Intervention de Sophie Primas

Réunion du 19 novembre 2013 à 14h30
Utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Sophie PrimasSophie Primas :

Nous examinons donc aujourd'hui une proposition de loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, texte qui concerne principalement les collectivités territoriales et les particuliers.

Je veux saluer très sincèrement le travail de M. Joël Labbé, auteur de la proposition de loi, et de M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission, ainsi que leur volonté respective d’aboutir à un texte consensuel.

Chers collègues, vous avez écouté et pris en compte un certain nombre de remarques, adopté plusieurs amendements qui ont amélioré et précisé le texte initial, voire, parfois, donné plus de temps aux publics visés.

J’adhère donc pleinement à l’esprit de ce texte.

Néanmoins, je considère que ce dernier ne peut être voté en l’état, car sa rédaction me semble comporter encore trop d’insécurités juridiques, notamment à l’article 1er, et ne pas permettre une bonne interprétation par les maires.

Par ailleurs, la proposition de loi est, à mon sens, porteuse de quelques sources d’incompréhensions potentielles.

Enfin et surtout, elle n’a pas été évaluée financièrement pour les communes, ce qui, nous l’admettrons tous assez facilement, est une faute que nous ne pouvons éternellement répéter au fil des lois.

La proposition de loi s’articule autour de deux axes principaux.

Premièrement, le texte vise à une interdiction, à l’horizon 2020, de l’utilisation des produits phytosanitaires par les personnes publiques.

Pour ma part, je suis absolument certaine que le zéro phyto dans les collectivités est surtout affaire de motivation et d’une forme de courage politique, car il nécessite, auprès de la population, beaucoup de communication et d’esprit de persuasion. Il est nécessaire de faire savoir aux habitants que l’utilisation ou non de produits phytosanitaires ne donnera pas, au final, le même résultat et qu’il faut accepter de nouvelles formes d’espaces verts.

Le zéro phyto est d’ores et déjà mis en œuvre, de façon volontaire, voire volontariste, dans de nombreuses communes de France, de toutes tailles et très diversement dotées sur le plan administratif.

Je veux une nouvelle fois citer l’exemple de Versailles, dans mon beau département des Yvelines. Dans les royales rues et avenues de cette commune, le plan zéro phyto est appliqué depuis déjà un certain nombre d’années – depuis 2005 si je ne m’abuse –, en ayant recours à des méthodes qui font maintenant école.

Mais je veux aussi évoquer l’exemple de communes rurales, comme il en existe aussi beaucoup dans mon département. Ces communes ont souvent un seul employé municipal, qui ne travaille parfois qu’à temps partiel, et elles pratiquent presque le zéro phyto partout sur leur petit territoire communal, à l’exception des endroits que les maires considèrent comme présentant des dangers pour la circulation automobile ou pour la circulation des piétons.

Je pense au maire d’une petite commune du Vexin, située dans le parc naturel, que je suis allée voir la semaine dernière. Cette commune a un seul cantonnier, mais son maire mène à cet égard une politique très volontariste : il pratique le zéro phyto dans sa commune et a repensé l’engazonnement de ses espaces verts et de ses trottoirs pour prendre en compte le ruissellement de son village. Cependant, il ne se résout pas à faire marcher les enfants sur des trottoirs glissants ou mal dégagés dans leur trajet quotidien entre la cantine et l’école. Il ne se résout pas non plus à ne pas désherber les étroites voies de desserte de sa commune, car il ne veut pas ajouter du danger à la circulation des véhicules. Il utilise donc du désherbant de manière raisonnée et raisonnable.

Par ces deux exemples locaux, je veux souligner la volonté des maires, quelle que soit leur appartenance politique. Cette volonté est bien réelle, mais elle n’exclut pas pour autant le bon sens.

