Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 15 février 2005 à 16h00
Modification du titre xv de la constitution — Discussion d'un projet de loi contitutionnelle, amendements 88 4

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Je m'en tiendrai, pour ma part, au problème posé par l'article 88-4 de la Constitution, article qui n'était pas concerné par le projet du Gouvernement et auquel l'Assemblée nationale a jugé opportun d'apporter un complément substantiel.

Sans doute s'agit-il d'aller au-delà de ce que la décision du Conseil constitutionnel rendait nécessaire, mais le Gouvernement s'étant lui-même engagé dans cette voie et l'Assemblée nationale l'ayant imité, j'ai du mal à comprendre pourquoi il nous serait interdit de les imiter à notre tour. Je tiens à dire immédiatement que je le ferai sans aucunement mettre en cause le vote final sur ce projet de loi constitutionnelle, vote qui a été annoncé par mon président de groupe et qui, bien entendu, ne peut être que positif.

L'article 88-4 a pour objet, vous vous en souvenez, d'organiser la participation du Parlement aux affaires européennes, c'est-à-dire à nosaffaires, en prévoyant l'examen des actes de l'Union, même à l'état de projet, et l'expression des conclusions de cet examen par une résolution ou, dans le nouveau langage européen, un « avis motivé ».

Cet examen était obligatoire pour les actes de caractère législatif au sens de notre Constitution et facultatif pour les autres actes, qu'il s'agisse de projets, de propositions ou, comme nous l'avions écrit en 1999, « de tout autre document émanant d'une institution de l'Union européenne ».

La réforme votée par l'Assemblée nationale étend la saisine obligatoire aux actes législatifs, au sens de la Constitution européenne, ce qui - soit dit au passage - correspond à un très vaste domaine et met le Gouvernement en quelque sorte en contradiction avec lui-même : en effet, le Parlement verra passer à ce titre des quantités de textes dont le Gouvernement considère que leur examen par le Parlement est facultatif. Vous admettrez, monsieur le garde des sceaux, qu'il y a là une situation quelque peu contradictoire.

Reste la question des autres actes, c'est-à-dire de ceux qui font l'objet d'une saisine facultative du Parlement par le Gouvernement. Je rappelle que cette saisine facultative a été créée en 1999 lors de la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité d'Amsterdam. Je m'en souviens avec précision car j'avais l'honneur d'être le rapporteur du Sénat à l'époque.

Cette idée de la saisine facultative me paraissait bonne. Plutôt que d'accabler les assemblées par des documents d'intérêt mineur - et je reprends ici les propos qui ont été tenus à juste titre par M. de Rohan tout à l'heure - il était prévu que, en pratique, le Gouvernement soumettrait les documents quand les assemblées en feraient la demande. C'est un système qui reposait sur la confiance entre les deux parties, et je suis toujours partisan, philosophiquement, de ce type de système, que je trouve préférable à des normes trop contraignantes.

Des personnalités aussi responsables que MM. Mazeaud et Barnier militaient alors pour des formules encore plus contraignantes. Il est plaisant de le rappeler. Nous sommes quelques-uns à nous en souvenir.

Depuis lors, le système a correctement fonctionné et - j'en prends à témoin le président de la délégation pour l'Union européenne - nous avons eu communication des documents que nous pouvions souhaiter.

Cependant, le Gouvernement a récemment jugé préférable d'adopter une attitude de refus à propos de la question turque.

Je suis d'autant plus à mon aise pour évoquer et regretter ce refus que, à titre personnel, je suis de ceux qui, dans ce domaine, soutiennent la ligne politique du Chef de l'Etat, qui est aussi d'ailleurs celle du Parlement européen. Telle est ma position à titre personnel. Mais elle ne m'empêche pas de penser que la demande du vote d'une résolution sur ce sujet d'importance - et de quelle importance ! - était parfaitement légitime.

Je me suis interrogé, après d'autres dont l'opinion est certes plus autorisée que la mienne, sur la possibilité d'éviter à l'avenir une situation aussi discriminante pour le Parlement français et j'ose le dire, monsieur le ministre, aussi peu favorable à l'avènement du consensus si souhaitable auquel se référait le Chef du Gouvernement tout à l'heure. M. Raffarin nous disait d'ailleurs qu'il ne fallait pas dramatiser ni avoir peur d'aborder la question de la Turquie Apparemment, il en a eu un peu peur, puisqu'il nous a privés de la possibilité de voter une résolution.

Je pense donc que ce que je vais vous proposer est en réalité souhaitable pour l'élaboration du consensus dont nous parlons, tandis que la ligne actuelle me paraît plutôt moins favorable.

Il m'a semblé, en effet, que ce refus était vécu, faut-il le rappeler, comme une « crispation » inutile. C'est pourquoi le moment me semble venu d'aller un peu plus loin dans le sens d'un renforcement modeste des prérogatives du Parlement, puisque nous y sommes en quelque sorte incités.

Soucieux de faire en sorte que l'ouverture proposée par mon amendement ne puisse faire l'objet d'aucun abus et qu'elle ne soit pas l'occasion d'un harcèlement continuel comme on peut l'observer, ainsi que M. de Rohan l'a fort bien expliqué, dans le cas de la saisine du Conseil constitutionnel, qui devient quelquefois, il faut bien le dire, un véritable tic, ma proposition tend à restreindre fortement la faculté ouverte au Parlement d'obtenir l'application de l'article 88-4 de la Constitution pour tout texte européen en limitant son usage aux présidents des deux assemblées sur proposition de la conférence des présidents. Ni les présidents de commission ni soixante députés ou soixante sénateurs ne pourront faire cette demande. Je crois donc pouvoir dire que serait ainsi évité aussi bien le risque d'arbitraire émanant d'un homme que celui de parti pris politique d'un groupe restreint. Nous reviendrons sur ce sujet lors de l'examen des amendements.

Toutefois, je n'ignore pas que le Gouvernement a exprimé le souhait, si je puis dire, que, dans cette affaire, le Sénat se contente d'entériner le projet tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale. Dès lors, il est sans doute téméraire - mais il n'est peut-être pas interdit - d'émettre l'opinion selon laquelle une modification aussi ponctuelle et encadrée que celle-ci mériterait, cher rapporteur, qu'il soit fait exception à la règle de conformité. L'intérêt même de ma proposition suffirait, me semble-t-il, - j'espère ne pas être trop prétentieux - à justifier une telle exception.

J'ajouterai, dans un esprit de solidarité majoritaire, qu'il y va non seulement de l'intérêt général du Sénat et de sa dignité, laquelle est, reconnaissons-le, quelque peu mise à l'épreuve en la circonstance, mais également, et plus encore, de celui du Gouvernement et de sa majorité tout entière face à l'opinion. N'oublions pas que celle-ci a tôt fait d'assimiler vote conforme à « conformisme » et autorité gouvernementale à « autoritarisme ».

Sans me livrer à une quelconque dramatisation, ce qui serait facile et tentant, je me permettrai de vous interroger en ami, monsieur le garde des sceaux. Est-il vraiment nécessaire, est-il équitable, est-il tout simplement sage de refuser une telle proposition ? Il me semble que non, et c'est dans cet esprit que je présenterai mon amendement.

On a entendu dire naguère qu'il ne fallait pas désespérer Billancourt ! Je me permets de vous dire aujourd'hui qu'il ne faut pas non plus désespérer les meilleurs de vos amis, qui constituent la majorité du Sénat, même s'ils ne défilent pas dans la rue !

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