Les pays candidats à l'adhésion ne sont pas tous animés par la même ambition.
La Turquie ne court pas après une union douanière dont elle dispose déjà. Compte tenu de sa position régionale, elle souhaite participer à un ensemble politique engagé depuis longtemps en faveur de la stabilité : ne lui fermons pas la porte !
Malgré les articles 2 et 4, qui sont, il faut bien le dire, de circonstance, il me semble néanmoins important d'accepter le projet de loi constitutionnelle car, derrière ce passage obligé, se profile le sujet de fond : la puissance de l'Europe. Faut-il laisser l'Europe dans sa forme actuelle avec ses dysfonctionnements, ses manques et ses faiblesses ou au contraire tenter de lui ouvrir de nouvelles perspectives ?
On a tous entendu ceux qui disent que cette Constitution n'en est pas une. Ils ont d'une certaine manière raison. Une véritable Constitution européenne ne peut être que le fruit de la volonté du peuple européen s'exprimant au travers de ses représentants assemblés, revenant à la stricte séparation des pouvoirs, substituant - n'ayons pas peur des mots - une forme étatique nouvelle aux états perclus et sédimentés que l'histoire européenne des conflits entre les nations nous a légués, et replaçant aussitôt les choix essentiels quant aux institutions nouvelles et quant aux grands projets politiques communs sous le contrôle exigeant des citoyens européens.
Tel serait l'esprit d'une vraie Constitution. Vous en conviendrez, nous sommes loin de ce modèle de gestation. Le second traité de Rome est plutôt le fruit d'un compromis, la synthèse d'intérêts parfois contradictoires.
Cependant, nous n'avons pas aujourd'hui de Constitution à graver dans le marbre et, s'il nous en faut une, claire, lisible par les citoyens, réduite à l'essentiel des institutions, pourquoi donc devrait-elle comporter des engagements définitifs sur l'harmonisation sociale, sur la redistribution fiscale, sur la protection de l'environnement, sur les tarifs postaux, sur les droits de l'homme en Chine, sur l'interventionnisme économique, sur le pourcentage du produit européen brut affecté à l'aide au développement... ? J'en passe, la liste serait trop longue ; on lui demande tellement de choses !
Il nous faut plutôt juger le nouveau traité à la lumière de ses principes fondamentaux.
Dans les domaines de la garantie des libertés publiques et du contrôle démocratique nous faisons vers l'avant un pas significatif, et c'est cette avancée que j'approuve sans réserves.
Certes, on pourrait ajouter un peu plus de ceci et un peu moins de cela. Acceptons-le, l'Europe n'est pas parfaite, mais elle est un espace pacifié qui contribue à l'équilibre du monde. Cessons les querelles juridiques pour voir l'essentiel : vingt-cinq peuples vivent aujourd'hui en démocratie, et ce fait est désormais irréversible. Les récentes commémorations de la libération des camps de concentration nous rappellent que, voilà seulement soixante ans, notre Europe vivait sous la botte de la tyrannie. Comme le disait François Mitterrand en 1994, lors de ses adieux personnels au Parlement européen : « J'ai bien vérifié, dans son histoire, la France a fait la guerre à tous les pays européens, je dis bien tous... Et ce temps de la guerre dépassée, la France vous le doit à vous, citoyens européens ».
La construction européenne a apporté la paix : c'est beaucoup. C'est ce constat qui, à mon sens, devra guider notre bulletin de vote lors du prochain référendum.
Ne tournons pas le dos, mes chers collègues, aux souffrances du passé qui nous ont donné un avenir apaisé. La paix n'est jamais définitivement acquise ; elle s'entretient ; elle est un héritage à faire fructifier ! N'oublions pas qu'à chaque instant n'importe quel pays peut s'embraser. Les attentats du 11 septembre 2001 ont rappelé que le tragique et la violence pouvaient atteindre même le plus puissant des pays démocratiques.
Le monde est complexe. Il ne se résume pas, comme on voudrait nous le faire croire, à un choc des civilisations. Ce n'est pas Bush contre Ben Laden. L'Europe ne doit pas, elle non plus, se laisser enfermer dans un schéma manichéen. A quel titre opposer la Turquie musulmane à la vieille Europe chrétienne ? II faut dépasser ces lignes d'affrontement et croire en la paix comme en un objectif toujours à reconstruire.
Parce que l'Europe a cette ambition, dans quelques années, je l'espère, je pourrai dire oui à la Turquie.
Sans hésitation, dans quelques mois, je dirai oui à l'Europe.
Soucieux d'obtenir ces avancées, dans quelques jours, je dirai oui au projet de loi constitutionnelle.