Par conséquent, je salue le fait que, dans le texte qui nous est proposé, le champ d’application de l’interdiction du recours aux produits phytosanitaires ait été plus justement encadré, notamment à l’occasion des travaux de la commission. En effet, cette interdiction porterait seulement sur « l’entretien des espaces verts, forêts ou promenades accessibles ou ouverts au public ». Ainsi, les cimetières et les terrains de sport seraient exclus du champ du dispositif. Cette avancée est de nature à permettre l’acceptation du texte, tant le cimetière, en particulier, reste un endroit sensible.

Par ailleurs, les actions de désherbage menées par les collectivités ou les établissements publics, dans un objectif de sécurisation de la voirie, par exemple, semblent être également exclues du dispositif ; je souhaiterais que l’auteur de la proposition de loi et le rapporteur puissent me le confirmer. Cette exclusion aurait le mérite de rassurer les collectivités rurales qui mènent des actions de sécurisation sur les voies communales, parfois très étendues, par exemple entre deux hameaux, et qui s’inquiètent d’un dispositif de retrait total de toute action chimique, sans aucune alternative autre que mécanique, l’alternative toute mécanique posant un autre souci, celui du personnel nécessaire et donc des coûts afférents.

Cela étant, il me semble qu’il n’existe pas, à cette date, de définition juridique stricto sensu de l’« espace de promenade ». Un talus pourrait-il être considéré comme un espace de promenade ? Quid d’un bord de route ? Un stade ne pourrait-il pas finalement, lui aussi, être requalifié par un juge comme espace de promenade ? On voit bien ici l’insécurité juridique et le nombre de recours possibles auxquels les maires pourraient s’exposer dès lors que la loi serait votée.

Par ailleurs, malgré le travail de qualité, j’y insiste, effectué par nos collègues Joël Labbé et Ronan Dantec, un certain nombre de questionnements restent en suspens. Nous avons d’ailleurs eu de très longs débats en commission et envisagé moult réécritures de l’article 1er...

Ainsi, il semblerait que la distinction proposée entre personne publique et personne privée ne résistera que difficilement à l’épreuve des faits.

Peut-on, par exemple, interdire à une collectivité d’avoir recours aux produits phytosanitaires sur son territoire alors qu’un bailleur privé pourra continuer à les utiliser librement sur les espaces verts de son parc de logements sociaux ? Une personne publique pourrait-elle faire appel à un prestataire de service privé, professionnel qui, lui, serait autorisé à utiliser les produits phytosanitaires ? Je sais que M. Ries a déposé un amendement pour régler ce problème, qui est réel.

Comment un maire un peu récalcitrant peut-il comprendre qu’il faille respecter l’interdiction du recours aux produits phytosanitaires, par exemple dans une zone industrielle, quand, quelques mètres plus loin, au sein du parc privé d’une entreprise, derrière le grillage qui sépare espace privé et espace public, l’entretien des espaces verts, non concernés par cette proposition de loi, serait réalisé avec des produits phytosanitaires, lesquels pourraient éventuellement contaminer les espaces publics ?

À mon sens, la confusion de ces différentes politiques de gestion des espaces au sein même d’un seul territoire peut conduire au brouillage du message que nous souhaitons faire passer et, surtout, à des recours éventuels de particuliers, qui, me semble-t-il, seront très difficiles à trancher.

Ces questions, auxquelles s’ajoutent celles qui sont relatives à l’impact budgétaire de ces mesures pour les collectivités, nécessitent une plus grande et une plus large réflexion avec l’ensemble des acteurs concernés.

Ainsi, même si l’objectif affiché est louable, il ne pourra être atteint que si tout est fait que si le texte fait en sorte d’assurer les conditions du succès, ce qui suppose préparation suffisante, et cela est particulièrement vrai dans la période contrainte que nous traversons.

Dans son deuxième axe, la présente proposition de loi vise à une interdiction, à l’horizon 2022, de la commercialisation de produits phytopharmaceutiques pour un usage non professionnel. Cet objectif est tout à fait estimable, et j’y adhère totalement.

Néanmoins, je souhaite rappeler la dynamique engagée dans le cadre du Grenelle de l’environnement.

Les mesures concernant la vente de produits phytosanitaires en grande distribution viennent tout juste d’entrer en vigueur. Vous avez certes souligné, monsieur le ministre, que les objectifs n’étaient pas encore atteints, mais vous reconnaîtrez qu’il est encore un peu tôt pour qu’ils le soient.

Ainsi, depuis le 1er octobre 2013, la vente de ces produits ne peut se faire qu’en présence d’un personnel formé. Tous les points de vente doivent être certifiés conformes par un organisme certificateur, sur la base de référentiels élaborés par la direction générale de l’alimentation, la DGAL.

Le référentiel spécifique à la distribution au grand public comprend plusieurs types d’exigences. Tout d’abord, il comprend des exigences sur les conditions de vente au client, notamment l’information par un vendeur certifié, la présentation des méthodes alternatives ou encore les zones clairement balisées. Il comporte des exigences quant aux procédures internes : stockage des produits en réserve, gestion des déchets, vérification automatique de la validité de l’autorisation de mise sur le marché… Enfin, il comporte des exigences en termes de proximité avec les produits alimentaires, des zones minimales de distance entre produits phytosanitaires et produits alimentaires étant obligatoires.

Nous devons nous féliciter de ces avancées et, parallèlement, remarquer les efforts des entreprises de la distribution, spécialisée ou non, pour permettre une information efficace du consommateur et une gestion plus sécurisée des produits.

Même si nous pouvons avoir a priori certaines réserves sur la réalité opérationnelle de certaines exigences, il faut accorder un peu de temps au temps. Aussi, face au caractère très récent de ce nouvel encadrement de la vente de produits phytosanitaires à usage non professionnel, nous pouvions nous interroger sur l’opportunité de nous prononcer, dès aujourd’hui, sur l’interdiction immédiate de leur commercialisation.

Je remercie donc la commission d’avoir accepté de repousser l'échéance à 2022, ce qui laissera à ces entreprises de distribution le temps de rentabiliser les investissements réalisés pour répondre aux exigences du Grenelle de l’environnement et de mettre en place, avec les industriels, de nouvelles gammes non seulement alternatives aux produits phytosanitaires, mais aussi efficaces. Effectivement, pour que de nouveaux produits soient acceptés dans la durée par les particuliers, notamment par les jardiniers amateurs, qui sont très attachés à la réussite de leur production personnelle, l’efficacité doit être au rendez-vous.

De surcroît, fixer le terme de l’interdiction à 2022 permettra aux industriels du secteur de continuer à développer l’ensemble des produits alternatifs qui font actuellement l’objet de recherches. Je pense naturellement aux produits de bio-contrôle, qui doivent être soutenus, comme l’avait clairement mentionné notre collègue député Antoine Herth dans son excellent rapport.

Je salue l’article 3 de la présente proposition de loi qui nous permettra de considérer la façon qui soit la plus efficace et la plus sûre de faire pénétrer sur le marché des produits de bio-contrôle, mais également la plus rapide, la plus économique que prévu.

Mais demeurera le souci premier des particuliers : le désherbage. Sur ce sujet, ne nous trompons pas ; n’interdisons pas tout au motif qu’est ciblé un produit particulier – que je ne nommerai pas – contenant des glyphosates. C’est bien le rôle de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, d’évaluer les risques. Lors du renouvellement de l’homologation, les produits visés doivent faire l’objet d’une grande vigilance et donner lieu ou non à une autorisation qui, en dernier ressort, relève encore de la responsabilité politique du ministre chargé du dossier.

Eu égard à l’ensemble de ces réserves et tout particulièrement, vous l’avez compris, en raison des risques juridiques et financiers qui résultent de l’article 1er, les membres du groupe UMP s'abstiendront sur le texte que nous examinons, même si, je le répète, ils partagent les objectifs poursuivis. §

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