Intervention de Michèle Coninsx

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 novembre 2013 : 1ère réunion
Audition de Mme Michèle Coninsx présidente d'eurojust

Michèle Coninsx :

C'est un honneur pour moi de venir vous parler d'Eurojust, dont je fais partie depuis le tout premier jour, il y a onze ans, et dont je suis la présidente depuis un an et demi, après en avoir été la vice-présidente pendant quatre ans. Ce qui passait pour de la science-fiction est devenu une réalité. Eurojust est l'unité de coopération judiciaire par excellence, unique en son genre : il n'y a pas d'Arabjust, d'Asiajust, d'Africajust. Nous organisons des réunions de coordination, nous établissons des centres de coordination opérationnelle, nous assurons les fonctions de soutien opérationnel, financier ou technique aux équipes communes d'enquête, nous sommes partenaire du RJE et d'Europol et produisons des outils tels que le Terrorism Conviction Monitor (TCM), le Maritime Piracy Judicial Monitor ou nos deux rapports stratégiques sur la traite des êtres humains et le trafic de stupéfiants, deux domaines prioritaires pour le Conseil. Nous coordonnons 31 systèmes légaux dans 28 pays - avec des différences énormes entre système anglo-saxon et continental qui expliquent que l'harmonisation ne soit pas toujours facile - dans 24 langues, même si notre langue de travail est l'anglais.

L'immigration illégale est notre quotidien. Ainsi, en 2012, la Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Lille nous a demandé de mettre en place une coordination avec la Belgique, puis avec le Royaume-Uni. Chaque jour, des immigrants allaient de la Grèce ou de la Turquie au Royaume-Uni en passant par la France et la Belgique : 4 000 personnes par an étaient transférées dans des conditions inhumaines et contre des sommes considérables. Nous avons mis en place une équipe commune d'enquête au début de 2013, puis en février un centre de coordination opérationnelle qui consiste à réunir dans une salle de conférence des représentants de chaque pays le jour de l'opération, pour que le juge dirigeant l'équipe puisse suivre les mouvements en temps réel. Le bilan est éloquent : 35 personnes arrêtées, 40 perquisitions, deux mandats d'arrêt européens exécutés. S'il avait fallu utiliser des commissions rogatoires, il aurait été impossible de traiter efficacement ce problème transfrontalier, comme peut l'être aussi le terrorisme. En consultant notre rapport annuel 2012 présenté à la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, dite Libe, du Parlement européen le 29 mai 2013, vous apprendrez que nous avons traité 1 533 cas, que nous avons été liés à une soixantaine d'équipes communes d'enquête, toujours plus nombreuses, peut-être parce que nous leur apportons un soutien administratif depuis cinq ans. Nous avons facilité 250 mandats d'arrêt européens, bien plus efficace que l'extradition : la France a mis onze ans à obtenir l'extradition d'un terroriste bien connu de tous qui se trouvait au Royaume-Uni, alors que dans le cadre de l'attaque terroriste de Londres en 2005, le mandat d'arrêt européen a été émis en dix jours. Entre le TGV et l'omnibus, je préfère le TGV ! Depuis onze ans, cela fonctionne bien. Nous sommes confrontés à des phénomènes tels que le terrorisme avec le 11 septembre, les effets du Printemps arabe ou la recrudescence de la criminalité due à la crise financière. Or le budget d'Eurojust sera stable pour les sept ans à venir ; cela exige de nous d'être efficaces.

Eurojust comporte une task force consacrée à son avenir. Nous réfléchissons aux évolutions fondées sur les articles 85 et 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, mais aussi au développement du comité permanent de sécurité intérieure (COSI) et du forum consultatif des procureurs généraux, ainsi qu'à la coopération avec Europol, Frontex, et le collège européen de police (Cepol). Le 14 et 15 octobre, nous avons organisé une conférence sur notre avenir, réunissant 150 personnes représentant les États membres et les différentes institutions ; il y a lieu de se poser des questions lorsqu'on lit les propositions de la Commission sur Eurojust - qui déterminent une liste que j'espère ne pas être limitative - ou sur le parquet européen. Il ne faudrait pas enlever des possibilités aux praticiens, qui doivent, sans perdre de temps aux tâches administratives, se consacrer à 100% aux tâches horizontales ou policy tasks ayant un impact sur le travail opérationnel. La coopération avec Europol va de soi, comme avec le RJE ; il faut éviter la compétition au bénéfice de la complémentarité. L'évaluation par le Parlement européen, pour lequel nous produisons un rapport annuel suivant des objectifs qu'il fixe, prend la forme d'une présentation orale chaque année. L'évaluation par les parlements nationaux est, elle aussi, essentielle. La Commission nous évalue aussi ; il faudrait préciser selon quels objectifs. Les capacités d'Eurojust en matière de conflit de juridiction doivent être augmentées. Les recommandations doivent être appliquées. Un trafic de cocaïne mêlant la Belgique mais aussi la mafia italienne avait ainsi fait l'objet de trois réunions où il avait été décidé de remonter aux têtes pensantes ; cela n'a pas empêché la douane de saisir la marchandise. Prévoyons une obligation plus forte que la recommandation ou l'amical agreement, et donnons le droit à Eurojust de déclencher des enquêtes.

Les liens avec le futur parquet européen proposé sont en principe étroits, du moins tels que l'article 86 les prévoit. Nous nous sommes penchés sur la manière dont Eurojust pourrait être une plus-value pour le parquet européen, même si nous poursuivons un objectif très différent : faciliter la coopération horizontale, améliorer la confiance sans s'immiscer dans les décisions des États membres. Après les 18 voix pour le carton jaune, c'est à la Commission de réagir. Nous avons eu l'occasion auparavant d'avertir cette dernière sur le caractère déséquilibré de ce qu'elle prévoit : une tête, le parquet, et vingt-huit jambes, les États membres ; il faut entre ces deux extrêmes un corps qui pourrait être Eurojust. C'est particulièrement vrai dans un contexte de coopération renforcée. Notre souci le plus grand est la possibilité d'un accord prévoyant qu'Eurojust fournirait au futur parquet un soutien administratif, qui pourrait nous empêcher d'assurer nos missions. Il faut bien écouter les parlements nationaux sur ce sujet. L'article 86 décrit les rapports d'Eurojust avec Europol, mais pas avec l'Office européen de lutte antifraude (Olaf), qui sont difficiles.

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