Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte établissant une Constitution pour l'Europe, signé à Rome le 29 octobre dernier, a pour objet de consolider et de développer les acquis de l'Union européenne.
Ces acquis ont permis à l'Union, qui compte aujourd'hui vingt-cinq Etats membres, de contribuer de manière déterminante à l'émergence, sur notre continent, d'un vaste espace de paix, de prospérité et de liberté, valeurs cardinales au nombre de celles qui sont communes à tous les peuples.
Comme tous les traités, le traité établissant une Constitution pour l'Europe est le fruit d'un compromis, sur la base duquel vingt-cinq Etats aux histoires et aux intérêts particuliers se sont accordés et sont déterminés à unir leurs efforts pour atteindre des objectifs communs qui transcendent leurs différences.
L'enjeu est majeur. En effet, ce n'est pas un traité de plus dans l'histoire de la construction européenne. C'est, sans aucun doute, une nouvelle étape de cette construction.
Le traité innove en améliorant profondément le fonctionnement de l'Union européenne. La consécration du Conseil européen comme institution de l'Union, l'élection d'un président du Conseil européen pour deux ans et demi, la création d'un ministre des affaires étrangères de l'Union, qui permettra à cette dernière de mieux se faire entendre sur la scène internationale, l'intégration de la Charte des droits fondamentaux dans le traité, ce qui conférera aux citoyens de l'Union le plus haut niveau de protection de leurs droits et de leurs libertés, sont quelques exemples emblématiques de cette amélioration.
D'autres dispositions modifient sensiblement l'organisation des compétences et le fonctionnement institutionnel de l'Union, permettant une meilleure lisibilité de l'action d'une Union au sein de laquelle vingt-cinq pays vont travailler et vivre ensemble plus étroitement.
En France, vous le savez, la ratification de ce nouveau traité de Rome se déroulera en deux phases.
La première phase consiste en une révision de notre Constitution. Cette révision est nécessaire pour adapter notre loi fondamentale à celles des stipulations du traité dont le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 19 novembre 2004, a jugé qu'elles n'étaient pas conformes à son texte actuel.
Lors de la seconde phase, suivant la décision du chef de l'Etat, le peuple français se prononcera directement, par la voie du référendum, sur la ratification par la France du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Le projet de loi constitutionnelle qui vous est aujourd'hui soumis a d'abord été élaboré afin de répondre aux incompatibilités existant entre notre Constitution et le traité établissant une Constitution pour l'Europe, sur le fondement des indications figurant dans la décision du Conseil constitutionnel du mois de novembre.
Le Conseil constitutionnel a identifié deux séries de dispositions du traité incompatibles avec notre Constitution.
La première série est relative aux stipulations du traité concernant les compétences de l'Union. Comme en 1992, à l'occasion du contrôle du traité de Maastricht, puis en 1997, lors du contrôle du traité d'Amsterdam, le Conseil constitutionnel a identifié un certain nombre de stipulations prévoyant de nouveaux transferts de compétences au profit des institutions de l'Union, qui, malgré le principe de subsidiarité, ont pour effet d'affecter les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
Sont, à ce titre, notamment visées certaines des stipulations du traité en matière de coopération judiciaire, en matière civile et en matière pénale, mais aussi la création d'un parquet européen compétent pour poursuivre les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union.
D'autres stipulations modifient les règles d'adoption des normes européennes dans des matières ayant déjà fait l'objet de transferts de compétences dans des traités antérieurs et réclament, par voie de conséquence, une révision de la Constitution. Il en est ainsi en ce qui concerne les règles relatives à la structure, au fonctionnement et au domaine d'action d'Eurojust et d'Europol.
La seconde série de stipulations contraires à notre Constitution concerne les nouvelles prérogatives reconnues par le traité aux parlements nationaux : premièrement, la faculté qui leur est ouverte de s'opposer à une décision du Conseil mettant en oeuvre le mécanisme de la clause passerelle générale prévue à l'article IV-444 du traité ; deuxièmement, les pouvoirs reconnus à chaque assemblée parlementaire dans le cadre du contrôle du respect, par les institutions de l'Union, du principe de subsidiarité.
