Intervention de Hélène Lipietz

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « immigration asile et intégration » programme « immigration » - examen du rapport pour avis

Photo de Hélène LipietzHélène Lipietz, rapporteuse pour avis :

Les crédits « Circulation des étrangers et politique des visas », « Lutte contre l'immigration irrégulière », « Intégration et accès à la nationalité française » s'élèvent à 149,8 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 161,1 millions d'euros en crédits de paiement. Ils représentent un quart du budget de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Les principes ayant guidé l'élaboration du budget de la mission pour 2014 sont les mêmes que l'année précédente. La légère augmentation des crédits liés à l'asile est compensée par une diminution des actions de lutte contre l'immigration irrégulière et par une diminution de ceux dédiés à l'intégration des étrangers et à l'accès à la nationalité française.

Je remarque toutefois que seule la baisse conjoncturelle des placements en rétention administrative d'étrangers a rendu soutenable la baisse des crédits consacrés au fonctionnement hôtelier des centres de rétention administrative (CRA), décidée par le projet de loi de finances pour 2013. En effet, les économies de gestion annoncées n'ont pas été au rendez-vous. Cette baisse résultait de l'arrêt de la Cour de cassation du 5 juillet 2012 qui, en s'alignant sur l'interprétation de la Cour de justice de l'Union européenne, a déclaré le placement en garde à vue d'un étranger au seul motif d'un séjour irrégulier contraire à la directive « Retour ». Or, la garde à vue était la procédure utilisée pour décider de placer ou non l'étranger en rétention administrative.

Depuis le budget 2013, les crédits dédiés au fonctionnement hôtelier des CRA sont en baisse, dans l'attente de l'élaboration de cahiers des charges nationaux - en matière de maintenance, de nettoyage des locaux ou de restauration - et d'opérations de mutualisation avec d'autres services. Contrairement à ce qu'estime le ministre de l'Intérieur, cela ne relève pas des seuls règlements intérieurs des CRA. En se mettant en grève, les personnels de ces centres ont déjà tenté d'alerter sur leur situation. Mais cette démarche n'a pas été suivie d'effets en 2013 et le projet annuel de performance souligne d'ailleurs qu'il est difficile d'évaluer précisément les dépenses de fonctionnement pour 2014.

Les économies qui devaient découler de cette rationalisation des dépenses et qui justifiaient la diminution du budget alloué au fonctionnement hôtelier des CRA en 2013 ne seront sans doute pas davantage réalisées en 2014. Par conséquent, les moyens accordés ne semblent pas en adéquation avec les dépenses engagées.

La rationalisation de la gestion des CRA pourrait conduire à suspendre des travaux ou à fermer certains centres. Leur taux d'occupation, évalué à 52,5 % pour le premier semestre 2012, a finalement été de 43 % sur l'année - en contradiction avec les chiffres annoncés par le ministre hier.

Cela étant dit, je me réjouis de la reconstruction du CRA de Mayotte, dont la mission parlementaire présidée par M. Sueur avait dénoncé l'état scandaleux.

Enfin, je voulais rappeler que Mme Eliane Assassi et M. François-Noël Buffet ont été chargés d'une mission d'information relative aux centres de rétention administrative.

Les ressources de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) s'élèvent à 178,7 millions d'euros en 2012. Elles sont constituées d'une subvention de l'État pour charges de service public et, à hauteur de 83 %, de ressources propres. Ces dernières sont essentiellement constituées par les droits acquittés par les étrangers pour disposer d'un titre de séjour ou pour le faire renouveler. En somme, les étrangers payent pour leur propre intégration. Dans son rapport annuel pour 2013, la Cour des comptes relève que « les droits pratiqués en France en 2012 sont relativement élevés, au regard de ceux d'autres pays européens », malgré leur baisse dans le précédent budget. Par surcroît, les mineurs étrangers payent une taxe pour obtenir leur titre d'identité, alors que les mineurs français obtiennent leur carte d'identité gratuitement. L'Europe demande pourtant qu'un même traitement soit appliqué aux mineurs, étrangers ou non.

