Intervention de Richard Yung

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 6 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Examen du rapport de mm. richard yung et roland du luart rapporteurs spéciaux sur la mission « action extérieure de l'etat » et communication sur leurs contrôles budgétaires relatifs aux modalités de recrutement et conditions d'exercice des enseignants à l'étranger et aux projets de regroupement immobilier des représentations diplomatiques

Photo de Richard YungRichard Yung, rapporteur spécial :

2014 sera une année de réduction de crédits pour de nombreuses missions. La mission « Action extérieure de l'Etat » ne fait pas exception

Le budget global de la mission, de l'ordre de 3 milliards d'euros, est en baisse de 0,7 %, à périmètre constant et en euros courants. Les crédits sont ainsi légèrement inférieurs à l'annuité 2014 prévue par la dernière loi de programmation des finances publiques.

Les emplois diminuent également, d'environ 2 %, avec une perte de 290 équivalents temps plein (ETP) pour un plafond de 14 505 ETP en 2014.

Le ministère des affaires étrangères (MAE) a donc dû faire des choix, qu'on imagine parfois difficiles, en préparant ce budget et ce sont ces arbitrages que je me propose de mettre en lumière pour deux des trois programmes de la mission (tandis que Roland du Luart nous présentera le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde »).

Tout d'abord, les crédits du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires » augmentent de 5 % par rapport à 2013, en net contraste avec les deux autres programmes.

Certes, une partie de l'augmentation est « subie » par le MAE : d'une part, sur ce programme comme ailleurs, les charges de personnel augmentent alors même que les effectifs diminuent, sous l'effet de facteurs inflationnistes propres aux personnels basés à l'étranger ; d'autre part, 2014 sera une année électorale et 6 millions d'euros seront budgétés à ce titre (4 millions pour les élections à l'Assemblée des Français de l'étranger et 2 millions pour les élections européennes).

Mais deux véritables choix du Gouvernement sont à souligner - et même, de mon point de vue à saluer.

Je pense à la préservation des crédits d'aide sociale à destination de nos compatriotes établis hors de France. La ligne budgétaire correspondante (19,8 millions d'euros) est intégralement maintenue dans ce projet de loi de finances.

Je pense surtout à l'aide à la scolarité des élèves français étudiant dans des établissements français du premier ou du second degré situés à l'étranger. Vous vous souvenez probablement des débats que nous avons eus pendant plusieurs années autour de l'ancienne prise en charge des frais de scolarité (PEC) des lycéens. Quand l'actuel Gouvernement a décidé la suppression de la PEC, dans le cadre du collectif budgétaire de l'été 2012, il a promis d'étendre les bourses scolaires à caractère social dans le but de « rattraper » budgétairement la fin de la prise en charge entre 2013 et 2015. Aujourd'hui, je suis heureux de constater que, même dans un contexte budgétaire difficile, le Gouvernement tient son engagement : les crédits affectés aux bourses progresseront ainsi sensiblement, passant de 110,3 millions d'euros à 118,8 millions.

Pour ce qui concerne le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence », la baisse des crédits s'élève à 3 %.

Cela peut se comprendre, dès lors qu'une large part des crédits est destinée à des opérateurs de l'Etat, lesquels sont désormais invités à participer aux nécessaires efforts financiers à fournir. L'Institut français, Campus France et l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) verront donc chacun leurs crédits diminuer en 2014.

Un simple mot sur l'AEFE, dont les crédits diminueront de 8,5 millions d'euros pour s'établir à 420 millions d'euros : le Gouvernement m'a indiqué que l'essentiel de la baisse sera, en fait, « absorbée » par la stabilisation du taux de cotisation patronale au CAS pensions - alors qu'une augmentation de 1,34 % était initialement programmée. Je prends acte de ces explications. Pour autant, il me semble important de préserver pleinement les moyens d'action de l'AEFE, en cohérence avec la priorité donnée par le Président de la République à l'éducation et à la jeunesse. Un volet de l'amendement que je vous présenterai tout à l'heure a pour objet de marquer symboliquement cette préoccupation.

Ces considérations m'amènent à évoquer mes travaux de contrôle, qui ont justement porté sur les conditions de recrutement et d'emploi des enseignants français à l'étranger.

