Intervention de Dominique Perben

Réunion du 15 février 2005 à 22h15
Modification du titre xv de la constitution — Discussion d'un projet de loi contitutionnelle

Dominique Perben, garde des sceaux :

Mme Boumediene-Thiery a critiqué la saisine préalable du Conseil constitutionnel, ce qui, je ne vous le cache pas, m'a quelque peu étonné puisqu'il s'agissait d'une obligation pour le Président de la République. Ce dernier, en effet, se doit de respecter les articles de la Constitution, en particulier l'article 54 selon lequel l'autorisation de ratifier un traité ne peut intervenir qu'après la révision des dispositions constitutionnelles auxquelles ce traité a été jugé contraire par le juge constitutionnel.

Cette saisine était donc un préalable nécessaire pour engager l'ensemble du processus : avis du Conseil constitutionnel, révision préalable de la Constitution, puis, éventuellement, ratification du traité constitutionnel européen.

A propos de la portée de la révision, M. Portelli a qualifié le projet de loi constitutionnelle de « minimaliste ». Or la rédaction de l'article 88-1 témoigne d'une véritable ambition. En effet, au lieu d'établir une liste des compétences transférées, cet article se réfère purement et simplement au traité lui-même, en disposant que, « dans les conditions fixées par le traité..., la République française participe à l'Union européenne... » .

Certes, monsieur Portelli, le traité établissant une Constitution pour l'Europe est une étape décisive de la construction européenne. Le Parlement, notamment, doit s'y adapter, puisqu'il est désormais largement associé à la préparation et au contrôle des actes de l'Union européenne.

S'agissant toujours de la portée de la révision constitutionnelle, M. Jacques Blanc a justement souligné les « avancées formidables », notamment celles qui visent à rapprocher l'Europe des citoyens. Je crois effectivement que c'est l'une des questions centrales.

Je ne peux d'ailleurs que me réjouir, avec beaucoup d'entre vous, du fait que ce second traité de Rome apporte enfin des réponses à des questions que nous nous posons publiquement, les uns et les autres, depuis bien longtemps, sur la nécessité d'une Europe plus proche des citoyens, grâce à une association plus directe des élus nationaux au fonctionnement de l'Union européenne. Il est vrai, toutefois, que le Parlement et le Gouvernement devront mettre en oeuvre concrètement ce traité, afin de le faire « vivre ».

Peut-être pouvons-nous penser - mais ayant été, il n'y a pas si longtemps, parlementaire, je ne me permettrai ni un conseil ni une leçon -, au vu du nombre de documents transmis au Parlement et du peu de résolutions qui sont votées, qu'il y a mieux à faire, plus d'initiatives à prendre et plus de propositions à formuler.Cela nécessiterait, bien sûr, des efforts d'organisation, car les assemblées sont déjà submergées, nous le savons bien, par des ordres du jour extrêmement lourds. Au demeurant, j'ai indiqué tout à l'heure à M. Haenel que les choix concernant cette organisation incomberont aux deux assemblées.

Monsieur Frimat, vous avez critiqué les articles 2 et 4 du projet de loi constitutionnelle qui sont relatifs à l'organisation d'un référendum pour les adhésions futures à l'Union européenne, ce qui me paraît paradoxal.

En effet, comment ne pas dire aujourd'hui aux Français, au moment où ils vont être interrogés sur le traité de Rome signé en octobre dernier, qu'ils pourront également se prononcer sur les adhésions futures à l'Union européenne ? Nous savons bien, puisque la politique est l'art du concret et du réel, que nos concitoyens s'interrogent aussi sur cette question. Leur donner la certitude qu'ils pourront s'exprimer, le jour venu, sur une question qu'ils se posent, qu'on le veuille ou non, est une attitude à la fois réaliste et propice à l'adoption du traité constitutionnel européen.

M. Badinter a également critiqué les articles 2 et 4 du projet de loi constitutionnelle. Comme il l'a dit lui-même, cette critique rejoint celle qu'il fait sur la nature même du référendum. Même si je ne vais pas rouvrir le débat sur un sujet aussi vaste, je tiens à dire que je ne partage pas une telle réticence à l'égard de cette expression directe de la démocratie. Nous devons, selon moi, prendre en compte le fait que les Français souhaitent se prononcer sur une éventuelle adhésion. Il me semble raisonnable et nécessaire de leur garantir ce moyen d'expression.

Monsieur Mauroy, vous avez avec force et raison souligné que le débat sur l'adhésion de la Turquie n'est pas celui de la présente révision constitutionnelle. Comme M. Baylet, vous avez fait part de vos convictions en la matière.

Quoi qu'il en soit, je souhaite vous remercier d'avoir bien distingué les deux questions. Il reviendra au peuple français de décider sur ces deux points, dans quelques semaines pour le traité constitutionnel européen, et dans dix ou quinze ans pour la question turque.

Mettons tout en oeuvre, comme vous l'avez suggéré, monsieur Mauroy, pour que nos concitoyens répondent bientôt positivement au référendum sur le traité constitutionnel. Il y va de l'avenir de l'Europe. Tous ceux qui partagent votre conviction sur la nécessité de poursuivre la construction européenne ne peuvent que suivre votre conseil.

M. Mercier a également critiqué la modification constitutionnelle relative à l'organisation d'un référendum pour l'adhésion de nouveaux Etats.

Quoi qu'il en soit, je souhaite répondre à l'une de ses interrogations, en lui apportant une précision. Dans l'expression « traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne », l'utilisation du singulier a une valeur non pas quantitative mais générique, comme c'est également le cas à plusieurs reprises dans la Constitution de 1958. Cela englobe bien sûr le cas où le traité porterait sur l'adhésion de plusieurs Etats : il n'y aurait évidemment alors qu'un seul référendum, comme ce fut le cas, même si nous avons oublié cet épisode, lors de l'adhésion de la Grande-Bretagne.

Monsieur Retailleau, vous avez critiqué la construction même de l'Union européenne et le nouveau traité, en dénonçant plus particulièrement la directive Bolkestein.

Puisque cette directive a été évoquée à plusieurs reprises, je ne peux pas manquer d'apporter quelques informations au Sénat sur ce sujet.

Tout d'abord, cette directive - je le redis mais c'est une évidence - n'a rien à voir avec le nouveau traité.

Ensuite, il s'agit d'un projet. Depuis qu'il est élaboré au sein de la Commission, j'ai alerté depuis bientôt un an mes homologues européens ainsi que les représentants des professions juridiques, qui relèvent de ma responsabilité.

Cet avant-projet n'en est qu'à sa phase de prérédaction et, voilà quelques semaines, le Président de la République et le Gouvernement ont demandé à la Commission la « remise à plat » de ce projet. Ils ont obtenu satisfaction. Ne doutez pas de notre vigilance pour la suite de ces travaux.

M. Seillier a insisté sur la nécessaire mise en oeuvre du principe de subsidiarité, sujet d'ailleurs évoqué par plusieurs orateurs. Il est exact que les innovations du traité, qui comprend deux protocoles annexés sur ce point, sont importantes. L'article 88-5 va également dans le même sens.

Pour conclure ces brèves réponses, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite revenir d'un mot sur le caractère extraordinairement positif de la construction européenne, de l'aventure européenne : pour notre génération et pour celles qui sont à venir, c'est un projet extraordinaire, un horizon nouveau.

M. Paul Girod a eu raison de rappeler avec émotion le sens profond de réconciliation qu'a la construction européenne : cette dernière a en effet permis la réconciliation franco-allemande, puis la réconciliation entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe de l'Est, et la construction d'un pôle démocratique, d'un pôle de liberté, d'un pôle représentant une certaine conception de la solidarité sociale. Tout cela mérite bien que nous fassions un nouveau pas en direction d'une plus grande construction de l'Europe.

Voilà, au-delà du projet de loi constitutionnelle que je vous présente, mesdames, messieurs les sénateurs, le sens profond de notre débat d'aujourd'hui.

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