Les missions de l'administration pénitentiaire ont été au coeur du débat public cette année avec les travaux de la « conférence de consensus », qui se sont déroulés de septembre 2012 à février 2013 et se sont conclus par la remise d'un rapport au Premier ministre le 20 février - et le débat va se poursuivre l'an prochain, avec le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines, déposé à l'Assemblée nationale le 9 octobre dernier. Les principes retenus par le Gouvernement - individualisation des peines et des parcours d'exécution des peines, renforcement du contrôle et du suivi des personnes condamnées en milieu ouvert, accent mis sur la prévention de la récidive et sur la réinsertion - s'inscrivent largement dans la continuité des avancées de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dont la mise en oeuvre n'est toujours pas pleinement assurée : comme vous le savez, nous sommes toujours en attente de la publication de certains décrets d'application.
Avec 2,85 milliards d'euros en autorisations d'engagement (- 1,19 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2013) et 3,24 milliards d'euros en crédits de paiement (+ 1,39 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2013), ce projet de budget ne traduit que très partiellement ces nouvelles orientations.
Si je ne peux que saluer, dans le contexte actuel de maîtrise des dépenses publiques, l'effort important consenti par le Gouvernement - notamment la création de 300 emplois de conseillers d'insertion et de probation accompagnée de 100 emplois « soutien » -, je dois également souligner les difficultés persistantes des personnels de l'administration pénitentiaire pour exercer leurs missions.
Ce budget, d'abord, est un budget d'attente. Entre les grandes orientations de politique pénale définies par la garde des sceaux dans une circulaire du 19 septembre 2012 et l'entrée en vigueur du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines, dont l'examen par l'Assemblée nationale ne devrait pas intervenir avant avril 2014, l'administration pénitentiaire se trouve dans une situation transitoire peu propice à des évolutions d'ampleur.
Les crédits de paiement alloués à l'administration pénitentiaire progressent très légèrement, bien moins que les années précédentes : + 1,39 % en 2014, contre + 4,8 % en 2011, + 6,8 % en 2012 et + 6 % en 2013.
Comme l'an passé, je déplore les défauts de plusieurs indicateurs de performance. En particulier, la sécurité des établissements (objectif n° 1) devrait s'apprécier non seulement à l'aune du nombre d'incidents dont les personnels sont victimes mais aussi à celle des violences commises en détention entre personnes détenues. Les représentants des personnels des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) ont également souligné le caractère insuffisant des indicateurs retenus pour mesurer la qualité de la prise en charge du condamné en milieu ouvert - cette dernière n'étant mesurée, en l'état des documents budgétaires, qu'à travers l'indemnisation des victimes par les personnes condamnées à un sursis avec mise à l'épreuve (SME). Cette action, bien qu'importante, ne donne en effet qu'une vision très partielle du travail réalisé par les SPIP. Cet objectif n° 5 pourrait être utilement complété d'indicateurs portant, par exemple, sur le délai de convocation des personnes devant les SPIP ou sur le nombre de dossiers suivis par chaque conseiller d'insertion et de probation.
Je regrette également, cette année encore, le manque d'ambition des objectifs fixés pour plusieurs indicateurs. Ainsi le taux d'occupation des places en maison d'arrêt (indicateur 2.1) : après une réalisation de 122 % en 2010 et de 124 % en 2011, le projet annuel de performances (PAP) annexé au projet de loi de finances pour 2013 fixait un objectif à atteindre de 115 % à l'horizon 2015. Cet objectif a été réévalué à 133 % dans le PAP annexé au présent projet de budget, après une réalisation prévisionnelle de 133 % en 2013...
Il en va de même de l'objectif relatif au pourcentage de détenus bénéficiant d'une activité rémunérée (indicateur 4.2) : fixé à 40 % dans le PAP 2013, la cible à atteindre en 2015 n'est plus que de 32 % dans le PAP annexé au projet de loi de finances pour 2014.
Autre constat d'ensemble : le volontarisme en matière de ressources humaines est limité par des moyens budgétaires contraints. Le Gouvernement annonce la création de 432 emplois, à quoi s'ajoute une « économie » escomptée de 210 postes en 2014, grâce à l'application informatique « Genesis », au plan de rationalisation des miradors dans les établissements pénitentiaires et à l'optimisation des procédures dans les greffes pénitentiaires.
Cet effort est largement salué, en particulier le recrutement de 300 nouveaux emplois de conseillers d'insertion et de probation (CIP) qui, après une première augmentation des effectifs de 63 ETP en 2013, soulagera sensiblement des services pénitentiaires d'insertion et de probation aujourd'hui saturés. Ces créations de poste devraient être suivies par d'autres en 2015 et 2016, portant à 1 000 le nombre total de nouveaux emplois de CIP sur trois ans : c'est ce que l'étude d'impact annexée à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 estimait nécessaire à la politique d'aménagements de peine et à l'amélioration du suivi des personnes condamnées. Lors de son audition par la commission, Mme Taubira a précisé que, dès l'an prochain, 100 emplois d'appui aideraient les nouveaux conseillers à exercer leurs missions : 10 psychologues, 10 assistants sociaux, 50 personnels administratifs et 30 encadrants.
Pour positives qu'elles soient, ces évolutions appellent quelques nuances. Les représentants des personnels pénitentiaires m'ont dit leur scepticisme quant à la capacité de l'administration à redéployer des personnels grâce à la mise en place de « Genesis ». Ensuite, si le nombre des conseillers augmente, les crédits de fonctionnement des SPIP restent inchangés : ils risquent d'être insuffisants, d'autant que ces services rencontrent déjà de grandes difficultés pour leur fonctionnement quotidien. Enfin, la politique de ressources humaines de l'administration pénitentiaire ne tient toujours pas compte des besoins réels en personnels des établissements pénitentiaires confrontés à une situation de surpopulation chronique - l'organigramme de ces établissements est déterminé en fonction de leur capacité d'accueil théorique et non du nombre de détenus effectivement hébergés.
Je constate encore une diminution des crédits consacrés à la formation, alors que les besoins augmentent. En 2014, la subvention pour charges de service public attribuée à l'École nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP), s'établira à 25,2 millions d'euros, ce qui correspond à une diminution de 1,7 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances pour 2013. Ces crédits poursuivent la baisse continue de la subvention attribuée à l'ENAP depuis plusieurs années. Cependant, l'activité de l'ENAP progresse : elle a accueilli cette année 2 646 élèves en formation initiale et 3 924 stagiaires en formation continue en 2012, soit 1 636 élèves et stagiaires de plus qu'en 2010 ; de plus, l'annonce de mille nouveaux emplois de conseillers d'insertion et de probation - dont 300 dès l'année prochaine - suscitera d'importants besoins de formation que l'ENAP devra être en mesure d'assurer.
Autre source d'insatisfaction, les personnels de direction ont été oubliés. Le premier secrétaire national du Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP) m'a dit regretter le manque de perspective d'évolution du statut des directeurs des services pénitentiaires : les perspectives d'évolution vers la catégorie « A+ » ne progressent pas. Alors que le corps des personnels de direction est marqué depuis plusieurs années par des départs fréquents et précoces, cette revendication d'évolution statutaire est tout à fait légitime, elle donnerait une visibilité aux missions des directeurs des services pénitentiaires au sein de la haute fonction publique d'État. De plus, un tel alignement favoriserait la mobilité entre le corps des directeurs et celui d'autres cadres de la fonction publique - commissaires de police, membres du corps préfectoral, etc. -, propice à une plus grande ouverture de l'administration pénitentiaire.
Enfin, le transfert des missions d'extractions judiciaires est interrompu. Je vous renvoie à mon rapport écrit pour les détails.
Autre source d'inquiétude : nous allons vers un parc immobilier pénitentiaire « à deux vitesses ». La France disposait au 1er janvier 2013 de 190 établissements pénitentiaires, soit 56 992 places « opérationnelles ». Depuis 1990, le choix a été fait de confier la gestion et parfois la construction et la réalisation d'établissements au secteur privé ; en 2013, 51 établissements pénitentiaires fonctionnent selon l'un de ces modes de gestion. Au terme du programme « 13 200 », 54 établissements seront en gestion déléguée, accueillant près de la moitié de la population pénale.
Le budget alloué à l'administration pénitentiaire en 2014 traduit l'héritage de ces choix effectués au cours des années passées et qui devraient structurer durablement ses dépenses dans les années à venir. Les crédits d'investissement et de fonctionnement traduisent l'achèvement de constructions ou de réhabilitations décidées dans le cadre du programme « 13 200 » et la poursuite du « nouveau programme immobilier » décidé en 2012, mais selon un périmètre resserré à la suite des arbitrages rendus par la garde des sceaux quelques semaines après sa prise de fonctions - l'objectif étant désormais de parvenir à 63 500 places de prison.
J'ai déjà eu l'occasion d'exprimer mes réserves sur les constructions nouvelles réalisées ou envisagées, en particulier leur surdimensionnement et leur architecture, ainsi que, souvent, leur localisation hors des centres urbains, peu propice au développement d'une politique de réinsertion active. