Intervention de Robert Bret

Réunion du 15 février 2005 à 22h15
Modification du titre xv de la constitution — Question préalable

Photo de Robert BretRobert Bret :

S'agissant de l'évolution relative à l'application du principe de subsidiarité, on nous affirme que le protocole n° 2 annexé au traité constitutionnel fait des parlements nationaux les nouveaux garants du respect de ce principe. Le principe de subsidiarité signifie que, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union n'intervient que si les objectifs de l'action envisagée ne peuvent être atteints de manière suffisante par les Etats membres, mais qu'ils peuvent être remplis à l'échelle de l'Union.

Le traité constitutionnel européen énonce, dans ses articles I-11 et I-259, que « les parlements nationaux veillent [...] au respect du principe de subsidiarité... ». A cette fin, le texte proposé par l'article 3 du projet de loi constitutionnelle pour l'article 88-5 de la Constitution dispose : L'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. [...]

« Chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. [...]

« A ces fins, des résolutions peuvent être adoptées [...]. »

Loin de partager l'enthousiasme de certains sur l'apport de cette disposition, nous tenons à souligner que le contrôle du respect du principe de subsidiarité susceptible d'être exercé par les deux assemblées connaît des limites à la fois temporelles et matérielles.

En effet, le premier alinéa du nouvel article 88-5 est censé organiser le volet préventif de la procédure. Or l'avis motivé que chaque chambre d'un parlement national peut adresser aux institutions de l'Union européenne pour exposer les raisons pour lesquelles elle estime qu'un projet d'acte législatif européen ne respecte pas le principe de subsidiarité doit être formulé dans un délai de six semaines à compter de la transmission de ce texte. Pour faire court, on ne fait pas mieux !

En outre, cet avis ne peut concerner que les domaines de compétences partagées entre l'Union et les Etats membres et ne doit pas porter sur le bien-fondé du texte ou le respect du principe de proportionnalité. De plus, il ne peut faire l'objet d'amendements.

En clair, cet avis motivé, que certains nous présentent aujourd'hui comme un véritable pouvoir de contrôle politique - on parle de carton jaune, de carton rouge ! -, n'en est a priori pas un.

Rappelons que les avis motivés doivent représenter un tiers des voix attribuées aux parlements nationaux pour que l'institution à l'origine du projet d'acte législatif soit obligée de procéder à un réexamen de sa proposition. Ensuite, à l'issue de ce réexamen, l'institution est libre de choisir de maintenir tout de même sa position.

Pour notre part, nous considérons, au contraire, qu'une majorité de parlements nationaux devrait avoir le dernier mot si elle estime qu'une mesure européenne méconnaît précisément le principe de subsidiarité ; or ce n'est pas ce qui nous est proposé.

Par ailleurs, des incertitudes subsistent quant à la définition des critères d'appréciation de la subsidiarité. En réalité, l'appréciation du niveau pertinent de l'action publique est un problème non pas juridique mais politique.

En effet, dès lors que le principe de subsidiarité paraît une orientation nécessaire du point de vue tant de l'efficacité que de la démocratie, on peut se demander pourquoi son application par les institutions communautaires continue à soulever d'importantes difficultés et n'est pas plus présente parmi les préoccupations des Etats membres. N'est-elle pas, pourtant, dans l'intérêt bien compris de la Communauté ?

Concrètement, l'insuffisante application du principe de subsidiarité résulte en grande partie du fait que les institutions communautaires, en l'absence de tout contrepoids, tendent inéluctablement à élargir constamment leur champ d'action. Et s'agissant de ce que l'on nous présente comme la phase de contrôle juridictionnel en aval de l'adoption d'un texte - tel est le sens de l'article 8 du protocole et de l'article 3, pour le texte de l'article 88-5, deuxième alinéa, du projet de loi -, il convient de rappeler que la possibilité offerte à chacune des deux chambres de saisir la Cour de justice d'un recours pour violation du principe de subsidiarité est enserrée, elle aussi, dans un délai de deux mois, les rares décisions rendues en la matière par la Cour montrant qu'elle n'exerce qu'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation des institutions de l'Union européenne.

Par ailleurs, le pouvoir reconnu, par le texte proposé pour l'article 88-6 de la Constitution par l'article 3 du projet de loi constitutionnelle, aux parlements nationaux de s'opposer à la mise en oeuvre de la procédure de révision simplifiée, laquelle met en cause « les conditions essentielles de la souveraineté nationale », n'est qu'un pouvoir d'empêchement relatif et ne saurait être en aucun cas un pouvoir de proposition.

D'une part, l'opposition ne peut intervenir que par le biais du parlement national, c'est-à-dire par la voie d'une motion adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, ce qui donne à ce dernier un droit de veto quand la majorité de l'Assemblée nationale n'est pas de la même « couleur politique » ; d'autre part, nous contestons que cette procédure ne soit pas soumise au peuple souverain. Le recours à ces clauses passerelles exigerait, selon nous, une consultation des Françaises et des Français.

Mes chers collègues, comment ne pas voir le déficit démocratique qui résulte du fossé béant existant entre les décideurs et les citoyens européens, et ne pas reconnaître que la construction européenne s'est effectuée jusqu'à présent sans eux et loin d'eux ? Tout montre que la promesse démocratique a été abandonnée en chemin.

Lorsque l'autorité passe du niveau national au niveau européen, les citoyens mesurent que les décideurs sont bien loin et que les choses leur échappent sur des points essentiels qui conditionnent pourtant leur vie et leur avenir.

Désarçonnés par un système si différent sui generis, ils délaissent ce qui leur apparaît comme lointain, complexe et technocratique. Que constatent-ils ? Que la construction européenne a fait émerger une « Europe des gouvernements et des administrations », puisque c'est eux qui se sont révélés comme les principaux détenteurs du pouvoir normatif communautaire.

Il est donc urgent de combler ce déficit démocratique. Pour ce faire, nous devons transformer l'Union européenne, la diriger vers toujours plus de démocratie ; pour y parvenir, il convient que les représentants des peuples et les citoyens eux-mêmes se réapproprient le projet européen en exerçant un nouveau contrôle démocratique sur la conduite de la construction européenne.

D'aucuns considèrent que le traité constitutionnel européen comble ce déficit démocratique en faisant place à la démocratie participative, en instituant un droit d'initiative au profit d'un million de citoyens émanant d'un nombre significatif d'Etats membres. L'article I-47-4 du traité énonce que « la Commission peut, sur initiative d'au moins un million de citoyens de l'Union issus d'un nombre significatif d'Etats membres, être invitée à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution ». Reconnaissons qu'il s'agit là d'un très mince progrès !

Contrairement à ce qui est parfois affirmé, cet article n'introduit pas un référendum d'initiative populaire qui entraîne l'adoption d'une décision. En effet, l'initiative ne peut déboucher ni sur un référendum dans l'Union ni même sur son examen obligatoire par le Conseil et le Parlement. Elle est simplement une invitation faite à la Commission de présenter une proposition sous réserve qu'elle entre dans le cadre de ses attributions et qu'elle ait pour but de réaliser un objectif constitutionnel. La Commission peut ne pas donner suite à cette suggestion, et, si elle y donne suite, elle est maîtresse du contenu de sa proposition.

Le problème du déficit démocratique n'est donc pas résolu. Non seulement l'Union européenne est par nature plus éloignée des citoyens que les Etats membres, mais, de plus, elle ne peut avoir le même fonctionnement démocratique que ceux-ci : comme il n'existe pas de « peuple européen », d'« opinion publique européenne », il ne peut exister entre l'Union et ses citoyens le type de rapport politique qui prévaut au sein des Etats membres entre les pouvoirs publics et les électeurs. Mais n'est-ce pas précisément ce que certains recherchent pour mieux mettre en oeuvre les dogmes libéraux qui sous-tendent l'actuelle construction européenne ?

L'Union européenne doit donc redoubler d'efforts pour se rapprocher de ses citoyens et insuffler une dynamique nouvelle.

A cet égard, nous ne comprenons pas pourquoi le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales n'est toujours pas ouvert aux étrangers non communautaires résidant en France depuis au moins cinq ans.

J'en viens à l'obligation de soumettre au référendum les élargissements futurs de l'Union européenne. Le projet de loi constitutionnelle contient en effet un volet introduisant un nouveau type de référendum - cela a fait pour l'essentiel l'objet de la discussion générale -, un référendum obligatoire, afin d'autoriser la ratification des futurs traités d'adhésion à l'Union européenne.

Soulignons que cette obligation s'appliquera dans tous les cas, que le traité constitutionnel entre ou non en vigueur.

Quant à l'article 4 du projet de loi, il prévoit que cette obligation ne s'appliquera pas aux Etats pour lesquels la décision d'ouvrir la négociation d'adhésion avait été prise avant le 1er juillet 2004, à savoir, comme cela a été rappelé, la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie.

En revanche, l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne fera l'objet d'un référendum, puisque celle-ci n'a été invitée à ouvrir la négociation d'adhésion que le 17 décembre 2004. Il s'agit ici d'une décision pour le moins inique, mais personne n'est dupe : cette disposition n'est que le reflet du traitement discriminatoire réservé à la Turquie, à qui l'on refuse d'appliquer la procédure d'adhésion traditionnellement suivie depuis le début de la construction communautaire.

Le Gouvernement prend prétexte de donner au peuple le pouvoir de se prononcer sur les frontières de l'Union. En réalité, il n'en est rien !

Monsieur le garde des sceaux, si la véritable ambition du Gouvernement était de renforcer la démocratie dans l'Union européenne, comment expliquer ce paradoxe : d'un côté, est institué un référendum obligatoire pour toute autorisation de ratification d'un traité d'adhésion, sans débat parlementaire préalable, alors que, de l'autre côté, le peuple n'est pas consulté pour la mise en oeuvre de la procédure de révision simplifiée qui pourrait conduire à une mise en cause des conditions essentielles de la souveraineté nationale ? C'est aberrant ! Cela signifie que la transformation de l'Union européenne en un Etat fédéral pourrait ne pas être soumise à l'approbation du peuple, tandis que ce dernier serait consulté sur chaque élargissement de l'Union.

Ce paradoxe - telle sera ma conclusion - met en lumière la médiocrité de ce projet de loi qui, dans la lignée du traité constitutionnel européen, relaye le déficit démocratique pour mieux promouvoir la construction d'un grand marché « où la concurrence est libre et non faussée », une Europe de régression sociale, de mise en concurrence des salariés et des peuples.

Mes chers collègues, pour toutes les raisons que je viens de développer, le groupe communiste républicain et citoyen vous invite à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.

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