Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les écologistes apprécient la proposition de loi de Joël Labbé et le climat constructif dans lequel elle a été accueillie.
Sans doute est-ce en raison de l’heureuse conjonction des convictions de l’auteur et du riche travail collectif de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement, dont la présidente était Sophie Primas et le rapporteur Nicole Bonnefoy. Et personne n’ignore dans cette enceinte la contribution permanente des associations d’apiculteurs, de paysans soucieux des générations futures, ou de promoteurs d’alternatives compatibles avec notre santé et la biodiversité, pas plus que le rôle précurseur d’élus courageux qui ont – sans jeu de mot – défriché le terrain avec leurs collaborateurs en affrontant le doute des riverains devant quelques plates-bandes qui n’affichaient pas la coupe et l’uniformité réglementaires.
Avant d’aborder le fond de la question, il n’est pas inutile de se remémorer de quelle manière le champ sémantique des substances toxiques a été manipulé.
L’étymologie du mot « pesticide » signale d’emblée sa finalité mortifère à destination des « pestes » – ce sont les sales bêtes, les vilains parasites ou les mauvaises herbes et autres connotations révélatrices, dont il reste une scorie dans le présent texte qui comporte le terme « nuisibles ».
Puis furent étudiés plus attentivement ces molécules et leurs effets sur la santé humaine. Phtalates, perturbateurs endocriniens, neurotoxiques et inhibiteurs de croissance ont aussi, évidemment, des effets sur l’homme.
Leur mauvaise réputation devenant universelle, les fabricants ont fait valoir auprès des institutions une nouvelle expression consacrée, celle de « produits phytosanitaires ». Mais ces derniers furent aussi l'objet de quelques études accablantes mettant en perspective, à la suite de contaminations directes ou indirectes, des lymphomes, des myélomes, des maladies de Parkinson… Aussi sont-ils maintenant dénommés « produits phytopharmaceutiques », sans toutefois que leur composition soit modifiée. Ces substances restent polluantes pour l’environnement et dangereuses pour la santé, ce de façon durable.
Et les fabricants le savent : ils ont dû retirer certains produits de la vente et ont fait évoluer tant les contenants que les modes d’emploi.
Les soignants des centres hospitaliers régionaux et des zones agricoles fruitières le savent, eux qui accueillent en urgence les personnes intoxiquées après chaque campagne de pulvérisation.
La Mutualité sociale agricole le sait, elle qui a mis en place la collecte des signalements de contaminations et des portails d’explication des risques de mauvaises manipulations, de contacts avec la peau, ou d’inhalation.
Les applicateurs, salariés autorisés des entreprises ou des services à pulvériser ces pesticides, le savent, eux qui doivent enfiler des combinaisons et mettre des masques. Je tiens à votre disposition un cliché pris depuis le restaurant du Sénat sur lequel on voit dans le parc un jardinier habillé comme dans un film de science-fiction en train d’épandre un mystérieux aérosol sur les gazons… §
Nos agences de sécurité sanitaire le savent, elles qui ne sont pas promptes à sonner l’alarme sans avoir vérifié plusieurs fois la certitude d’un danger…
Et cette toxicité, connue et reconnue, nous la laisserions déployer ses effets dans les parcs et jardins où gambadent les petits ? Ceux-ci respirent à pleins poumons, touchent les feuilles, cueillent les pâquerettes, s’allongent dans l’herbe. Or les conséquences des pesticides sur les organismes en croissance sont décuplées ; certaines molécules perturbent le système hormonal et engendrent des dysfonctionnements, parmi lesquels l’hyperactivité.
Cette toxicité reconnue, nous la laisserions, si je puis dire, en vente libre à destination des potagers domestiques ? Il est fréquent que le jardinier de la famille, jaloux de sa future récolte de choux, de laitues ou de fraises et peu avare des moyens qu’il y consacre, applique sans nuance le principe « quand on aime, on ne compte pas » et double la dose de produit, qu’il répand sans gants, pour faire disparaître – à jamais, espère-t-il – limaces, pucerons et chenilles.