Le décret du 4 janvier 2002 prévoit deux catégories de fonctionnaires détachés au sein des établissements d'enseignement français à l'étranger :

- d'une part, les personnels expatriés, au nombre de 1 126 au 31 décembre 2012, qui sont recrutés par un contrat d'une durée de trois ans, renouvelable expressément deux fois pour une durée d'un an. Ces postes sont avant tout destinés aux missions d'encadrement, de formation et de contrôle. Une lettre de mission est jointe à leur contrat. Outre leur rémunération indiciaire, les personnels concernés perçoivent une prime d'expatriation ;

- d'autre part, les personnels résidents. Au nombre de 5 372 fin 2012, ils sont censés être « établis dans le pays depuis trois mois au moins à la date d'effet du contrat ». Sont également considérés comme résidents les fonctionnaires qui, pour suivre leur conjoint expatrié, résident dans le pays d'exercice ou de résidence de ce conjoint. Les résidents perçoivent, outre leur rémunération indiciaire, une indemnité spécifique de vie locale (ISVL) en fonction du pays où ils exercent ainsi qu'un avantage familial. Les contrats, d'une durée de trois ans, sont renouvelables tacitement sans limitation dans le temps. Cela est regrettable car des enseignants qui ne rentrent pas ne peuvent faire profiter l'éducation nationale de leur expérience et, comme nous le verrons, cela n'incite pas tous les recteurs à se montrer à autoriser les détachements demandés.

Si, globalement, le système fonctionne correctement (ce que montre l'attractivité de notre réseau d'établissements), mon attention a été attirée sur plusieurs types de problèmes.

Des problèmes d'effectifs : le nombre d'élèves scolarisés à l'étranger, parmi lesquels on compte environ 60 % de non-Français bien utiles pour le financement des établissements et pour l'influence de notre pays, croît. Par exemple, à la rentrée 2011, une progression de 3,8 % du nombre d'élèves a été enregistrée. Or le plafond d'emplois de l'AEFE n'augmente pas, ce qui pourrait, à terme, créer des tensions.

Des problèmes de recrutement : il ressort des auditions que j'ai menées que, quelle que soit la nature des postes visés (expatriés ou résidents), les recteurs, qui ne sont pas partie prenante du processus de sélection, disposent en pratique d'un droit de veto sur le détachement envisagé. Or ces refus deviendraient plus fréquents, notamment dans certaines académies qui connaissent elles-mêmes des tensions en termes d'effectifs, surtout dans les disciplines scientifiques.

Des problèmes liés à la répartition des effectifs : la proportion de personnels détachés dans le corps enseignant est très variable d'un établissement à l'autre, allant de moins de 10 % à plus de 80 %. De plus, la situation actuelle est bien davantage le reflet de situations « historiques » que liée aux réels besoins de chaque établissement. Si les écarts devaient se maintenir ou se creuser, l'image du réseau pourrait en être affectée.

Enfin, des organisations représentatives du personnel soulignent certaines difficultés statutaires, concernant, en particulier, le vide juridique dans lequel les futurs résidents se trouvent pendant les trois mois au cours desquels ils ne peuvent justement pas être considérés comme résidents, ou encore la situation de certains conjoints de résidents qui souhaiteraient eux-mêmes bénéficier de ce statut.

Face à cela, plusieurs types de solutions peuvent être envisagés.

Tout d'abord, il me semblerait équitable que l'AEFE soit pleinement incluse dans la priorité donnée à l'éducation nationale par le Gouvernement. Je vous rappelle, à cet égard, que la première mission que l'article L. 452-2 du code de l'éducation assigne à l'AEFE est « d'assurer, en faveur des enfants français établis hors de France, les missions de service public relatives à l'éducation ». Dès lors il n'y a pas de raison d'exclure l'agence du périmètre de la création de 60 000 emplois dans l'enseignement sur la durée de la législature fixée la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République. La création de 100 à 150 postes par an d'ici à 2017 correspondrait à la « quote-part » de l'AEFE au sein du système éducatif et permettrait de répondre aux besoins.

Pour autant, un accroissement des emplois devrait être envisagé dans un cadre pleinement optimisé. A cet égard, il est indispensable d'introduire de la souplesse au sein du système, la direction de l'AEFE devant être capable de répartir les effectifs sous statut en fonction des besoins. Cela n'est pas facile et nécessitera une forte volonté politique.

S'agissant des vetos opposés par certains recteurs à des détachements, je considère qu'ils peuvent se comprendre dès lors qu'un départ sous statut de résident se traduit par un départ éventuellement définitif de la personne détachée. Afin de remédier à cela, une piste pourrait être la limitation du nombre de renouvellement des contrats de résidents, au moins pour les contrats futurs. Accessoirement, une meilleure connaissance mutuelle de deux univers qui s'ignorent trop souvent pourrait passer par des opérations de type « jumelage » entre les établissements d'un pays et une académie.

Enfin, à plus long terme, au sujet des statuts, la piste de l'élaboration d'un statut unique ou au moins d'un rapprochement des statuts pourrait être avancée, d'autant que la différence entre expatriés et résidents est souvent assez artificielle.

A l'issue de cet examen et de cette communication, et avant que Roland du Luart n'évoque le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde », je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Action extérieure de l'Etat », modifiés par un amendement co-signé des deux rapporteurs et que je vous présenterai tout à l'heure de manière plus détaillée.

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