L'accord que je vais vous présenter est un projet ambitieux, il marque une étape décisive pour un projet d'infrastructure majeur mis à l'étude depuis plus d'une quinzaine d'années par les gouvernements français et italien : la construction d'une liaison ferroviaire nouvelle entre Lyon et Turin. Une large partie de l'itinéraire sera vouée non seulement aux trains de voyageurs, mais également au trafic de marchandises, notamment par ferroutage.
Vous connaissez comme moi la situation actuelle du trafic transalpin : il est principalement routier. En termes de fret, les chiffres sont particulièrement éloquents : 85% des tonnes de marchandises qui traversent les Alpes sont acheminées par transport routier et 15% par le ferroviaire. La ligne ferroviaire du Mont-Cenis est ancienne et inadaptée à nos systèmes de transport actuels : située à une altitude très élevée (1300m) avec des rampes d'accès en pente forte, les convois de fret ne peuvent les passer sans rajouter de locomotive supplémentaire. En termes de trafic de marchandises, Vintimille est le point de passage le plus important en France, et le deuxième passage alpin. Les trafics s'élèvent à 1,3 million de poids lourds en 2011.
On ne peut passer sous silence les nuisances provoquées par ce trafic ! Entre 1980 et 2005, le volume total de transport de transit a plus que doublé. En 2011, comme en 2010, 2,7 millions de poids lourds ont franchi les passages franco-italiens, soit une moyenne de 7400 camions par jour. Même si le nombre de poids lourds traversant les Alpes est resté constant ces dernières années, les conséquences sont ressenties, particulièrement en termes de nuisances sonores et de pollution. Il est urgent de désengorger les Alpes. À cela s'ajoute le risque sécuritaire. Nous avons tous en mémoire les tragiques accidents qui se sont produits dans les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus, ainsi que dans celui du Gothard en Suisse.
Le projet dont nous parlons aujourd'hui n'est pas nouveau, et il a déjà été entériné par deux accords, l'un en 1996 et l'autre en 2001. Ces accords, tout comme celui-ci, n'enclenchent pas les travaux ! Ce sont des accords préparatoires formalisant en particulier les études, la gouvernance et mettant en place des outils adaptés pour une meilleure réalisation du projet. Cette nouvelle ligne ferroviaire s'inscrit pleinement dans l'objectif de création d'un réseau européen de transport, voulu par la Commission européenne, et est un maillon du corridor méditerranéen allant d'Algésiras à la frontière orientale de l'Union. Ce sera une ligne mixte passagers et fret, d'une longueur de 269 kilomètres dont 193 kilomètres en tunnels et 76 kilomètres à l'air libre.
Cette ligne sera divisée en trois tronçons : un accès français entre Lyon et St Jean de Maurienne, d'une longueur de 140 kilomètres ; une section transfrontalière entre St Jean de Maurienne et Suse/Bussoleno, de 64 kilomètres ; un accès italien entre Suse/Bussoleno et Turin, d'une longueur de 65 kilomètres. Plusieurs types de trains circuleront : des trains de voyageurs (TGV et TER) pourront circuler jusqu'à une vitesse de 220 km/h et les trains de fret et d'autoroute ferroviaire jusqu'à une vitesse de 120 km/h. À terme, les temps de transport seront donc considérablement réduits : Paris-Milan se fera en 4h contre près de 7h aujourd'hui.
Je passe rapidement sur les dispositions de l'accord, vous trouverez toutes les précisions dans mon rapport. Sachez que cet accord crée un promoteur public chargé de la conduite stratégique et opérationnelle de la partie transfrontalière du projet, une commission des contrats, au sein de ce promoteur public, chargée de contrôler la régularité et la transparence des procédures d'attribution des contrats et marchés, et un service permanent de contrôle, dont la mission sera de veiller au bon emploi des fonds publics et au bon fonctionnement du promoteur.
Sont également définies les clés de financement du projet. Pour la seule partie transfrontalière, le coût s'élève à 8,5 milliards d'euros, à répartir entre l'Union européenne, qui devrait prendre 40% à sa charge, et entre les deux parties : la France paiera 42,1% du reliquat, soit 2,15 milliards d'euros sur 10 à 15 ans, et l'Italie 57,9%.
En effet, afin d'atteindre l'objectif d'un réseau européen de transport moderne et interconnecté, l'Union européenne a décidé de consacrer, dans le cadre de son programme ?TEN-T, 26 milliards d'euros sur la période 2014-2020, c'est-à-dire trois fois plus que sur la période précédente. Le 17 octobre dernier, le commissaire européen chargé des transports, M. Siim Kallas, a rappelé l'importance de ce dossier, le soutien plein et entier de la Commission européenne à la nouvelle ligne ferroviaire et la nécessité, pour les États, de mettre en oeuvre concrètement ce projet. Actuellement, les grandes liaisons sont en Europe sont nord-sud. Bien sûr, ce co-financement suppose aussi le respect de certaines conditions, au premier rang desquelles la présentation d'un plan d'investissement par les deux États, que ceux-ci procèdent par appel d'offres et que la sélection du projet proposé se fasse par une évaluation externe et interne. Les deux États doivent aussi ratifier l'accord qui est aujourd'hui soumis à l'approbation du Sénat et installer le nouveau promoteur.
J'en viens maintenant à ce qui est pour moi l'essentiel de ce projet : ses perspectives !
