Intervention de Marc Laménie

Réunion du 19 novembre 2013 à 14h30
Conditions d'attribution de la carte du combattant — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Marc LaménieMarc Laménie :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’aube d’un cycle commémoratif sans précédent, celui du centenaire de la Première Guerre mondiale, qui mettra à l’honneur le sacrifice de la première génération du feu, la proposition de loi déposée par notre collègue Marcel-Pierre Cléach vient nous rappeler que la reconnaissance de la nation envers les lointains héritiers des poilus n’est pas pleine et entière. Ce texte vise donc à corriger deux inégalités qui touchent certains anciens d’Algérie et les soldats qui ont participé à des opérations extérieures en matière d’attribution de la carte du combattant.

La troisième génération du feu, celle de l’Afrique du Nord, est construite autour d’une génération entière de Français. Qui parmi nous n’a pas un parent ou un proche qui, appelé ou militaire de carrière, a servi en Algérie ?

Quant aux OPEX, elles constituent désormais la principale forme d’intervention de l’armée française à l’extérieur de notre territoire, le plus souvent en application de nos engagements internationaux. Conformément à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, à des décisions du Conseil de l’Union européenne ou dans le cadre de l’OTAN, 8 500 femmes et hommes étaient déployés dans le monde au 1er octobre dernier, principalement au Mali, au Liban et en Afghanistan. Ce sont eux qui forment la quatrième génération du feu.

La carte du combattant a été mise en place au lendemain de la Première Guerre mondiale, en 1926, sur l’initiative de deux grands hommes d’État, dont il est bon de rappeler l’action : André Maginot, connu pour son engagement en faveur du monde combattant, et Paul Painlevé, alors ministre de la guerre. Elle s’inscrit dans le mouvement de reconnaissance d’un droit à réparation pour ceux qui ont servi la nation au combat, qui a pris naissance dès les premiers mois du conflit.

La carte est créatrice de droits pour ses titulaires. Le plus important d’entre eux est le versement, à partir de l’âge de soixante-cinq ans, de la retraite du combattant, dont le montant annuel s’élève à l’heure actuelle à 668, 64 euros. Instituée par notre illustre prédécesseur dans cette assemblée, Auguste Champetier de Ribes en 1930, alors qu’il occupait le portefeuille des pensions, elle est étroitement liée à la qualité d’ancien combattant. Elle n’est donc pas réversible. Elle est attribuée, sous certaines conditions, dès soixante ans, notamment aux bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées ou de l’allocation aux adultes handicapés, ainsi que dans les départements d'outre-mer.

Une demi-part fiscale est accordée à son détenteur à partir de soixante-quinze ans et celui-ci peut également se constituer une rente mutualiste majorée par l’État, sujet d’actualité en raison des récentes initiatives du Gouvernement.

La carte confère aussi aux anciens combattants la qualité de ressortissant de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, qui a été créé en même temps que la carte du combattant et qui joue un rôle important sur l’ensemble de nos territoires. Elle ouvre donc accès à ses prestations d’aide sociale. Sa mission est, selon ses textes fondateurs, de « veiller sur les intérêts moraux et matériels des combattants ». Je sais que nous y sommes toutes et tous ici très attachés, car nous mesurons au quotidien la qualité du travail des agents au service du monde combattant.

Enfin, reconnaissance symbolique, le cercueil du titulaire de la carte peut être recouvert du drapeau tricolore.

Sur un plan administratif, les demandes d’attribution doivent être établies auprès des services départementaux de l’ONAC, sur la base de l’état des services accomplis. Après instruction et vérification auprès des archives du ministère de la défense, ce qui suppose un long travail de recherche et de prospection, le dossier est soumis à la commission nationale de la carte du combattant, composée majoritairement de représentants des anciens combattants. La décision finale est prise par le directeur général de l’ONAC.

Au total, on peut estimer à 1, 3 million environ le nombre de titulaires de la carte du combattant dans notre pays, alors que 1, 2 million de retraites du combattant seront versées en 2013. Le plus gros contingent est bien évidemment formé des anciens combattants de la guerre d’Algérie puisque 1, 3 million d’appelés et rappelés y ont servi, avec beaucoup de dévouement, aux côtés de plusieurs centaines de milliers d’engagés volontaires, de supplétifs et de membres des forces de l’ordre.