Ces stipulations méritent qu'on s'y arrête quelques instants. En effet, leur objectif est de permettre, comme nous l'avons si souvent demandé, aux parlements nationaux d'assurer un contrôle politique sur les initiatives de la Commission. Pour ce faire, le traité associe directement les parlements nationaux au contrôle de la bonne application du principe de subsidiarité à travers la création de deux procédures.
La première procédure pourra être mise en oeuvre par chacune des assemblées composant notre Parlement. Elle leur permettra, lors de l'examen d'un projet d'acte législatif européen, d'adresser aux institutions européennes un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il est considéré comme susceptible de porter atteinte au principe de subsidiarité.
La seconde procédure permettra, si l'acte est malgré tout adopté, de le déférer à la censure de la Cour de justice de l'Union européenne.
Ce dispositif confère, pour la première fois, un rôle actif aux parlements nationaux dans le processus décisionnel européen. Il s'agit là, me semble-t-il, d'une avancée majeure vers une Europe plus démocratique et plus proche de ses citoyens.
Le projet du Gouvernement, qui a fait l'objet de quelques améliorations lors de son examen par l'Assemblée nationale, est organisé en trois volets.
Le premier volet comprend l'article 1er du projet de loi. Son objet est à la fois unique et simple : il s'agit de lever les obstacles constitutionnels à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Sa rédaction, qui renvoie au traité signé en octobre dernier, est suffisamment générale pour couvrir toutes les inconstitutionnalités que ce traité est susceptible de contenir. L'entrée en vigueur de cet article ouvrira la voie à l'organisation du référendum.
Le deuxième volet est constitué par l'article 3 du projet de loi. Il se distingue des trois autres articles par sa substance, beaucoup plus importante, ainsi que par le fait que son dispositif n'entrera en vigueur, il faut l'avoir à l'esprit, que lorsque tous les Etats membres de l'Union auront ratifié le traité établissant une Constitution pour l'Europe. L'article 3 consiste en une réécriture totale du titre XV de la Constitution, réécriture rendue nécessaire par les modifications profondes qu'induit la mise en oeuvre du traité.
C'est également l'ampleur de ces modifications qui a commandé que ce dispositif n'entre pas en vigueur avant le traité lui-même. Notamment, les nouvelles prérogatives du Parlement français en matière de contrôle du respect du principe de subsidiarité par les institutions européennes ne pourront être mises en oeuvre que lorsque le traité établissant une Constitution pour l'Europe aura été ratifié.
Toutes les modifications apportées au titre XV de la Constitution n'auront pas, pour autant, la même ampleur. Ainsi, les articles 88-1 et 88-2 seront profondément remaniés.
Au moment où le traité entrera en vigueur, le nouvel article 88-1 de la Constitution, qui continuera à consacrer le principe de la participation de notre pays à l'Union européenne, aura également pour objet et pour effet de lever les obstacles constitutionnels à la mise en oeuvre des stipulations de ce traité.
Ces obstacles, comme je vous l'ai indiqué, sont nombreux et divers. Le Conseil constitutionnel n'en a pas présenté une liste exhaustive. Dès lors, il n'était pas nécessaire d'établir, dans la Constitution, comme cela avait été fait en 1992 et en 1999, la liste des domaines dans lesquels la France consent aux transferts de compétences prévus par le traité.
Il est simplement précisé dans le nouvel article 88-1 que la participation de la République française à l'Union européenne s'entend « dans les conditions fixées par le traité établissant une Constitution pour l'Europe signé le 29 octobre 2004 ». Cette formulation, semblable à celle qui est utilisée à l'article 1er du projet de loi, produit les mêmes effets : toutes les inconstitutionnalités contenues dans les stipulations de ce traité seront couvertes juridiquement par ce dispositif. Dans le même temps, ce dispositif assurera qu'à l'avenir, si un nouveau traité devait être conclu, les inconstitutionnalités qu'il pourrait contenir imposeraient une nouvelle révision de la Constitution.
