Quelques mots sur le contexte pour commencer : c'est celui de la mise en place d'une nouvelle politique agricole commune (PAC), qui sera complète au premier janvier 2015.
Dans le débat budgétaire européen, qui n'est jamais facile vous le savez, la France a obtenu un volume d'aides qui passera de 9,3 à 9,1 milliards d'euros, soit une baisse de 2% -à comparer avec la baisse de 7 % que subit l'Allemagne et le recul de 4 %, en moyenne, des pays de l'ancienne Europe des 15. Dans le détail, ce budget comprend 7,7 milliards d'euros par an au titre du premier pilier, contre 8 milliards d'euros actuellement, et 1,4 milliards d'euros, au lieu de 1,1 milliards en moyenne sur la période 2007-2013, au titre du deuxième pilier. Il est important de comprendre qu'une partie de ce que la France a obtenu dans le débat budgétaire figure dans le deuxième pilier de la PAC.
Sur la PAC elle-même, nous en sommes au stade des arbitrages essentiels dans la perspective de sa mise en oeuvre en 2015, en particulier sur le premier pilier. Des changements majeurs vont avoir lieu avec le passage d'un système d'aide à l'hectare basé sur les droits à paiement unique (DPU) à un système fondé sur les droits de paiement de base (DPB). Le choix de l'Europe est de faire converger les aides à l'hectare vers une moyenne européenne pour aboutir à une aide à l'hectare uniforme quels que soient les pays et les régions. Dans un pays comme la France, où, actuellement, les aides varient de 400 à 500 euros à l'hectare à 150 euros en fonction de la région, le choix a été fait d'une convergence partielle des aides, car il est évident que ce mouvement implique des effets de transferts entre ceux qui ont des DPU élevés et ceux qui ont des DPU faibles. Il faut donc assurer une transition et c'est ce que permet une convergence à 70 %.
Le deuxième point en discussion au niveau européen est celui du couplage des aides. Je me suis battu pour refuser le principe du découplage total. J'ai fait en sorte non seulement qu'on maintienne un certain niveau de couplage, mais même que ce niveau soit supérieur aux 10 % initialement proposés par la commission européenne. On a réussi à atteindre dans les négociations 12 %, puis 13 % de taux de couplage - auxquels s'ajoutent deux points de couplage sur les protéines fourragères, enjeu important, car cela renvoie à la question de l'indépendance de la France et de l'Europe par rapport aux protéines fourragères importées, notamment le soja d'Amérique latine.
Le débat est en cours avec les organisations professionnelles sur l'utilisation de ce couplage. Rien que pour maintenir les primes qui étaient déjà couplées - prime à la vache allaitante, prime ovine, prime caprine, prime au lait de montagne ... - il faut mobiliser un taux de couplage de 10,6 %. Il reste donc des marges de manoeuvre sur un peu moins de trois points. Nous devons consacrer une partie de cette marge à la prime à la vache allaitante, car la part nationale de la prime, financée sur des crédits de l'État, était dérogatoire par rapport aux règles européennes. Or, les règles de la PAC ne permettront plus ce cofinancement. La commission européenne, en contrepartie de la hausse du taux de couplage, a demandé son intégration dans l'enveloppe des aides couplées. Ce choix permettra à la fois une économie budgétaire au niveau national mais aussi une sécurisation du dispositif qui entre désormais dans un cadre normalisé. Avec tout cela, on atteint 12 % des aides. Il reste donc encore 1 % à affecter. C'est sur ce point que portent actuellement les discussions. Il y a une partie de cette aide qui doit aller vers le lait et une autre sur un certain nombre de productions végétales.
Concernant les 2 % relatifs aux protéines fourragères, il y a également un débat pour savoir si ces aides doivent aller uniquement à des protéines fourragères liées directement à l'élevage ou si une partie doit être utilisée pour développer des filières liées à des protéines végétales. L'arbitrage n'est pas encore rendu.
Les choix budgétaires européens ont évidemment un impact sur le budget national. La prime nationale à la vache allaitante passe en effet sur le budget européen. Le budget français peut ainsi afficher une baisse de 3,2 % des crédits sans pour autant que cela soit synonyme de remise en cause des aides que perçoivent aujourd'hui les agriculteurs, en particulier sur l'élevage.