Si la législation actuelle proclame l’universalité de la reconnaissance de la République envers les anciens combattants et l’égalité la plus stricte entre eux, les critères d’attribution de la carte du combattant ne sont plus adaptés aux réalités des conflits actuels et ne sont donc pas fidèles à ces principes.

Les deux premières générations du feu, celles des deux conflits mondiaux, ont pour la plupart connu des formes d’affrontements classiques : une guerre de position ou de mouvement avec un front et un adversaire clairement identifié. Il s’agit d’une situation différente de celle à laquelle ont été confrontées la troisième et la quatrième génération du feu, en Algérie ou en OPEX.

L’attribution de la carte du combattant leur a été progressivement étendue. Il a toutefois fallu attendre 1974 pour les soldats ayant participé aux « opérations effectuées en Afrique du Nord » entre 1952 et 1962, et 1993 pour les anciens des OPEX. Il faut surtout se souvenir que ce n’est que par l’adoption de la loi du 18 octobre 1999 qu’a officiellement été reconnu aux opérations en Algérie le caractère de « guerre ».

Concernant l’Afrique du Nord, plusieurs conditions alternatives ont longtemps cohabité, principalement l’appartenance, pendant au moins trois mois, à une unité combattante ; l’appartenance à une unité ayant connu neuf actions de feu ou de combat ; la participation à cinq actions de feu ou de combat. De plus, les blessés de guerre, les soldats ayant reçu une citation individuelle ainsi que ceux qui ont été détenus en méconnaissance des conventions de Genève ont été considérés comme combattants.

Sur ces bases, les anciens combattants ont rencontré d’importantes difficultés pour faire valoir leurs droits, et de nombreuses inégalités de traitement ont été relevées. En effet, la caractérisation des unités combattantes et des actions de feu ou de combat revient au service historique de la défense, le SHD, qui, avec beaucoup de professionnalisme, s’appuie sur les journaux des marches et opérations des unités concernées. Ces derniers, souvent lacunaires, voire manquants, correspondent rarement à ce que les soldats ont vécu sur le terrain. Les éplucher exhaustivement et les exploiter correctement représente une tâche immense.

Pour répondre à ce problème, le législateur a défini, dans la loi de finances pour 2004, un nouveau critère reconnu comme équivalant à la participation aux actions de feu ou de combat : une durée de quatre mois de présence en Algérie, au Maroc ou en Tunisie jusqu’au 2 juillet 1962. Cette simplification, demandée de longue date par les représentants du monde combattant, était évidemment indispensable. Elle ne permet toutefois pas de prendre en compte l’ensemble des soldats, appelés ou militaires de carrière, ayant servi en Algérie et ayant été exposés au danger. En effet, 305 000 hommes se trouvaient encore en Algérie à la date de l’indépendance. Les accords d’Évian prévoyaient le maintien sur place, pour une durée de deux ans, d’un important contingent : encore 131 000 hommes en janvier 1963 et 50 000 un an plus tard, avant un retrait qui eut lieu en juillet 1964. Ces chiffres ne manquent pas de nous interpeller.

Des troupes françaises étaient encore présentes en Algérie après cette date, mais dans un autre cadre ; elles n’entrent donc pas dans le champ de la proposition de loi.

Durant cette période, plusieurs dizaines de soldats français sont décédés et ont été reconnus morts pour la France. Leurs compagnons d’armes ne peuvent pas aujourd’hui bénéficier de la carte du combattant. Ils peuvent uniquement prétendre au titre de reconnaissance de la nation, qui n’ouvre pas les mêmes droits et n’a pas la même portée symbolique, comme l’a rappelé notre collègue Cléach. C’est la raison pour laquelle l’article 1er de la proposition de loi étend jusqu’au 2 juillet 1964 la borne temporelle prise en compte pour le calcul des cent vingt jours de présence rendant éligible à la carte du combattant.

