Intervention de Jean Boyer

Réunion du 19 novembre 2013 à 14h30
Conditions d'attribution de la carte du combattant — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Jean BoyerJean Boyer :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme des millions de Français, je fais partie de ceux qui, après le 1er novembre 1954, ont traversé la Grande Bleue pour faire respecter la volonté de la France sur le sol algérien. En effet, c’est ce jour-là, dans les gorges de Tighanimine, qu’a eu lieu l’attentat précurseur, l’attentat qui a généré une insécurité qui s’est étendue progressivement à tout le territoire. L’escalade a pris dès lors la forme d’un climat de révolte, de rébellion généralisée, puis, reconnaissons-le avec regret, pratiquement de guerre.

Vous le savez, monsieur le ministre, nous sommes partis sans hésitation ni murmure, conformément aux bases de la discipline : « l’autorité qui donne [les ordres] en est responsable, et la réclamation n’est permise au subordonné que lorsqu’il a obéi ». Nous avons suivi les volontés successives de la France. Je rappelle – je suis l’un des aînés de cette assemblée – que, dans un premier temps, en 1954-1955, l’objectif était que l’Algérie reste une terre française.

Cependant, l’évolution de la situation a généré de plus en plus d’insécurité, par des attentats, des embuscades, et donc des morts, malheureusement dans les deux camps. Au fil des jours, le conflit s’est enlisé, s’est durci, l’insécurité s’est installée, le sang a coulé inutilement, comme souvent à la guerre. La France avait engagé un combat dont il était difficile de voir la fin ; je le dis pour vous, mes chers amis, qui n’êtes pas de ma génération.

En 1958, le pays était de plus en plus ensanglanté. Nous étions enlisés dans ce drame. Il fallait avoir un regard visionnaire, être capable de se projeter dans le futur. Il ne fallait pas regarder dans le rétroviseur, mais regarder l’avenir de la France et de l’Algérie, dans un contexte mondial où tous les peuples aspiraient à une chose fondamentale : l’indépendance. L’Algérie devait choisir elle-même son destin, par l’autodétermination. C’est facile de le dire aujourd'hui, mais c’était difficile à réaliser dans une Algérie déchirée et dans une France très contrariée par le conflit.

Le 13 mai 1958 – je me rappelle que j’étais tout prêt d’un poste de radio GRC-9 –, nous avons entendu un message : le président de la République, René Coty, avait appelé l’homme qui, le 18 juin 1940, avait lancé un appel à la France. Le 13 mai 1958, c’était la France qui lui lançait un appel, car elle savait qu’il était le seul homme possédant cette dimension nationale et internationale, cette dimension de visionnaire. Charles de Gaulle a répondu oui ! Avec courage, il a engagé ce qu’on a d’abord appelé l’œuvre de pacification, conscient que toute poursuite des combats était inutile et qu’il était indispensable pour les deux pays d’établir un cessez-le-feu.

Oui, il fallait que l’Algérie choisisse son destin par la voie de l’autodétermination ! Déjà, le mal avait fait son chemin puisque plusieurs milliers de soldats français et algériens avaient inutilement perdu la vie et que de nombreux autres avaient été blessés, souvent gravement. Alors, pourquoi continuer ?

Oui, l’armée française a obéi en exécutant ses différentes missions ! Il est normal qu’elle fasse valoir aujourd’hui ses droits, car elle a accompli son devoir. De nombreux acteurs, français ou algériens, ne sont plus là. C’est terrible de perdre la vie en faisant la guerre !

Le drame de la mort n’a pas de date, qu’il se situe avant ou après le 1er juillet 1962. D’ailleurs, l’histoire nous le dit, c’est au printemps et à l’été 1962 que la proportion de morts est devenue considérable et inquiétante.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque, dans nos départements, nous lisons la rubrique décès de la presse locale, figure très souvent en dessous du prénom et du nom la mention « ancien d’Afrique du Nord » ou « ancien d’Algérie ». Chaque jour se ferment des paupières... Tant qu’il restera je dirai non pas des survivants de cette période, mais des hommes de bonne volonté, pensons à eux !

Je conclurai mon propos en vous donnant la position du groupe UDI-UC en toute objectivité. Avec mes collègues, nous avons eu ce matin un long débat avec ceux qui ont servi la France avant et après le 1er juillet 1962, avec ceux qui ont vécu sur cette terre algérienne. Je peux vous dire que, dans la vie, il y a des choix difficiles à faire : il y a les choix du cœur, il y a les choix de la raison, il y a les choix de la légalité.

De mon groupe, je suis, me semble-t-il, le plus ancien à être parti là-bas, mais, tous, nous sommes partis sans hésitation ni murmure pour servir la France. Si mes collègues avaient voté avec leur cœur, ils auraient choisi de soutenir la proposition de loi. Certains prendront sans doute la parole pour expliquer leur vote, mais je peux d’ores et déjà dire que la grande majorité d’entre nous s’abstiendra, pour différentes raisons, et que les autres voteront le texte.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous confier un souvenir personnel. Alors que j’étais sous-lieutenant, ayant dépassé la durée légale du service, j’ai vu, comme beaucoup d’entre vous, la mort et le sang couler. J’ai tenu dans mes bras un jeune homme, le caporal Bouroumeau, dont les derniers mots furent pour Huguette, sa fiancée, et Marie, sa mère. Voilà l’image que je garde en mémoire !

N’entamons pas l’unité des combattants d’aujourd’hui ! Il est triste que le monde combattant de 2013 ne fasse pas preuve, comme nous le souhaiterions, de fraternité, pour des questions d’appartenance à une section ou d’affinités. Je suis de ceux qui sont pour garder l’unité dans la fraternité !

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