Le dernier point que je souhaite aborder concernant la politique européenne concerne les paiements redistributifs. L'idée du dispositif est de majorer les aides à l'hectare sur les 52 premiers hectares. Cela correspond au choix de garder une agriculture s'appuyant sur des chefs d'exploitation - par opposition à l'exemple picard de l'exploitation des mille vaches, qui correspond à une agriculture aux mains d'investisseurs. Quand ces investisseurs, pour cause de rentabilité insuffisante, retireront leurs fonds, on se retrouvera sans agriculture et sans agriculteurs. Au contraire, avec des aides majorées aux 52 premiers hectares, on crée un lien entre aides à l'hectare et emploi ; on pérennise des emplois agricoles d'exploitants. Par exemple, dans le cas d'un GAEC à trois, la majoration des aides sur les 52 premiers hectares incite à conserver trois exploitants sur une exploitation de 156 hectares réalisant pas loin d'un million de litres de lait. Il est vrai que ce dispositif crée un effet redistributif. En moyenne, cela fait perdre des primes au-delà de 200 hectares. Mais c'est un choix stratégique majeur pour l'avenir de l'agriculture pour les raisons que j'ai indiquées. Le président de la République dans son discours de Cournon a d'ailleurs souligné que 20 % des fonds du premier pilier seraient mobilisés sur ces paiements redistributifs -soit 1,5 milliards d'euros. Cela se fera progressivement.
Sur le deuxième pilier, nous avons négocié des avancées qui seront mises en oeuvre dès la phase de transition en 2014. Les taux de cofinancement ont été augmentés. La part du financement européen dans les aides du deuxième pilier va passer de 50 % à 70 ou 80 %. La hausse du budget européen sur le deuxième pilier permettra cette augmentation des taux sans remise en cause des dispositifs existants.
L'incidence budgétaire est importante au niveau national, car une partie des dépenses nationales est transférée au niveau européen. Avec des dépenses moindres, nous maintiendrons donc les aides existantes, notamment l'indemnité compensatrice de handicap (ICHN), que nous allons même revaloriser de 15 %, les mesures agro-environnementales (MAE) et la politique d'installation pour les jeunes. De la sorte, on concilie sérieux budgétaire et pérennisation de ces grandes politiques dont les agriculteurs ont besoin.
Via la convergence des aides, via le verdissement, via le deuxième pilier, nous assurons un transfert d'un milliard d'euros vers l'élevage !
Un mot sur le verdissement - les fameux 30 % - que je viens d'évoquer incidemment. Le choix a été fait d'un verdissement proportionnel - plutôt que forfaitaire - par exploitation, ce qui permet de garantir pour chaque exploitation le maintien d'une proportion entre aides versées antérieurement et aide versée après la réforme. Nous devons mettre en place trois mesures dans le cadre du verdissement : la diversification des cultures - nous travaillons en particulier pour adapter cette obligation aux cas de monoculture du maïs - le maintien des prairies permanentes, qui sera évalué à l'échelle d'une région et non pas à l'échelle d'une exploitation, et les surfaces d'intérêt écologique (SIE) avec la définition de critères permettant d'atteindre l'objectif par exploitation de 5 % de SIE. Sur ce dernier point, je prendrais l'exemple de la production de chanvre, qui ne consomme pas d'azote et très peu de fongicides. Il est intéressant d'en développer la production à la fois pour des raisons écologiques mais aussi économiques, puisque le chanvre constitue un matériau isolant excellent autour duquel une filière peut se constituer.
J'en viens maintenant de manière plus détaillée au budget de l'agriculture. On reste sur les grandes priorités qui étaient déjà celles de l'année dernière.
- Tout d'abord, la compétitivité de l'agriculture reste un objectif servi par deux mesures fortes maintenues en 2014 : l'exonération de charges sociales pour les travailleurs occasionnels (TODE) et le crédit impôt compétitivité emploi (CICE). Cela représente 1,3 milliards d'euros d'effort sur la compétitivité de l'agriculture et de l'agro-alimentaire.
- Ensuite, la priorité à l'agroécologie, avec la mise en place de nouvelles MAE, est affirmée. Je viendrai présenter les nouveaux systèmes de MAE quand vous le souhaiterez. Aujourd'hui, les MAE consistent à fournir une aide économique pour mener des actions exemplaires sur le plan environnemental à l'échelle de l'exploitation. Le postulat des MAE est que répondre à des contraintes environnementales fortes génère un surcoût pour l'agriculteur qu'il faut compenser. L'agroécologie propose une nouvelle approche consistant à considérer au contraire que l'écologie et l'environnement peuvent être les éléments d'un système économiquement plus efficace. Les MAE « système » qui se mettent en place doivent permettre de maintenir la production en baissant les coûts. Nous visons donc une écologie mobilisatrice et pas simplement normative ou fiscale. L'agroécologie, avec l'enseignement agricole et la recherche sont des enjeux prioritaires.
- Je ne m'attarde pas sur le plan ambition bio et toutes les mesures qui concernent l'apiculture, avec la mise en place toute récente du comité de pilotage stratégique de l'apiculture présidé par le sénateur Alain Fauconnier.
- J'évoquerai l'enjeu de l'installation des jeunes : avec 300 millions d'euros d'aides de toute nature, nous maintenant la priorité à l'installation. Je veux, à terme, parvenir à 8 à 10 000 installations par an. Les chiffres de 2012 font état de 12 000 installations dont 6 000 bénéficiant d'aides à l'installation. Avec les jeunes agriculteurs, nous avons élaboré une charte et tenu des assises de l'installation. Les règles ont été modifiées. La notion de surface minimale d'installation cède la place à celle d'activité minimale d'assujettissement (AMA) -cette notion d'assujettissement renvoyant à l'affiliation à la MSA. Au lieu de considérer seulement la surface des exploitations, on va désormais analyser l'activité agricole et le revenu qui s'en dégage. L'installation doit en effet être liée à la capacité de l'exploitant qui s'installe à dégager un revenu.
- Dans le budget 2014, comme dans la loi d'avenir, un volet est consacré à la forêt. Avec le conseil supérieur de la forêt, nous avons fait un choix stratégique sur la forêt : celui de l'intégration dans une filière économique. Un fonds stratégique de la forêt et du bois est mis en place, ainsi qu'un système d'orientation de l'épargne, le compte d'investissements forestiers et d'assurance (CIFA), qui va permettre que les avantages fiscaux alloués aux propriétaires lorsque le bois est sur pied puissent être transférés sur un compte quand le bois est coupé. Il s'agit ainsi d'inciter les propriétaires privés à passer d'une logique patrimoniale à une logique de production économique. Ce compte spécial est une innovation importante pour activer cette production aujourd'hui déficitaire de 6 milliards d'euros dans la balance commerciale. J'évoquerai également le plan d'investissement pour les scieries. Des discussions sont en cours avec le ministère de l'environnement pour permettre aux scieries d'avoir accès au prix de rachat garantis et de produire de l'énergie par cogénération. Tout cela participe d'une même ambition : faire de la forêt une filière économique à part entière dans le respect des objectifs environnementaux de biodiversité et de développement touristique.
- Concernant l'enseignement agricole, je reste sur la ligne définie l'an dernier. Cet enseignement va participer au projet de produire autrement. Nous créerons 150 postes supplémentaires. J'ai pu voir, dans mes déplacements à l'étranger, que notre enseignement agricole est observé et participe au rayonnement de la France. De nombreux pays souhaitent signer avec la France des conventions de partenariat sur ce thème.
- Enfin, sur les questions sanitaires, la vigilance doit rester de mise, notamment après l'affaire de la viande de cheval. Je souhaite donc maintenir le nombre de postes des services vétérinaires pour assurer le contrôle de la qualité des produits et la sécurité sanitaire.
Je terminerai en soulignant qu'à travers ce budget et la loi d'avenir se manifeste une même ambition, que l'agriculture et l'agroalimentaire prennent toute leur place dans le redressement productif du pays. Nous devons garantir la pérennisation des activités, que ce soit dans le domaine de la volaille ou encore de la méthanisation. Cette dernière est un enjeu essentiel en Bretagne, dans le Pays-de-la-Loire et partout en France. Nous ne sommes pas capables de valoriser le gaz produit par la matière organique. Nous avons un retard énorme à rattraper. L'Allemagne compte 7 000 méthaniseurs, la France, seulement 80. Il faut être plus volontariste !