Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la discussion que nous avons aujourd'hui présente l'immense mérite de marquer le retour de l'Europe non en tant que notion sans limite, un peu « dévertébrée », mais au contraire en tant qu'élément structurant de notre modèle de civilisation.
Bien sûr, ce modèle de civilisation est complexe. Ce n'est pas seulement la paix, la prospérité et les droits de l'homme. C'est aussi est bien autre chose. C'est un modèle politique, social et culturel, que nous avons construit au fil des siècles, fondé sur une philosophie qui place l'homme au centre de tout et où, très naturellement, l'économique est soumis à la fois au politique et au social. C'est ce modèle de civilisation que nous entendons défendre et que nous souhaitons promouvoir. C'est pour cette raison que nous voulons une Europe forte et organisée.
En effet, le traité établissant une Constitution pour l'Europe met en place non seulement des institutions, mais encore une Union européenne plus cohérente, plus visible, fonctionnant de façon plus claire, plus démocratique, dans laquelle tant le Parlement européen que les parlements nationaux retrouvent toute leur place et toute leur importance.
Pour le groupe UC-UDF, le traité constitutionnel est un acte important, fondamental, et nous souhaitons que sa ratification par référendum soit un succès. Nous voulons que ce traité devienne une réalité. C'est forts de cette volonté et de cette certitude que nous entamons l'examen du projet de révision constitutionnelle, avec un désir de liberté dans le débat et un désir de responsabilité dans le résultat.
Le traité établissant une Constitution pour l'Europe n'est pas un texte banal. Il apporte un certain nombre de progrès, dont je voudrais dire quelques mots avant d'aborder la révision constitutionnelle en elle-même.
Comme tout texte important, ce traité relève du symbole comme il relève du droit. Le symbole n'est pas à négliger. Je sais bien que les mots ne créent pas les règles de droit, mais les mots créent un mouvement vers les règles de droit. Il n'est pas du tout indifférent que l'on ait pu parler à la fois de Constitution et d'Europe ; pour notre part, nous y sommes extrêmement sensibles.
Pour ce qui est des règles de droit, je voudrais simplement insister sur quelques points qui me paraissent fondamentaux.
Tout d'abord, quoiqu'il existe un certain nombre de limites et d'interprétations, pour la première fois, la primauté du droit de l'Union est affirmée dans un texte européen. Il est essentiel que le droit de l'Union s'applique immédiatement et uniformément sur l'ensemble du territoire communautaire. C'est un progrès d'une nature dont on ne peut encore aujourd'hui entrevoir toutes les conséquences, d'autant que le traité constitutionnel dispose que c'est à travers la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes qu'il faut interpréter cette notion.
L'inclusion de la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution constitue également un acte très important sur le plan juridique. C'est une chose de proclamer des droits - c'est ce qui a été fait à Nice -, c'en est une autre de les inclure dans un texte de portée normative.
On peut discuter à l'infini sur la question de savoir si l'Union européenne peut entrer dans des catégories juridiques classiques. En fait, je crois que ces dernières ne sont pas adaptées à l'originalité de la construction de l'Union européenne. En revanche, on peut dire que la Constitution prévoit des procédures, des règles qui, sur le mode communautaire, sont considérablement renforcées et vont donc changer complètement les façons de faire, les habitudes des acteurs institutionnels de l'Union européenne.
Désormais, s'agissant des textes législatifs européens, lois ou lois-cadres, deux législateurs sont à égalité de pouvoirs : le Conseil des ministres et le Parlement. C'est la procédure de droit commun, ce que l'on appelait autrefois la codécision. Désormais, il faudra un accord entre ces deux législateurs européens. Au sein du Conseil des ministres lui-même, c'est la règle de la codécision qui deviendra fondamentale, habituelle, de droit commun.
Cela va forcément amener les vingt-cinq Etats à avoir une attitude nouvelle. En effet, au sein du Conseil des ministres, ils devront être capables, de construire des politiques européennes à long terme, d'avoir des alliés, de constituer une coalition. S'agissant d'un organe collégial et législatif, il faudra constituer, au sein de ce Conseil, une majorité comme il en existe dans toute assemblée législative.