Les relations franco-italiennes sont riches, les deux pays étant, l'un pour l'autre, le deuxième partenaire commercial (avec 70 milliards d'euros d'échanges en 2012, légèrement bénéficiaires pour l'Italie). L'Italie représente le premier marché pour les ventes de produits agroalimentaires français et constitue un des débouchés privilégiés pour les exportations françaises d'automobiles et de produits métallurgiques. L'essentiel de l'économie italienne se concentre dans le nord-ouest du pays, autour de Milan, véritable capitale économique du pays, de Turin et de Gênes, et se caractérise par une forte présence industrielle. Plus qu'une liaison Lyon-Turin, ce sont aussi les relations Paris-Milan qui bénéficieront de cette nouvelle ligne ferroviaire ! Mettre ces deux villes à 4h de train l'une de l'autre contribue au rapprochement de deux aires économiques fortes : le Grand Paris et la région milanaise.
C'est également la sécurisation des voies de communication entre la France et l'Italie qui est en jeu. Les économies françaises et italiennes sont fortement intégrées, mais néanmoins dépendent de trois passages routiers et une ligne ferroviaire inadaptée. Or ces axes de communication sont fragiles ! Rappelons que suite aux incendies, le tunnel du Mont-Blanc a été fermé pendant 3 ans et celui de Fréjus 2 mois. Un trafic ferroviaire plus intense permettra de réduire la fragilité des axes et de sécuriser les échanges entre les deux pays.
D'autant plus que, les pays alpins développant des infrastructures de transport de ce type, le risque est la marginalisation des flux avec la France si nous restons à l'écart des grands axes de communication modernes. L'Autriche et l'Italie ont mis en place le chantier du tunnel du Brenner, et la Suisse a mis en service le nouveau tunnel du Lötschberg et s'apprête à mettre en service le nouveau tunnel du Gothard. Au final, ces projets et infrastructures renforcent le partenariat économique entre l'Italie et l'Allemagne et risquent de nous isoler.
En outre, rappelons que la liaison Lyon-Turin est un maillon d'une chaine beaucoup plus longue allant du sud de l'Espagne à la frontière orientale de l'Union européenne. De fait, nos échanges avec les pays européens hors UE, comme l'Ukraine (qui représente aujourd'hui 1 milliard d'euros d'exportations), pourront vraisemblablement en profiter.
Enfin, le gain est également assuré en termes écologiques. Dès 1991, en signant la Convention alpine, la France s'est engagée, avec ses partenaires européens, à prendre des mesures, dans le domaine des transports, « en vue de réduire les nuisances et les risques dans le secteur du transport interalpin et transalpin ». En encourageant le report modal, cet accord permettra aussi de réduire les émissions de gaz à effet de serre, puisque le fret ferroviaire possède une plus grande efficacité énergétique que le transport routier.
L'objectif recherché est de passer d'une répartition 85/15 en faveur du routier à une répartition 55/45. La Suisse, qui a fait le choix du ferroviaire, a mis sur rails 80% de son trafic de marchandises. Rappelons que les études menées par « Lyon-Turin ferroviaire » ont montré que sur les 350 km de liaison, un poids lourd rejetait une tonne de CO2 dans la vallée alpine. Tout report modal est autant de gaz épargné à l'environnement !
Bien sûr, comme tout projet d'envergure, celui-ci n'est pas exempt d'oppositions. Tout d'abord, sur le coût. Un rapport de la Cour des Comptes a estimé le coût total du projet à 26 milliards d'euros ! Comme il a été répondu, cette estimation est largement surestimée car elle englobe des coûts qui n'ont pas à être pris en compte pour la France, comme la modification du tracé en val de Suse, intégralement pris en charge par l'Italie. Par ailleurs, le financement du projet se fera à très long terme, sur plusieurs décennies, permettant de ne pas grever les finances publiques dans une période budgétaire déjà contrainte.
Ensuite, sur le phasage. Les opposants au projet soulignent que le tunnel va déboucher sur la ligne existante, vétuste et inadaptée ! Or, c'est oublier que la construction du tunnel va provoquer de fait l'accélération de l'ouverture des travaux pour les accès. Le calendrier indicatif pour ceux-ci se trouve dans mon rapport, je vous y renvoie.
Enfin, les opposants pointent la sous-utilisation de la ligne actuelle, qui ne serait utilisée qu'à 17% de ses capacités, et serait apte au report modal. La sous-utilisation est une réalité, néanmoins, ainsi que je l'ai précédemment souligné, les caractéristiques mêmes de la ligne historique font qu'on ne peut en attendre davantage.
Le présent accord est un texte technique de gouvernance du projet mais il n'engage pas l'ouverture des travaux, cela nécessitera la signature d'un nouvel accord. J'insiste sur l'importance que celui-ci intervienne rapidement pour que le projet puisse être véritablement enclenché ! Le sommet franco-italien du 20 novembre 2013, qui traitera en particulier du présent projet, doit être l'occasion de lancer la prochaine phase.
En conclusion, ce projet n'est ni démesuré, ni financièrement inopportun, mais il s'agit au contraire d'un projet d'aménagement du territoire cohérent, adapté et vecteur de gains économiques et écologiques. Maillon essentiel de la ligne ferroviaire européenne ouest-est, faire l'économie de cette ligne nous mettrait de fait en marge des échanges avec l'Europe du sud et celle de l'est. C'est pourquoi je vous propose d'adopter ce projet de loi, qui fera l'objet d'un examen selon la procédure normale en séance publique le 18 novembre.