Le Gouvernement a introduit dans le projet de loi de finances pour 2014 une mesure intermédiaire : la carte « à cheval », c’est l’expression consacrée, soit l’attribution de la carte du combattant aux personnes dont le déploiement en Algérie a commencé avant le 2 juillet 1962, mais s’est achevé après cette date. À mes yeux – ce sentiment est partagé par plusieurs de mes collègues –, si elle satisfait une partie des demandes légitimes du monde combattant sur ce point, cette mesure ne les prend pas en compte dans leur intégralité, contrairement à ce que prévoit l’article 1er de la proposition de loi.

J’en viens maintenant aux OPEX.

Depuis la loi du 4 janvier 1993, les militaires ayant participé aux opérations extérieures ont vocation à recevoir la carte du combattant selon les mêmes critères de droit commun que pour la guerre d’Algérie. En revanche, le critère tenant aux quatre mois de présence ne leur est pas applicable.

Le critère central, celui de la participation à des actions de feu ou de combat, est particulièrement inadapté aux activités des unités en OPEX. Ne combattant pas un ennemi clairement identifié sur une ligne de front, mais assurant la plupart du temps des missions de maintien de la paix ou de protection des populations, les soldats français servant à l’étranger ne peuvent souvent pas faire état d’un nombre suffisant d’actions de feu ou de combat pour recevoir la carte, alors même que leur mission est extrêmement dangereuse, comme l’a rappelé Marcel-Pierre Cléach.

Il a fallu attendre un décret du 12 novembre 2010 pour qu’une définition de ces actions, plus adaptée aux réalités des OPEX, soit établie : sont désormais prises en compte les actions de combat et les actions qui se sont déroulées « en situation de danger caractérisé ».

Un arrêté est venu fixer la liste des actions concernées, qui sont celles rencontrées en OPEX. Ce sont, par exemple, les très complexes opérations de rétablissement de l’ordre, de déminage, de contrôle d’une zone terrestre, aérienne ou maritime, ou encore d’évacuation sanitaire. En conséquence, le nombre de cartes du combattant attribuées au titre des OPEX est en forte progression puisqu’il est passé de 3 650 en 2011 à 8 900 en 2012 et devrait s’établir, pour 2013, à plus de 11 000. Je tiens à saluer sur ce point l’action volontariste du Gouvernement, qui a d’ores et déjà qualifié d’unités combattantes toutes les unités de l’armée de terre qui ont été engagées en Afghanistan et au Mali.

Toutefois, en dehors de ces deux cas récents, les critères complexes de qualification des unités obligent le service historique de la défense à mener un travail de recherche très long, sur la base de sources parfois peu fiables. La procédure dure parfois jusqu’à dix ans. Des inégalités de traitement entre OPEX et entre les trois armées selon la qualité des archives conservées et la capacité à les exploiter sont à déplorer. Le problème est le même que celui qui existait pour la guerre d’Algérie avant 2004.

Il faut savoir que, pour remplir cette tâche immense, le service historique de la défense ne dispose que de cinq personnes. C’est pourquoi l’article 2 de la proposition de loi de Marcel-Pierre Cléach et ses collègues tend à consacrer dans la loi, comme c’est le cas depuis 1974 pour les anciens combattants d’Algérie, la plus stricte égalité entre la quatrième génération du feu et celles qui l’ont précédée. Cette déclaration de principe est loin d’être inutile. Le texte vise également à transposer le critère des quatre mois de service requis pour obtenir la carte du combattant aux soldats ayant servi en OPEX.

Soyons objectifs, la proposition de loi ne s’inscrit ni en rupture avec l’action des différents gouvernements qui se sont succédé ces dernières années ni avec celle des parlementaires, et ce quelle que soit leur sensibilité politique. Nous sommes en effet toutes et tous concernés par cette question. Ainsi, tous les membres du groupe socialiste du Sénat avaient cosigné, le 17 avril 2008, une proposition de loi de notre ancien collègue Jean-Pierre Masseret visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d’Évian du 2 juillet 1962 jusqu’au 1er juillet 1964, …

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