Cette notion même de coalition, de majorité, est un élément profondément novateur qui doit nous amener, en droit interne, à de nouveaux types de relations entre le Parlement et le Gouvernement.
Désormais, les Etats membres n'auront plus, seuls, le droit d'initiative. Ils devront trouver des alliés pour proposer des textes de nature législative. Il n'y aura plus de droit de veto automatique ; il y aura une majorité qualifiée.
Tout cela constitue l'apport de la Constitution européenne, et c'est, je crois, ce qui va considérablement changer les méthodes de fonctionnement de l'Union européenne. De ce point de vue, en tant que membres de l'UDF, nous sommes fiers du travail accompli par la convention, par la conférence intergouvernementale, et donc du traité lui-même, car, comme l'ont souligné les orateurs précédents, en plus des modifications de fond qui mettent le Conseil des ministres - organe législatif - à égalité avec le Parlement, des relations nouvelles sont créées au sein de l'Union - c'est l'autre grande nouveauté - entre les parlements des Etats membres et le Parlement européen lui-même.
Je ne reviendrai pas sur l'article 88-4, mon collègue Pierre Fauchon en parlera mieux que je ne pourrais le faire, ni sur le problème de la subsidiarité, dont mon collègue Denis Badré traitera au nom de notre groupe.
Je voudrais m'attarder, en revanche, sur un rôle nouveau des parlements nationaux dans les procédures de révision simplifiée des traités et évoquer les « clauses passerelles ».
Les parlements nationaux auront un rôle essentiel, celui de permettre ou d'empêcher une révision constitutionnelle. C'est une innovation majeure, notamment pour une nation comme la nôtre, dans la mesure où, comme on l'a rappelé il n'y a pas très longtemps à cette tribune, la négociation et la ratification des traités constituaient une compétence réservée de l'exécutif, en l'occurrence du Président de la République.
Ainsi, ce traité établissant une Constitution européenne pourra, si le Conseil le veut et si les parlements nationaux ne s'y opposent pas, être modifié par un processus interne, sans ratification.
Si l'on ajoute au rôle actuel du Parlement au titre de l'article 88-4 ses nouvelles compétences en matière de révision simplifiée et de subsidiarité, on peut dire que la Constitution européenne introduit, au niveau à la fois européen et local, un nouvel équilibre des pouvoirs permettant de concilier le fonctionnement de l'Union et le maintien d'un enracinement dans chacun des Etats. C'est une chose remarquable qui ne peut que recueillir notre soutien.
Nous sommes donc satisfaits de ce traité, mais nous ne le sommes pas béatement, car nous savons bien que l'on aurait pu aller plus loin. Il nous paraît toutefois bien meilleur que tout ce qui a été fait jusqu'à présent, et c'est pourquoi nous voulons que le référendum soit un succès, afin que le traité soit ratifié et qu'il entre en application. Je suis sûr que les acteurs qui seront désignés pour faire fonctionner les institutions dans ce nouveau cadre juridique sauront s'emparer de ces règles et les faire évoluer.
Arrivera-t-on ou non à un Etat fédéral ? Plusieurs d'entre nous semblent craindre une telle issue. Pour ma part, je ne la crains pas, mais je ne crois pas qu'un fédéralisme, au sens classique du terme, soit vraiment nécessaire pour l'Union européenne. La France et l'Espagne, ce n'est sûrement pas le Connecticut, la Saxe-Anhalt ou même la Bavière !
Toutefois, on voit bien que l'on a bâti quelque chose de nouveau, où la primauté du droit européen, évoquée par M. Shoettl dans la note qu'il a faite après la décision du Conseil constitutionnel, est affirmée. Seuls trois éléments distinguent le « mode communautaire », que nous connaissons aujourd'hui, et « le mode fédéral » : le principe de laïcité, le principe d'égal accès aux emplois publics et la saisine du Conseil constitutionnel avec la réponse qui y est donnée dans le mois qui suit. Si la différence ne tient qu'à cela, je l'accepte d'autant plus que les Européens sauront faire vivre sur un mode communautaire, sur un mode intégré, ce qu'il est nécessaire de faire vivre !
Par conséquent, nous sommes favorables à ce traité, je le dis très clairement, et nous prendrons toute notre part dans la procédure de ratification par référendum.