La conséquence de ce choix est de faire disparaître les deux premiers alinéas de l'actuel article 88-2, qui, intégrés au nouvel article 88-1, n'ont plus de raison d'être.
Seul le troisième alinéa de l'article 88-2 actuel sera maintenu. En effet, les inconstitutionnalités qu'il a pour objet de couvrir trouvent leur source non pas dans les traités, mais dans des actes de droit dérivé pris par les institutions européennes. Pour assurer leur pérennité et pour que les règles régissant le mandat d'arrêt européen continuent de s'appliquer en France, il est donc indispensable de maintenir cet alinéa dans notre Constitution.
Les articles 88-3 et 88-4 ne faisaient l'objet que de modifications de forme dans le projet initial du Gouvernement.
S'agissant de l'article 88-3, qui prévoit la possibilité - mais c'est aujourd'hui une réalité - de conférer aux citoyens de l'Union européenne, dans certaines conditions, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales, le Gouvernement a choisi de faire disparaître la réserve de réciprocité et l'adjectif « seuls » qui figurent au premier alinéa de cet article.
En effet, la réserve de réciprocité, classique dans le cadre du droit international, n'a pas de sens s'agissant d'un dispositif européen.
Quant à l'adjectif « seuls », dès lors que l'article 88-3 ne permet pas d'accorder le droit de vote à des ressortissants de pays qui ne sont pas membres de l'Union européenne, il est sans utilité juridique.
Ainsi, dans les deux cas, les modifications apportées au texte constitutionnel sont sans portée juridique.
L'article 88-4, en revanche, a été, au terme d'un débat de grande qualité, sensiblement modifié sur le fond par l'Assemblée nationale.
Cet article, vous le savez, impose au Gouvernement de transmettre au Parlement les projets ou propositions d'acte des Communautés européennes ou de l'Union européenne comprenant des dispositions de nature législative et leur permet d'adopter des résolutions à leur sujet.
Outre la suppression de la référence aux Communautés européennes, absorbées par l'Union, la notion de « dispositions de nature législative » a été remplacée par celle de « dispositions du domaine de la loi » pour éviter l'ambiguïté entre les notions d'acte législatif européen et d'acte législatif français. Les mots « domaine de la loi » figurent déjà dans six autres articles de la Constitution de 1958 et permettent, en renvoyant à l'article 34, de dissiper tout risque de confusion.
Mais à ces modifications de forme, d'ordre mineur, l'Assemblée nationale a ajouté, avec l'accord du Gouvernement, une modification de fond relative au champ d'application de cet article.
Le Gouvernement, je le rappelle, n'entend pas qu'à l'occasion de la présente réforme de la Constitution la répartition des compétences entre les pouvoirs exécutif et législatif, telle qu'elle résulte de la Constitution, soit remise en cause.
Pour autant, le Gouvernement a bien compris la préoccupation des parlementaires quant à la place des assemblées dans le processus d'élaboration de la norme européenne. C'est pourquoi il a pris deux engagements forts.
Le premier s'est concrétisé par le soutien apporté à l'amendement qui a rallié les suffrages des députés. Celui-ci a pour objet de prévoir la transmission obligatoire au Parlement de tous les projets d'acte législatif européen, quel que soit leur contenu. Cela permettra à chaque assemblée parlementaire d'adopter, sur le fond, des résolutions relatives à un projet d'acte législatif européen. Une telle orientation est cohérente avec celle du traité, qui rend les parlements nationaux systématiquement destinataires de ces projets par les institutions européennes elles-mêmes.
