Intervention de Hugues Portelli

Réunion du 15 février 2005 à 22h15
Modification du titre xv de la constitution — Discussion d'un projet de loi contitutionnelle

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli :

D'un point de vue constitutionnel, l'entrée en vigueur du traité constitutionnel européen nous obligera à modifier radicalement notre vision des institutions, mais aussi le rôle que nous jouerons au sein de celles-ci.

J'évoquerai, tout d'abord, le nouveau cadre institutionnel. La grande difficulté à laquelle nous sommes confrontés tient au fait que les catégories intellectuelles et juridiques avec lesquelles nous avons l'habitude de raisonner et de travailler, surtout nous, Français, sont en grande partie dépassées.

C'est, d'abord, le cas à propos de la souveraineté et du fédéralisme. Nous avons, depuis des siècles, l'habitude de raisonner en termes de souveraineté et de compétences ; le droit européen nous oblige à raisonner en termes d'objectifs et de politiques publiques. Sur le papier, notre Etat reste souverain. Dans des domaines croissants, l'exercice de cette souveraineté est transféré à l'échelon européen, faute de pouvoir exercer cette souveraineté efficacement.

De même, nous raisonnons en termes de compétences ; désormais, il nous faut de plus en plus souvent parler en termes d'objectifs, de programmes, de politiques sectorielles.

La conception de la loi elle-même sera revisitée. Le projet de loi constitutionnelle, corrigé à l'Assemblée nationale, va, d'ailleurs, en ce sens, puisqu'il introduit l'acte législatif européen, qui ignore la distinction entre la loi et le règlement, dans la Constitution.

Cet acte législatif européen deviendra le type dominant de loi examinée par le Parlement français, puisque, aujourd'hui, la majorité des normes en vigueur, dans notre pays, est élaborée par les institutions européennes.

En fait, à la conception traditionnelle et statique de la souveraineté et de son exercice, la Constitution européenne a substitué une conception fonctionnelle, où les transferts gérés sont motivés par le seul souci de l'efficacité. Cela explique pourquoi la Constitution européenne n'a pas attendu le traité du 29 octobre 2004 pour exister et pourquoi le modèle institutionnel proposé ne coïncide pas avec nos traditions.

La Constitution européenne telle que le traité de Rome de 2004 l'a construite est, en effet, originale. C'est une Constitution sans Etat, celle d'une Union européenne qui se voit doter de la personnalité juridique, mais sans que l'on dise quelle est sa nature juridique.

Ce n'est pas une constitution définitive, comme la constitution américaine de 1787, c'est une constitution fluide, évolutive, fonctionnelle.

Ce n'est pas non plus une institution internationale, car son droit est supérieur à celui des Etats. Sa cour de justice, qui veille à l'unité juridique de l'espace européen, est au sommet de la pyramide juridictionnelle des Etats, et sa charte des droits fondamentaux est le résumé des valeurs communes aux peuples européens.

Son originalité tient à la primauté de la constitution économique sur la constitution politique, à la réalisation de l'unité européenne par le marché et par le droit, mais elle s'est dotée, dans le traité de 2004, des moyens institutionnels de devenir un jour une véritable constitution politique.

Son originalité tient aussi à l'absence de séparation des pouvoirs, telle que nous l'avons apprise et proclamée, mais rarement pratiquée, au profit d'une codécision entre organes supranationaux et organes nationaux dans la gestion des compétences transférées : codécision de la Commission et des gouvernements nationaux ; co-interprétation du droit européen par les juridictions nationales et la Cour de Luxembourg ; copréparation des politiques publiques par les administrations de l'Union et les administrations des Etats.

Il manquait, aux côtés du Parlement européen, la participation des parlements nationaux. C'est désormais chose faite, grâce au traité constitutionnel et à la révision qui nous est proposée.

Quels sont, en effet, les nouveaux pouvoirs du Parlement français ?

Parmi les nombreux facteurs du déclin du Parlement français, le transfert massif de compétences relevant du domaine de la loi vers l'Union européenne a été, ces dernières décennies, déterminant. Il l'a été d'autant plus que, dans ce transfert, seul le Parlement a été dépouillé.

L'administration française participe à l'élaboration des normes et des politiques publiques. Les membres du Gouvernement français deviennent législateurs européens en tant que membres du conseil des ministres. Quant au Parlement français, non seulement il est dépouillé, mais, de plus, il lui faut subir souvent l'affront du recours massif aux ordonnances dans la transposition des directives.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion