Je tiens à saluer Richard Yung et Laurent Béteille, qui ont mené au nom de notre commission des travaux d'information en 2010 et 2011, afin d'évaluer la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon. Laurent Béteille avait ensuite déposé une proposition de loi, dont Richard Yung avait été nommé rapporteur et que notre commission avait adoptée en juillet 2011. Devant être inscrite à l'ordre du jour à l'automne 2011, elle fut finalement retirée. Notre collègue Yung, qui préside depuis cette année le Comité national anti-contrefaçon, a déposé une nouvelle proposition de loi en septembre dernier, avec le soutien du Gouvernement, en particulier de Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, particulièrement attachée à la lutte contre le fléau de la contrefaçon. Moi aussi, contrefacteur d'un jour, je reprends la responsabilité d'une initiative préparée par d'autres...
La contrefaçon est aujourd'hui un fléau protéiforme. Ce fléau économique, pour nos entreprises et nos emplois, pour le savoir-faire français, coûte environ 35 000 emplois par an à la France. Selon l'OCDE, son impact financier mondial s'élèverait à 250 milliards de dollars. Certains avancent même le chiffre de 1 000 milliards. En tout cas, son effet est lourd et massif.
La contrefaçon s'est nettement amplifiée et internationalisée ces dernières années, avec le développement du commerce mondial, en particulier avec les pays émergents. Je ne veux citer aucun pays, mais la plupart des pays d'origine des marchandises contrefaisantes seraient à l'est de la France, plus ou moins loin. Ces flux internationaux de contrefaçon semblent de plus en plus en lien avec des organisations criminelles transnationales, qui trouvent là un trafic bien plus rentable et bien moins risqué pénalement et financièrement que le trafic de drogue par exemple. La contrefaçon pose aujourd'hui un problème de criminalité organisée.
Les marchandises concernées se sont considérablement diversifiées. Autrefois tolérée, car abordée à travers le seul prisme des produits de luxe, la contrefaçon porte aujourd'hui d'abord sur des pièces détachées automobiles, des médicaments, des produits cosmétiques, des éléments de construction pour le bâtiment ou encore des jouets. Elle représente désormais une menace pour la sécurité et la santé des consommateurs. De fausses plaquettes de frein peuvent provoquer un accident, un faux médicament peut être un remède pire que le mal.
Cette proposition de loi rend notre législation plus efficace dans la lutte contre la contrefaçon, qui s'effectue largement par l'action civile des entreprises lésées, qui cherchent à obtenir réparation, la voie pénale étant moins souvent employée. L'action des services des douanes, qui s'exerce dans un cadre communautaire précis, est primordiale. La proposition de loi adapte donc les mécanismes civils existant dans le code de la propriété intellectuelle et renforce les moyens d'action et de contrôle des douanes. Elle comporte aussi quelques dispositions pénales.
Cette proposition de loi ne constitue pas une vaste réforme de la législation, déjà opérée par la loi du 29 octobre 2007. Elle apporte une série d'adaptations et d'ajustements au regard de la pratique constatée, ainsi qu'une mise en cohérence des dispositifs régissant la protection des différentes catégories de droit de propriété intellectuelle : le droit d'auteur et les droits voisins, pour la propriété littéraire et artistique, et les droits en matière de dessins et modèles, de brevets, de marques, d'obtentions végétales et d'indications géographiques pour la propriété industrielle. Le texte reprend entièrement celui de la proposition de loi de Laurent Béteille que notre commission avait adoptée en juillet 2011, avec quelques ajouts.
La proposition de loi prévoit de renforcer la spécialisation du TGI de Paris en matière de propriété intellectuelle, en lui confiant à titre exclusif le contentieux des indications géographiques. Il faut préférer à cette disposition injustifiée le renforcement de la formation et de la spécialisation des magistrats en matière de propriété intellectuelle et de contrefaçon. Depuis 2009, le TGI de Paris est seul compétent en matière de brevets, tandis qu'un nombre limité de TGI sont compétents pour le contentieux des autres droits de propriété industrielle.
Le texte améliore les dédommagements civils. Depuis la loi de 2007, pour fixer le montant des dommages et intérêts, le juge doit considérer les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte. La proposition de loi, plus précise, indique que le juge prend en compte distinctement ces trois critères et ajoute que les bénéfices réalisés par le contrefacteur peuvent comprendre les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels qu'il a retirées de la contrefaçon.
Si le juge estime que les sommes qui en découlent ne réparent pas l'intégralité du préjudice subi par la partie lésée, il peut ordonner la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par l'atteinte aux droits au profit de la partie lésée, de façon à éviter que la faute reste lucrative.
Ajoutée au troisième chef de préjudice qui va déjà au-delà du strict droit de la réparation, mais qui existe depuis 2007, cette disposition s'apparente à des dommages et intérêts punitifs, notion américaine qui consiste à fixer un montant de dommages et intérêts supérieur au préjudice réellement subi par la personne lésée, dans le but de punir le responsable du préjudice. Serait alors à craindre l'extension d'un tel mécanisme en droit français de la responsabilité. Même les représentants des entreprises y sont hostiles. Je vous proposerai de clarifier une rédaction dont la portée juridique paraît bien incertaine. Il est déjà possible de prendre en compte les bénéfices réalisés par le contrefacteur pour évaluer le préjudice, de façon à ce que la faute ne soit pas lucrative. Sur ce point, il faut aussi distinguer bénéfices et chiffre d'affaires.
