Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 15 février 2005 à 16h00
Modification du titre xv de la constitution — Discussion d'un projet de loi contitutionnelle

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le Premier ministre, une seule raison suffirait à justifier le rejet du projet de loi constitutionnelle que vous nous soumettez, parce qu'elle inclut toutes les autres.

En effet, vous nous demandez de constitutionnaliser par avance un texte qui n'existera pour la France que s'il est approuvé par notre peuple à une date non encore fixée !

Le rôle dévolu au Parlement est singulier : soit il est instrumentalisé pour influencer le vote de nos concitoyens, soit il est totalement mineur puisqu'il nous est demandé de voter sur ce que le Conseil constitutionnel a décidé de nous soumettre et qui est loin de recouvrir, vous en conviendrez, l'ensemble des rapports entre le traité constitutionnel et nos institutions, ce à quoi vous ajoutez des considérations de pure opportunité, qui ne clarifient pas, loin s'en faut, l'intervention parlementaire. C'est pourquoi nous rejetons ce projet de loi constitutionnelle, sans même vouloir l'amender.

M. le Premier ministre, cette révision constitutionnelle ne peut être dissociée de l'analyse du traité constitutionnel, n'en déplaise à M. Haenel. Sinon, pourquoi M. le rapporteur ferait-il preuve de tant d'insistance pour obtenir un vote conforme alors que les articles qui nous sont proposés, notamment la création constitutionnelle d'un référendum de troisième type, posent de nombreux problèmes ?

En ce qui nous concerne, nous considérons que le traité étant soumis au référendum, révision et traité doivent être liés. Rien ne vous obligeait à choisir la voie parlementaire pour cette révision. Les dispositions constitutionnelles devaient être soumises au référendum en même temps que le projet du traité constitutionnel européen.

Il s'agit de la même question et il me paraît grave que les parlementaires valident par anticipation le traité constitutionnel au terme d'un débat sur quatre articles de portée limitée, tandis que le débat dans le pays serait mené sur le thème « oui au traité ou le chaos ».

Nos concitoyens, qui vont se prononcer par référendum, ont droit à un débat sur le contenu du traité constitutionnel européen.

Le Parlement va-t-il y contribuer ? Je n'en ai pas l'impression...

La campagne du référendum va-t-elle y contribuer ? Nous le souhaitons, mais nous n'en avons pas l'impression.

A Barcelone, vendredi dernier, nous avons cru entendre vanter par le Président de la République et les dirigeants espagnols les bienfaits d'une Europe porteuse de valeurs communes de paix, de démocratie, de progrès social.

Ces valeurs, ce sont celles de l'Europe à laquelle la jeunesse aspire. Ce sont celles que nous choisissons, nous communistes, parce qu'il y a effectivement besoin d'Europe dans notre monde globalisé.

Nous en avons besoin car, avec la mondialisation, un seul pays ne peut plus, à lui seul, relever des défis dans un certain nombre de domaines pour lesquels le niveau pertinent d'action peut effectivement être le niveau européen. C'est le cas lorsqu'il s'agit de maîtriser les marchés financiers. C'est le cas aussi lorsqu'il s'agit de prévenir les risques écologiques, quand il convient de mobiliser les ressources pour la recherche à l'heure de l'explosion des nouvelles technologies et de la révolution informationnelle.

Notre ambition pour l'Europe comporte une triple facette : une ambition démocratique, une ambition sociale et écologique, une ambition au service d'un monde de paix, proposant une autre stratégie que celle de la globalisation ultra-libérale, de l'unilatéralisme.

Mais est-ce l'expérience que font nos concitoyens et les peuples de l'Europe actuelle avec l'Acte unique européen, le traité de Maastricht, la monnaie unique et la Banque centrale européenne ?

Treize ans après le référendum de 1992, le bilan devrait nous conduire à nous interroger davantage.

Ce sont 65 millions de personnes, dont 17 millions d'enfants, qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté ; 20 millions de chômeurs ; la précarité galopante dans tous les pays européens ; la libéralisation à marche forcée des services publics, les délocalisations, la mise en concurrence des peuples, les dépenses publiques sous la coupe du pacte de stabilité et, à côté de cela, la financiarisation des économies, les énormes profits accumulés.

Notons aussi le rejet des politiques, la désaffection des couches populaires lors des consultations européennes, les replis dangereux et la montée des extrêmes droites dans de nombreux pays.

Les insatisfactions populaires, les colères, les manifestations croissantes de salariés, d'agents publics, de chercheurs, notamment, visent la politique de votre gouvernement, en tous points conformes aux dogmes libéraux européens.

Je suis d'ailleurs très étonnée que des parlementaires qui soutiennent, en toutes circonstances, la politique actuelle du Gouvernement, critiquent le traité européen. D'autres raisons sont sans doute sous-jacentes à une telle prise de position.

Ces dernières années n'ont-elles pas été marquées par une montée en puissance des euro-manifestations, nées des convergences de luttes et d'aspirations des peuples européens ?

Le 19 mars prochain, les eurosalariés manifesteront à Bruxelles pour dire combien ils apprécient l'Europe ultralibérale !

La question vraiment intéressante est donc bien de savoir si le traité constitutionnel apporte un changement, des améliorations à ce que nous connaissons aujourd'hui.

Il n'en est rien. Le traité consacre les traités antérieurs tant dans la partie I, relative aux objectifs, que dans la partie III, dont personne ne parle, curieusement !