Le deuxième engagement du Gouvernement concerne la mise en oeuvre des dispositions de l'article 88-4. La circulaire du 13 décembre 1999 qui organise cette mise en oeuvre sera modifiée ou remplacée. Y figurera la règle selon laquelle, à la demande d'une assemblée parlementaire ou de l'une de ses commissions, les documents qui n'entrent pas dans le cadre de la transmission obligatoire au Parlement devront être transmis, sauf exception. Les avis alors rendus par l'une ou l'autre assemblée devront faire l'objet d'un examen attentif de la part du Gouvernement.
Le Parlement français disposera ainsi de prérogatives d'information et d'action propres à garantir sa participation active au processus d'élaboration de la norme européenne.
Enfin, les articles 88-5 et 88-6 sont totalement nouveaux. Ils ont pour objet de permettre aux assemblées parlementaires françaises de mettre en oeuvre les prérogatives nouvelles que le traité établissant une Constitution pour l'Europe leur reconnaît.
L'article 88-5 a été, avec l'accord du Gouvernement, entièrement réécrit à l'Assemblée nationale. II permettra à chaque assemblée, dans des conditions d'initiative et de discussion fixées par son règlement intérieur, de voter des résolutions lui permettant, d'une part, d'émettre un avis motivé à destination des institutions européennes lorsqu'un projet d'acte législatif européen est susceptible de méconnaître le principe de subsidiarité et, d'autre part, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne dans le cas où l'acte en cause serait tout de même adopté.
Compte tenu des délais relativement brefs dans lesquels ces résolutions doivent intervenir, il est prévu qu'elles puissent être adoptées en dehors des périodes de session. Les termes utilisés doivent permettre à chaque assemblée d'adopter ces résolutions sans inscription systématique à l'ordre du jour d'une séance publique.
Le Gouvernement, qui est tenu informé dans le premier cas, a pour seul rôle de transmettre à la Cour de justice les recours décidés sur le fondement du deuxième alinéa.
L'article 88-6, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, est relatif à la mise en oeuvre du droit de veto reconnu aux parlements nationaux de se prononcer d'une seule voix, y compris lorsqu'ils sont composés de manière bicamérale, contre la mise en oeuvre du mécanisme de révision simplifiée figurant à l'article IV-444 du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Là encore, ce sont les règlements intérieurs des deux assemblées qui devront fixer les modalités procédurales d'adoption de la motion commune votée en termes identiques - j'y insiste - par laquelle le Parlement français pourra faire échec au passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée dans les domaines de compétence matérielle de l'Union européenne.
L'article 88-7 n'appelle pas d'observations particulières puisqu'il est destiné à reprendre les dispositions que l'article 2 du présent projet de loi aura intégrées à l'article 88-5 de la Constitution en attendant l'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Ces dispositions font partie du troisième et dernier volet de ce projet de loi, qui comprend les articles 2 et 4 et qui entrera en vigueur même si le traité établissant une Constitution pour l'Europe n'était pas ratifié par tous les Etats.
Il a pour objet de concrétiser l'engagement pris par le Chef de l'Etat de soumettre au peuple français, par la voie du référendum, toute nouvelle adhésion d'un Etat à l'Union européenne.
Seul le principe de ce recours au référendum sera inscrit dans la Constitution. Les dispositions de l'article 4 du projet de loi, qui présentent un caractère transitoire, n'y figureront pas. Leur objet est de réserver le cas des pays pour lesquels les négociations en vue de leur adhésion ont déjà commencé ou sont sur le point de commencer. Il ne faut pas, en effet, que soient modifiées les règles qui étaient applicables lorsque ont été décidées les négociations en vue de l'adhésion de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à l'issue de mon propos, je tiens à souligner de nouveau l'importance du projet de loi constitutionnelle qui vous est aujourd'hui soumis.
En adaptant la Constitution de notre pays pour permettre que la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe soit proposée au peuple français, il constitue une étape nécessaire dans le processus qui permettra à la France de poursuivre, avec ses vingt-quatre partenaires, la construction d'une Union européenne seule à même, j'en suis convaincu, de garantir la paix et la prospérité de ses membres.