Intervention de Jean-Pierre Sueur

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « immigration asile et intégration » crédits « asile » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis sur les crédits « Asile » :

Notre commission a choisi depuis l'année dernière d'établir un rapport sur l'asile distinct de celui sur l'immigration qui sera présenté par Mme Lipietz. Le droit à l'asile est reconnu par la Constitution et par la convention de Genève dont la France est signataire.

Ce budget, dont nous avons parlé hier avec M. le ministre Valls, me convient, car il augmente de 0,6 %. Il est demandé à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) de réduire les délais de traitement des dossiers car jusqu'à présent, le système était embolisé. Les crédits de l'OFPRA augmentent de 5,9 %, ce qui va permettre l'embauche de dix officiers de protection supplémentaires et de réduire la rotation élevée des personnels au sein de cet organisme. Sous l'autorité de son directeur, M. Pascal Brice, l'OFPRA se réforme et se déplace dans les régions, ce qui en renforce l'efficacité.

Les crédits de la CNDA, qui figurent dans la mission « Conseil et contrôle de l'État », vont augmenter de 3 %. D'après les personnes que nous avons entendues, les moyens alloués à l'OFPRA et à la CNDA devraient leur permettre de remplir leurs objectifs. Aujourd'hui, le délai de traitement d'un dossier par l'OFPRA est de 173 jours. Le but est de parvenir à 132 jours en 2014 et à 90 jours en 2015. Pour la CNDA, l'objectif est de passer de sept mois et huit jours en 2013 à six mois et demi en 2014 et à six mois en 2015.

Un travail considérable a été fait par l'OFPRA et la CNDA pour harmoniser leurs jurisprudences et mettre fin à une aberration : jusqu'à présent, il y avait plus de personnes qui obtenaient l'asile par la CNDA, qui est une instance de recours, que par l'OFPRA. Heureusement, les choses évoluent depuis six mois.

Le régime d'aide juridictionnelle devant la CNDA a été modifié par le décret du 20 juin 2013 qui a doublé le montant de l'aide juridictionnelle, la faisant passer de huit à seize unités de valeur, soit plus de 360 euros, ce qui est incontestablement positif.

Deuxième point positif de ce budget : la création de 2 000 places en centres d'accueil de demandeurs d'asile (CADA) qui n'accueillent aujourd'hui que 37 % des demandeurs d'asile en procédure. En outre, beaucoup de déboutés restent en CADA, ce qui est problématique. M. le ministre nous a confirmé hier que seuls 10 % des déboutés du droit d'asile quittaient notre territoire. Les procédures doivent donc être respectueuses des droits, mais également rapides. L'hébergement en CADA est moins coûteux que l'hébergement d'urgence auquel il faut ajouter l'allocation temporaire d'attente (ATA) versée à ceux qui ne sont pas en CADA. Les personnes hébergées en CADA font l'objet d'un meilleur accompagnement lors de la procédure d'une demande d'asile et ont davantage de chance de bénéficier d'une protection internationale. La mise en oeuvre du plan de création de 4 000 places en CADA d'ici 2015 est donc en cours.

J'en arrive aux points plus délicats : l'augmentation de la subvention de l'OFPRA et la création de places en CADA sont compensées par une moindre dotation pour l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile et par une réduction des crédits de l'ATA. Les dix associations que nous avons reçues estiment que le dispositif sera embolisé car la création des 1 000 dernières places en CADA n'est prévue qu'en fin d'année alors que la réduction du nombre de places d'hébergement d'urgence sera effective dès le début de 2014. De plus, comme l'augmentation des demandes d'asile s'accélère à nouveau (+ 10,8 % en 2013), il est probable que les crédits pour l'hébergement d'urgence et l'ATA se révèlent en cours d'année insuffisants, ce qui fut le cas cette année.

L'inscription sur la liste des pays d'origine sûrs du Bengladesh et de l'Arménie en décembre 2011 a entraîné une baisse respective de 71 % et de 42 % des flux en provenance de ces pays. Le retrait du Bangladesh de cette liste à la suite d'une décision du Conseil d'État du 4 mars 2013 a, depuis, suscité une reprise des demandes d'asile par des personnes originaires de ce pays.

En outre, se pose la question des délais non comptabilisés de la durée de traitement de la demande d'asile, en particulier l'attente des demandeurs d'asile avant même qu'ils aient pu déposer leur demande.

Ce budget est de transition : nous attendons le rapport de Mme Valérie Létard et de M. Jean-Louis Touraine qui nous proposera une réforme du dispositif de l'asile. Il faudra procéder à diverses modifications, tout en sachant qu'il en va de l'honneur de la France de respecter le droit d'asile.

La mise en oeuvre du paquet « Asile » adopté par le Parlement européen n'ira pas sans difficultés. Celui-ci comprend, outre les directives « qualification » et « accueil », une directive « procédure » destinée à encadrer les délais d'examen des demandes d'asile, à garantir la présence d'une tierce personne lors des entretiens à l'OFPRA, à prévoir l'enregistrement de ceux-ci, à doter les personnes vulnérables d'un statut spécifique et à améliorer l'information délivrée aux demandeurs d'asile. Il est à craindre que ces mesures freinent les progrès des personnels de l'OFPRA - dont je salue le directeur général, Pascal Brice - pour réduire les délais de traitement des dossiers. Nous attendons beaucoup des propositions de Jean-Louis Touraine et Valérie Létard sur ce point.

La coopération européenne est le principal défi que nous aurons à relever. Nous ne devons pas compter sur la diminution du nombre de réfugiés dans les années à venir. La guerre en Syrie en a produit un million au Liban, 500 000 en Turquie, de nombreux autres en Jordanie, et certains frappent aux portes de l'Europe et de la France. De même, Lampedusa est un problème européen : nous ne pouvons le laisser sans solution. Nous devrons travailler de concert, sans angélisme, sur la maîtrise de nos frontières, l'établissement de règles claires, la convergence des critères d'asile dans tous les pays membres, ainsi que la lutte contre un trafic qui trouve son origine notamment dans l'instabilité de la Libye.

En dépit des réserves que j'ai émises, les avancées du présent budget justifient un avis favorable sur les crédits consacrés à l'asile par le projet de loi de finances pour 2014.

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