Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 15 février 2005 à 22h15
Modification du titre xv de la constitution — Discussion d'un projet de loi contitutionnelle

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Cette politique du « bulldozer » a même réussi à culpabiliser les locuteurs des langues régionales, au point qu'ils n'en assurent plus la transmission à leurs enfants.

Aujourd'hui, néanmoins, les nouvelles générations réapprennent ces langues menacées de disparition dans les écoles Diwan en Bretagne, Ikastolak au Pays basque, Calendretas en Occitanie, Bressolas et Arrels en Catalogne, Scola Corsa en Corse.

La défense des langues minoritaires est souvent jumelle de la défense de la démocratie, comme le montrent les combats pour la reconnaissance du kurde, du tibétain ou du berbère. Certains d'entre nous sont bien incohérents lorsqu'ils défendent là-bas ce qu'ils refusent ici ou lorsqu'ils défendent le français face à l'hégémonie de l'anglais, tout en condamnant les langues régionales en France !

Les différences culturelles sont non pas des archaïsmes réducteurs, mais des richesses qu'il faut se donner les moyens de mettre en valeur.

Les Verts sont de farouches défenseurs de la biodiversité, et ce même dans le domaine linguistique. C'est pourquoi nous souhaitons la modification de l'article 2 de la Constitution française, nécessaire à la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Enfin, il est important d'évoquer les langues non territoriales, ayant le statut de langues étrangères, et dont certaines sont présentes depuis des siècles sur le territoire national : le yiddish, les langues tsiganes, l'arabe. Combien de temps faudra-t-il donc pour que ces langues soient « naturalisées » ? Elles devraient pouvoir bénéficier des dispositions de la Charte européenne au titre des langues minoritaires. Quant à la langue des signes pour les sourds et muets, il conviendra de favoriser son enseignement.

Chaque culture doit être aidée. En se défendant, elle maintient en effet une part du patrimoine de l'humanité tout entière.

Vous le savez, désormais les ressortissants communautaires résidant en France peuvent voter et être éligibles, sous certaines conditions, aux élections municipales. La suppression de la condition de réciprocité est la seule avancée du projet de loi constitutionnelle en la matière.

Pourtant, la question du droit de vote des résidents étrangers extra-européens est plus que jamais d'actualité. Il est une condition indispensable à l'exercice de la démocratie. D'ailleurs, le Parlement européen a voté, le 14 février 1989, une résolution demandant aux pays membres d'accorder le droit de vote aux élections locales à l'ensemble des étrangers vivant et travaillant sur leur territoire.

Pourquoi cette réforme tarde-t-elle tant à s'appliquer en France alors que les résidents étrangers participent, au même titre que les citoyens français et communautaires, à la vie économique et sociale du pays ? Cela semble d'autant plus anachronique que les résidents étrangers se sont déjà vu reconnaître des droits : participation aux élections des comités d'entreprise, des conseils d'administration des caisses de sécurité sociale, aux élections prud'homales, droit d'association.

En outre, les résidents étrangers bénéficient des mêmes libertés fondamentales, des mêmes responsabilités et droits sociaux qu'un citoyen français. Ils sont assujettis à l'impôt et contribuent ainsi à la richesse nationale. Mais ils ne peuvent pas, contrairement aux dispositions de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, constater la nécessité de cette contribution publique puisqu'ils ne peuvent pas élire de représentants.

Certains craignent qu'accorder le droit de vote aux résidents étrangers ne fasse émerger un vote identitaire ou communautaire. Cette crainte n'est pas fondée Au contraire, c'est la différenciation dans l'attribution du droit de vote, notamment entre résidents communautaires et non communautaires, qui peut faire naître ce communautarisme et, plus certainement, un réel sentiment d'injustice !

L'application du principe d'égalité - « mêmes droits, mêmes devoirs », - hérité de la Révolution française, permet à la République, en garantissant le même contrat social à tous les résidents sur son territoire, de sortir grandie. Les droits politiques ne sont-ils pas des droits fondamentaux ? Des droits seraient-ils reconnus comme étant fondamentaux pour les uns et pas pour les autres ?

J'évoquerai maintenant les faiblesses de ce projet de loi constitutionnelle, voire les manoeuvres politiques qu'il sous-tend.

Mes chers collègues, je ne comprends pas que l'on puisse utiliser notre Constitution à des fins partisanes ! L'article 2 du projet de loi constitutionnelle n'a qu'un but : permettre au Président de la République de limiter les dégâts dans son propre camp, après l'ouverture de la boîte de Pandore que constitue le cas de la Turquie.

L'article 4 en atteste en prévoyant explicitement que l'article 88-7 de la Constitution ne s'appliquera pas « aux adhésions faisant suite à une conférence intergouvernementale dont la convocation a été décidée par le Conseil européen avant le 1er juillet 2004. » Pourquoi cette date ? Vous reconnaîtrez que cette tournure est bien alambiquée. Elle n'est destinée qu'à faire de la Turquie un cas à part et à semer la confusion !

La demande d'adhésion de la Turquie à l'Europe doit être examinée, au même titre que toutes les demandes d'adhésions à l'Union, ni plus ni moins ! Or le débat, tel qu'il a lieu actuellement en France et tel que la commission européenne en a posé certains fondements, est très inquiétant, voire scandaleux.

Une clause de sauvegarde définitive concernant la migration intérieure des travailleurs turcs est ainsi envisagée : c'est bien la première fois qu'une telle mesure serait prise au sein de l'Union.

Certains pays ont connu des aménagements, des échéanciers : pourquoi pas la Turquie ? L'exigence d'un vote, voire d'un référendum pour cette admission est, elle aussi, d'une hypocrisie notoire.

Les Verts sont pour une vraie citoyenneté européenne, donc avec des débats et des consultations préalables à toute modification et évolution importantes de l'Europe.

Lors des précédents élargissements, aucun débat sur l'entrée des nouveaux pays dans l'Union n'a été organisé, et cela n'a posé de problème à personne !

Encore une fois, la demande de la Turquie doit être traitée comme les autres. Ainsi les Verts estiment-ils que, oui, l'adhésion finale doit faire l'objet d'un débat, à l'échelon tant national qu'européen, et d'un vote. Mais, on ne peut dénier à la Turquie, après quarante ans de coopération renforcée avec l'Union européenne, au point qu'elle fait déjà partie de l'union douanière et économique, le droit d'être officiellement candidate à l'adhésion, au même titre que la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie.

Nous estimons que l'Europe a tout à gagner d'une Turquie laïque, respectueuse des droits humains et des libertés fondamentales, dans cette « guerre des civilisations » que l'Amérique de George Bush tente de mettre en place.

La Turquie est une composante indispensable du projet européen sur la scène internationale. Soyons clairs : en aucun cas, cette entrée officielle dans le processus de négociation ne signifie une adhésion automatique. Rappelons que l'adhésion effective est non pas pour demain, mais pour dans dix ans. Si la Turquie ne remplit pas encore aujourd'hui toutes les conditions d'une démocratie, nous devons l'aider dans son processus démocratique. Oui, des efforts restent encore à faire.

Arrêtons de considérer l'Union européenne comme une instance internationale, car l'Union européenne, c'est nous ! Elle est une composante de notre régime politique. Si seul le Gouvernement, et non le Président de la République, doit être l'acteur principal des engagements européens de notre pays, la voix de la France doit être légitimée par les urnes. Les représentants légitimes du peuple que nous sommes doivent pouvoir exercer un contrôle avant que notre gouvernement prenne une décision.

Pour cela, le Parlement doit avoir la liberté de se saisir, et donc de maîtriser son ordre du jour, comme il doit disposer des moyens d'analyse et d'expertise, à travers une commission spéciale.

Disons-le avec force et vigueur : oui à l'Europe, oui à une Europe citoyenne, démocratique et écologique ! Mais disons avec la même force et avec la même vigueur que cette réforme n'est pas à la hauteur de notre ambition.

Avec ce projet de loi constitutionnelle, qui suscite une confusion entre la révision de la Constitution française et l'élargissement de l'Union européenne, qui méconnaît les aspirations au changement de nombre de nos concitoyens, permettez-moi de vous le dire, nous avons raté le coche d'une révision constitutionnelle audacieuse !

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