hui sur l'eurocompatibilité d'une surtaxe locale. Elle avait un avantage : décider localement, elle était affectée à une dépense précise. Elle avait un inconvénient : elle n'était perçue qu'à l'intérieur d'un périmètre déterminé. À l'extérieur de celui-ci, quel que soit le trajet, elle n'était pas prélevée.
Une troisième solution régulièrement avancée porte sur les ressources de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Il s'agirait de prélever des ressources routières et autoroutières afin de les affecter au ferroviaire. Là encore, il y a une réelle cohérence, environnementale ou technique à promouvoir le ferroviaire.
Voilà, de manière très résumée, mes propositions.
Bien entendu, je n'ai pas évoqué l'attribution de subventions supplémentaires de l'État : cela semble peu réaliste dans la situation actuelle.