Ainsi, dès l'article I-3 portant sur les objectifs de l'Union, est-il précisé que l'Union offre à ses citoyens un marché intérieur « où la concurrence est libre et non faussée » et que le développement de l'Europe est fondé sur une économie de marché « hautement compétitive ». Certes, cette économie de marché hautement compétitive est qualifiée dans le même article de « sociale ». Mais c'est l'unique fois !

Cette pétition de principe ne pèse pas bien lourd face aux références répétées au principe de la libre concurrence.

Au moins à trois reprises, dans les articles III-177, III-178 et III-185, le titre III du traité, dont personne ne parle, affirme que la politique économique est conduite conformément au respect du « principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Ce dernier s'accompagne, tout naturellement, du dogme de la libre circulation des capitaux, selon le paragraphe 2 de l'article III-157. L'article III-156 interdit toute restriction aux mouvements des capitaux, et la règle de l'unanimité gouverne toute décision qui constituerait un recul de ce droit.

De même, je le rappelle, les mesures d'harmonisation de la fiscalité, de transparence, de taxation des mouvements des capitaux et de lutte contre l'évasion fiscale, tout comme les dispositions sociales sont subordonnées à un vote à l'unanimité. Elles sont donc figées. Toute évolution dans ces domaines et toute politique alternative sont ainsi interdites.

Par ailleurs, le traité ne connaît ni les « services publics », ni les « services d'intérêt général ». Il ne parle que des « services d'intérêt économique général » dans les articles II-96, III-122 et III-166.

Alors, comment l'Europe favoriserait-elle des politiques contre le chômage ? Comment les pays européens mèneraient-ils des politiques audacieuses d'investissements utiles, de soutien au pouvoir d'achat ou encore de santé publique ou d'éducation ambitieuse ? Ces politiques se heurteraient au traité constitutionnel.

Le budget européen doit être strictement équilibré, ce qui complète l'interdiction faite à la Banque centrale européenne de faire crédit aux institutions européennes.

On ne peut utiliser l'instrument monétaire, l'injection de liquidités dans l'économie portant toujours un risque inflationniste ; or la mission de la Banque centrale européenne est d'assurer la stabilité des prix.

L'indépendance de la Banque centrale européenne interdit aux instances politiques de peser sur elle pour qu'elle assouplisse sa politique monétaire afin de lutter contre le chômage ou pour toute autre raison. Son refus d'agir aujourd'hui face au cours très bas du dollar, qui facilite les exportations américaines et freine celles des pays de la zone euro, en est une éclatante illustration.

Mettre fin au dumping social se heurte directement à l'unanimité requise pour modifier les règles fiscales, aux termes de l'article III-171.

Si les dispositions précises du traité constitutionnel sont peu évoquées dans les discours, les commissaires européens sont là pour nous les rappeler.

La directive Bolkestein fait aujourd'hui crier au scandale. Rappelons qu'elle a été adoptée voilà un an, qu'elle découle des traités existants et qu'elle s'inscrira parfaitement dans la logique de l'article III-137, qui interdit de restreindre la liberté d'établissement, ou de l'article III-144 en vertu duquel « les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites ».

Ses promoteurs doivent attendre un peu. Pour l'instant, elle soulève quelques remous, mais ses défenseurs reviendront sans doute à la charge après le référendum ! En tout cas, si le traité était adopté, il n'y aurait pas de problème.

La commissaire Danuta Hübner veut faciliter les délocalisations. J'avais cru comprendre que notre gouvernement voulait s'y opposer. Voilà qui correspond parfaitement au traité constitutionnel, qui « exclut toute harmonisation en matière fiscale et sociale ».

En réalité, le traité constitutionnel pérennise et sacralise sous la forme d'une constitution difficilement révisable - et, monsieur le rapporteur, ce choix n'est pas anodin, vous me l'accorderez - des orientations en oeuvre depuis quinze ans, avec les conséquences que l'on peut en attendre dans les domaines sociaux, culturels, éthiques, etc.

Il serait, à ce sujet, intéressant de débattre des rapports entre les grands principes qui sous-tendent la Constitution française, notamment l'égalité, la solidarité, la laïcité, et ceux qui sous-tendent le traité constitutionnel européen, lequel ignore lesdits grands principes, mais cite 88 fois le « marché », 68 fois la concurrence, 176 fois la banque.

Hélas, le Conseil constitutionnel, de jurisprudence constante, ne s'intéresse pas à ces grands principes.

Si les promoteurs du traité constitutionnel parlent peu de la partie III, ils soulignent l'inclusion de la charte des droits fondamentaux dans le traité comme une avancée notable.

Certes, elle figure dans le traité, mais à y regarder de près, elle n'est pas spécialement avancée en termes de droits. C'est la raison pour laquelle nous avions émis des réserves sur cette charte.

Pour ce qui concerne les droits sociaux, elle est en deçà de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, qui reconnaissait le « droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ». Rien de cela ne figure dans la charte des droits fondamentaux de l'Europe.

Le droit au travail n'est pas reconnu ; il est question de droit de travailler et de liberté de chercher un emploi. Quelle avancée !

Le droit de grève est prévu pour les salariés et pour les employeurs, ce qui pour ces derniers s'appelle le lock-out. Combien de combats a-t-il fallu pour l'empêcher en France ? Cela nous renvoie au Chili sous Allende !

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