Intervention de Bernard Seillier

Réunion du 15 février 2005 à 16h00
Modification du titre xv de la constitution — Discussion d'un projet de loi contitutionnelle

Photo de Bernard SeillierBernard Seillier :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, dans le débat qui nous occupe aujourd'hui, je voudrais m'intéresser surtout au rôle de notre Parlement, fondement de la République, dans la perspective d'une nouvelle construction européenne.

Il me semble souhaitable que le Parlement français puisse se saisir des projets de texte des institutions européennes. Plus il pourra intervenir en amont avec le Gouvernement, plus il pourra peser sur les décisions. Il faudrait, de ce point de vue, compléter l'article 88-4 de la Constitution pour créer un droit d'investigation, permettant au Parlement d'avoir accès à tout document émanant d'une institution européenne. Dans cette perspective, la proposition de notre collègue Hubert Haenel tendant à la création d'une commission de l'Union européenne à l'Assemblée nationale et au Sénat me semble la bienvenue.

Il apparaît toutefois nécessaire que la France, pionnière de la construction européenne, améliore ses performances en matière de délai de transposition des directives. C'était d'ailleurs l'objet de la proposition de loi déposée par le groupe du RDSE en 2001 et visant à réserver une séance mensuelle à la transposition des directives communautaires.

Toujours pour améliorer le fonctionnement de notre démocratie, le Président de la République a souhaité que l'adhésion des futurs Etats soit soumise à référendum. Cette consultation me paraît indispensable et implique, bien sûr, qu'il y ait autant de questions prévues que d'Etats candidats.

Par ailleurs, le traité constitutionnel donne aux Etats membres la liberté de se désengager de l'Union à condition que l'Etat concerné le prévoie dans ses règles constitutionnelles. Or tel n'est pas à ce jour le cas pour la France : pour le moment, notre Constitution ne le permet pas. Il me semblerait opportun d'y introduire cette mesure afin d'apaiser un certain nombre d'inquiétudes.

Se posera aussi le problème du contrôle de la subsidiarité. Comment celui-ci va-t-il s'exercer concrètement ? Si les compétences exclusives de l'Union sont assez clairement énoncées, un grand flou persiste s'agissant des compétences partagées. Plus simplement, la subsidiarité imposerait que soient mieux définies les compétences attribuées aux nations et à l'Union.

Une grande confusion règne sur cette notion de subsidiarité faute d'admettre qu'elle n'est pas principalement procédurale, mais qu'elle est indissociable de l'essence même de la démocratie. La participation des citoyens à l'organisation de leur destin implique que, pour chaque catégorie de problèmes, soit reconnue une compétence au niveau le plus proche du citoyen, dans la mesure, bien sûr, où celui-ci est en mesure de l'assumer seul. C'est l'esprit même de la décentralisation ! C'est aussi un principe d'efficacité. Il est significatif qu'une grande organisation mondiale comme l'Organisation international du travail assoie aujourd'hui leur stratégie de progrès en matière de droit du travail sur cette conception de la subsidiarité. L'Europe devra tôt ou tard s'y résoudre pour être efficace.

Celles et ceux, dont je suis, qui pensent que la réalité nationale est une assise politique, culturelle, économique et sociale incontournable, mais non exclusive, pour les citoyens d'un pays savent que l'attrait que constitue l'Union européenne pour des millions de femmes et d'hommes des nations de l'ancien bloc soviétique comporte bien cette double exigence d'affirmation de soi et de dépassement de soi. Les manifestations dans les rues de Kiev, en décembre dernier, étaient significatives à ce titre.

Comment répondre à l'appel de ces peuples qui ont souvent recouvré la liberté depuis peu de temps, sans aussitôt mépriser leur souveraineté retrouvée et transformer leurs parlements en simples chambres d'enregistrement dont les pouvoirs seraient confisqués au profit de superstructures lointaines ?

Mais cet élargissement à l'Est ne peut pas être contingenté a priori par des critères quantitatifs, nécessairement arbitraires. Après les adhésions de 2004, celles qui se dessinent avec la Croatie, la Bulgarie, la Roumanie en 2007 - et pourquoi pas, demain, l'Ukraine, des pays des Balkans ? - modifieront non seulement la configuration de l'Union, mais également la nature même du projet communautaire.

Les plus chauds partisans des institutions européennes actuelles le reconnaissent eux-mêmes : toute idée d'Europe fédérale à vingt-cinq, demain à trente, est désormais un objectif difficile à atteindre, si ce n'est sous la forme d'une vaste zone de libre-échange et de coopérations renforcées. D'où l'urgence, pour la France, de se recentrer sur la défense de ses intérêts nationaux et de se fixer des objectifs concrets servis par la constitution d'alliances.

Tel est le défi que nous avons à relever aujourd'hui !

C'est en effet au travers des coopérations renforcées que les nations et leurs parlements devraient devenir les véritables acteurs de la nouvelle construction européenne envisagée. Or ces coopérations renforcées prévues par le traité constitutionnel sont inapplicables dans les faits : les Etats doivent réunir au moins un tiers des Etats membres, huit aujourd'hui, dix dans une Europe à trente, pour constituer de telles coopérations. La Commission soumettra, selon son bon vouloir, la proposition au Conseil, qui donnera son autorisation à la majorité qualifiée, et ce après l'approbation du Parlement européen.

De telles initiatives sont condamnées par avance en raison de la complexité de la procédure.

En revanche, il est, à mes yeux, une disposition du traité plus prometteuse, bien qu'elle ne soit prévue pour l'instant que dans le domaine militaire. Il s'agit des coopérations structurées, réservées aux Etats membres remplissant des critères élevés en matière de capacités militaires. Ici, la souplesse et l'efficacité sont de mise. Une telle coopération pourra être lancée à partir du moment où deux Etats le souhaiteront. La liste des Etats participants étant arrêtée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée, seuls ces mêmes Etats fondateurs de la coopération structurée pourront se prononcer ultérieurement sur la venue des Etats qui envisageront de les rejoindre.

Mes chers collègues, que le oui ou le non l'emporte en juin prochain, le traité de Nice ou le traité constitutionnel devra tenir compte de ces réalités. Les coopérations nouvelles devront être rendues aussi souples que les coopérations structurées et être ouvertes à d'autres domaines, notamment la politique étrangère, la protection de l'environnement, la recherche, la politique industrielle... Celles et ceux qui voudront aller de l'avant devront avoir la possibilité d'avancer ensemble, quitte à ce que les autres les rejoignent ensuite. Construisons, ainsi, un projet européen souple et novateur !

Ce type de coopérations devra être piloté par les gouvernements et les parlements nationaux des pays membres. Elles permettront ainsi aux parlements nationaux de retrouver le pouvoir qui leur revient de droit puisqu'ils sont l'émanation des peuples, et de faire en sorte qu'ils interviennent davantage dans les prises de décisions. Les parlementaires des différents parlements nationaux devront travailler ensemble dans le cadre d'une COSAC rénovée, qui pourrait devenir à terme un Sénat européen.

Notre Parlement ne doit pas devenir une simple chambre d'enregistrement, mais il lui faut au contraire retrouver sa vocation démocratique fondatrice. La loi reste un élément du bien commun de chaque peuple : lorsque, à partir de ces coopérations, un projet imposera des convergences législatives, les parlements interviendront en amont.

Le ministre allemand des affaires étrangères, M. Joschka Fischer, déclarait en 2002 : « Les Etats-nations sont des réalités indispensables, et plus la mondialisation et l'européanisation créent des superstructures éloignées du citoyen, plus les êtres humains s'accrocheront à la sécurité et à l'abri moral que leur apportent les Etats-nations. »

Pour que notre Europe n'implose pas demain comme a implosé hier le bloc soviétique sous le poids d'une bureaucratie paralysante, et pour qu'elle ne se dissolve pas non plus dans une banale zone de libre échange sans âme, il faut imaginer de véritables fonctions structurantes autour de projets politiques spécifiques. C'est la condition pour que la réalité nationale ne soit pas niée ou, au contraire, considérée comme un absolu indépassable, ce qu'elle ne saurait être.

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