Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, longtemps, les institutions de l'Union européenne ont fait l'objet d'un procès en carence démocratique. On a dénoncé, à plus ou moins juste titre et avec plus ou moins de vigueur, la construction technocratique de l'Europe, le poids excessif d'une bureaucratie omnipotente et incontrôlée, aussi peu soucieuse de l'opinion publique qu'éloignée des préoccupations des citoyens.
Un Parlement européen qui a pu paraître déconnecté des réalités quotidiennes, un Conseil des ministres prenant des décisions à valeur législative sans aucun contrôle d'une assemblée, une Cour de justice consacrant des extensions de compétences à travers ses arrêts ont ajouté à la confusion ou à l'incompréhension qui entourent les institutions européennes.
Quant aux parlements nationaux, ils se sont bien souvent sentis écartés de la construction européenne, dépossédés de leur pouvoir de contrôle sur l'exécutif ou le processus législatif, réduits à un rôle de transposition de textes sur lesquels ils n'avaient aucune prise.
Le traité établissant une nouvelle constitution pour l'Europe remédie profondément à cette situation.
Les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe, qui se sont déroulés en 2002 et 2003 et auxquels nos collègues Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour les affaires européennes, et Robert Badinter ont pris une part très active, ont permis d'inscrire dans le traité des avancées démocratiques remarquables.
Le pouvoir de codécision du Parlement européen dans la législation européenne est étendu à quelque trente-quatre nouveaux domaines d'action, notamment en matière de marché intérieur et de justice et affaires intérieures. La part des textes à l'adoption desquels il est associé passe de 75 % à 95 % de l'ensemble des décisions de nature législative.
Le Parlement obtient une égalité de droit avec le Conseil pour l'adoption de l'ensemble du budget européen et le droit d'approbation sur le cadre financier de la programmation pluriannuelle des finances européennes. Enfin, et surtout, il élit le président de la Commission européenne.
Toutefois, il convient essentiellement de noter que, en vertu du principe d'attribution, l'Union européenne ne peut intervenir que dans la limite de ses compétences et pour autant que celles-ci lui aient été attribuées. Or le fait que l'Union ne dispose pas de la compétence de ses compétences montre bien qu'elle est non pas un état fédéral mais une union d'Etats souverains.
Les deux principes de subsidiarité et de proportionnalité reconnus par le traité relèvent de cette constatation. Ils laissent aux parlements des Etats membres une large marge d'autonomie, car le domaine des compétences partagées ou des compétences d'appui ou de coordination et de complément demeure très large.
Le respect de ces dispositifs est contrôlé par la Cour de justice.
La réforme de notre Constitution a pour objet de rendre nos institutions et nos procédures compatibles avec le traité.
Les remarquables exégèses de ce traité auxquelles se sont livrés le président de la délégation européenne et le rapporteur du projet de loi me conduisent à ne présenter d'observations que sur le renforcement du rôle du Parlement, défini par les articles 88-4, 88-5 et 88-6, ainsi que sur l'article 88-7, relatif au référendum autorisant l'adhésion d'un nouvel Etat à l'Union européenne.
L'article 88-4 a trait au contrôle a priori exercé par le Parlement sur « les projets d'actes législatifs européens ainsi que sur les autres projets ou propositions d'actes de l'Union européenne comportant des dispositions qui sont du domaine de la loi ».
Cette rédaction, que M. le rapporteur a qualifiée de « sage et cohérente », a le mérite de la logique. Certes, elle peut contrevenir à la distinction établie par notre Constitution entre la loi et le règlement, mais il faut convenir que l'exécutif enfreint très régulièrement la limite instituée par la Constitution de 1958 en présentant des projets de loi comportant de nombreuses dispositions qui ressortissent au domaine réglementaire.
Mais il serait surtout difficilement compréhensible d'avoir deux régimes de contrôle différents pour une même catégorie d'actes juridiques. Ce que le Parlement veut apprécier, approuver ou empêcher, c'est bien une loi, appelée à s'appliquer de manière uniforme sur le territoire de l'Union. Les critères du traité définissant la loi doivent donc prévaloir, en l'occurrence, sur les critères qui figurent dans notre Constitution et fixent le domaine de la loi. L'amendement adopté par l'Assemblée nationale sur l'initiative de MM. Floch et Lequiller nous a semblé, dès lors, très opportun.
En revanche, en soumettant à l'appréciation du Gouvernement la transmission des « autres projets - non législatifs -, ainsi que toutes propositions d'actes ou tout document émanant d'une institution européenne », nous ferons surtout preuve de bon sens.
Comme l'a fait remarquer notre collègue Hubert Haenel, le Gouvernement transmet d'ores et déjà aux assemblées parlementaires l'ensemble des documents des Communautés européennes et de l'Union européenne, soit environ un millier de documents chaque année. Malgré la faculté qui leur a été offerte, l'Assemblée nationale et le Sénat, en onze ans, n'ont voté respectivement que cent quarante et une et quatre-vingt-seize résolutions.
En outre, M. le garde des Sceaux nous a indiqué que le Premier ministre s'apprêtait à modifier la circulaire d'application de l'article 88-4 de la Constitution pour préciser qu'il serait « donné suite dans toute la mesure possible aux demandes de communication d'actes qui seraient exprimées par les présidents de chacune des assemblées ou les présidents de leurs commissions permanentes. »
Les assemblées ont bien du mal à gérer le stock actuel de documents. Que feront-elles si on leur demande d'en examiner le double ?
Cependant, il est absolument nécessaire de borner l'espace permettant l'adoption de résolutions par les assemblées afin de garantir les prérogatives réservées par l'article 52 de la Constitution au Président de la République et par l'article 20 au Gouvernement.
L'exécutif, dans la préparation ou l'élaboration de certaines décisions complexes et délicates du Conseil européen, doit bénéficier de la marge d'action et de la liberté de manoeuvre indispensables pour procéder, le cas échéant, aux concessions ou aux compromis nécessaires.
Les motions votées par les assemblées ne sauraient constituer pour le Gouvernement ni des instruments de harcèlement ni des injonctions. C'est pourquoi, comme de l'alcool, on doit en user avec modération.