Alain Anziani et Laurent Béteille, dans leur rapport d'information de 2009 sur la responsabilité civile, avaient envisagé des dommages et intérêts punitifs d'un montant limité afin de mieux sanctionner la faute lucrative dans certains contentieux spécialisés. La contrefaçon en fait partie, car le contrefacteur, même sanctionné civilement au versement de dommages et intérêts, peut tout de même retirer un bénéfice de la contrefaçon. Les dommages et intérêts punitifs apporteraient cependant un grand bouleversement à notre droit civil. En matière de faute lucrative, il serait envisageable d'explorer la voie de l'amende civile pour récupérer l'éventuel chiffre d'affaires indu, mais au bénéfice du Trésor public, la partie lésée ayant de toute façon obtenu réparation par le montant normal des dommages et intérêts destinés à réparer intégralement, mais uniquement, le préjudice subi. Cela mériterait toutefois un examen plus approfondi.
Différentes procédures prévues par le code de la propriété intellectuelle en matière de contrefaçon sont améliorées : droit à l'information, droit de la preuve, procédure de saisie-contrefaçon. Ces dispositions n'appellent pas d'observations significatives.
Les moyens d'action des douanes sont renforcés. La proposition de loi harmonise la procédure de retenue douanière pour les différents droits de propriété intellectuelle, en conformité avec le droit communautaire. Elle autorise plus largement les douanes à mener des opérations d'infiltration en matière de contrefaçon, et facilite la constatation de l'infraction de contrefaçon, en permettant aux douanes de solliciter un vendeur, selon la technique dite du « coup d'achat » ; ces deux dispositifs comportent une exonération de responsabilité pénale pour les agents des douanes.
L'accès des douanes à l'ensemble des locaux, qui n'existe que pour la Poste, est étendu à l'ensemble des prestataires de services postaux et des entreprises de fret express. Le texte permet aussi aux douanes d'accéder aux locaux à usage d'habitation qui sont à l'intérieur de locaux professionnels, avec l'autorisation de l'occupant. Sans autorisation, il faudra comme aujourd'hui solliciter une autorisation du juge des libertés et de la détention.
L'article 13 prévoit le transfert aux douanes, par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express, de toutes leurs données relatives à l'identification des expéditeurs, des destinataires et des marchandises transportées dans les colis. Cette obligation existe en droit communautaire, pour le contrôle des colis de provenance extracommunautaire. Là, tous les colis seraient visés. Les douanes souhaitent des traitements automatisés de ces données, à partir de critères de risque, pour cibler leurs contrôles. Elles invoquent le développement du commerce électronique, à partir de l'étranger notamment, et le fait que des marchandises illicites peuvent se glisser discrètement dans la myriade des colis transportés. J'ai demandé au Gouvernement de poursuivre un dialogue technique avec les expressistes. Ces derniers sont, contrairement à la Poste, très hostiles à cette nouvelle obligation, qui représenterait un coût et pourrait créer selon eux des distorsions de concurrence avec les autres États de l'Union européenne.
Se pose aussi la question de l'atteinte à la vie privée et aux données personnelles et de sa proportionnalité à l'objectif de contrôle poursuivi, ce dans le contexte particulier du secret des correspondances. Le Conseil constitutionnel est très sensible à ces questions, comme l'a montré sa décision sur les fichiers d'identité biométriques. J'attends une appréciation de la CNIL. À ce stade, je propose d'adopter cette disposition en l'état, sachant que le dispositif a été encadré par les garde-fous habituels en matière de fichiers. Au vu de mes auditions, c'est dans la proposition de loi le second sujet le plus controversé, avec la question des dommages et intérêts punitifs.
Les délais de prescription en matière de propriété intellectuelle sont alignés sur le délai de droit commun de cinq ans, fixé en 2008. La proposition de loi étend les effets de la réforme de la prescription en matière civile, initiée par le président Jean-Jacques Hyest.
Enfin, des dispositions éparses de modeste importance, notamment en matière pénale, figuraient déjà dans le texte de 2011. Il est prévu d'aggraver les sanctions pénales encourues en matière de contrefaçon lorsque celle-ci porte sur des produits présentant un danger sur la santé ou la sécurité : on passerait de trois à cinq ans de prison et de 300 000 à 500 000 euros d'amende.
Nous nous plaçons dans la continuité de nos propres pas, ainsi je vous proposerai un nombre limité d'amendements. Nous devons être cohérents avec ce que nous avons déjà adopté en 2011. Le Gouvernement présentera quelques amendements, assez volumineux, visant à tirer les conséquences de l'adoption de textes européens récents : le nouveau règlement du 12 juin 2013 concernant le contrôle par les douanes du respect des droits de propriété intellectuelle, et sans doute les textes relatifs à la juridiction unifiée du brevet, adoptés dans le cadre d'une coopération renforcée. Sous réserve des amendements que nous allons examiner, je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi particulièrement bienvenue, qui n'a que trop attendu d'être examinée par le Sénat.