L'essentiel des dépenses de l'OFII est constitué de dépenses d'intervention. Leur montant n'a pratiquement pas évolué depuis 2011, malgré la réduction drastique de l'aide au retour. Luc Derepas, directeur général des étrangers en France, a indiqué qu'à la suite de la forte réduction des aides accordées depuis le 1er février 2013 - diminuées de 300 à 50 euros par adulte et de 100 à 30 euros par enfant -, le nombre de demandeurs roumains et bulgares, qui représentaient près de 80 % des demandeurs, a été divisé par sept ou huit. Au surplus, cette aide ne peut désormais être accordée qu'une seule fois. Notez toutefois que les Bulgares et les Roumains sont des citoyens européens de plein exercice.

La principale dépense de l'OFII est consacrée au contrat d'accueil et d'insertion (CAI). Les signataires du contrat suivent des formations et bénéficient d'un apprentissage du français. La principale piste de réforme de l'action de l'Ofii passe par redéfinition de ce CAI : la masse d'information est en effet trop grande et délivrée en très peu de temps à un public ne maîtrisant pas, ou mal, la langue française. Le CAI pourrait, dans le cadre de la création d'un titre pluriannuel de séjour, se dérouler pendant toute sa durée de validité. Il est en outre nécessaire de mieux définir les projets d'aide à l'insertion dans les pays d'accueil. Le directeur général de l'OFII nous a confirmé que si de nombreux projets répondaient à de vrais besoins et généraient des emplois locaux, d'autres n'étaient pas adaptés.

Le mode de financement de l'OFII demeure en suspens. Le plafonnement des taxes affectées à l'OFII accroît le sentiment que les étrangers financent leur propre intégration. La Cour des comptes en a critiqué la pertinence.

La politique de naturalisation a fait l'objet d'une réforme nationale. Celle-ci semble avoir porté ses fruits : les disparités territoriales se sont estompées.

Dans son récent rapport thématique, la Cour des comptes constate que le parcours des demandeurs de titres de séjour est difficile, et que les conditions d'accueil dans certaines préfectures « ne sont pas toujours convenables ». Cette analyse rejoint celle de notre collègue député Matthias Fekl, qui, dans son rapport consacré à la sécurisation des parcours des étrangers en France, parle de conditions d'accueil « indignes ». Le ministre a reconnu hier qu'il fallait - chiffre incroyable - un minimum de trois passages en préfectures pour un simple renouvellement de titre de séjour, automatique dans plus de 9 cas sur 10... Les personnels de préfecture subissent l'agacement légitime des usagers. La délivrance de titres de séjour pluriannuels est une façon de remédier à ces dysfonctionnements.

Les salles d'audience délocalisées n'ont pas convaincu. Les économies réalisées sont maigres, et en rendant la justice à proximité d'un lieu de rétention, on accrédite l'idée que les étrangers ne sont pas des justiciables comme les autres. Les magistrats du tribunal de grande instance de Meaux nous ont indiqué que la seule amélioration tangible de la création du CRA du Mesnil-Amelot était de créer une salle dédiée aux étrangers retenus.

Enfin, un mot sur les mineurs étrangers. La Croix rouge estime que 1 000 à 1 500 mineurs isolés ne sont pas connus par leurs services, car prisonniers d'une filière et utilisés dans la confection ou dans des réseaux de prostitution. Certes, ils ne relèvent pas de la politique d'immigration, mais ils présentent un coût pour le budget des collectivités territoriales ou de l'aide sociale à l'enfance. Un protocole d'accord signé avec l'Association des départements de France permet de les redistribuer géographiquement afin que leur prise en charge ne pèse pas sur les mêmes départements. Leur prise en charge par l'État continue de poser problème.

Ces mineurs sont très désireux de s'intégrer : cela devrait être reconnu à leur majorité. Le ministre a indiqué que la majorité d'entre eux, entrée en France avant 16 ans, obtenait un titre de séjour à leur majorité. Mais ceux entrés après leurs 16 ans ne font pas moins d'efforts d'intégration. Je rappelle que, cette année, trois des meilleurs ouvriers de France sont des jeunes majeurs arrivés en France après 16 ans et qu'ils n'ont toujours pas de papiers.

Sous la réserve que j'ai faite à propos du budget des CRA, je propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à l'immigration et à l'intégration de la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances pour 2014.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion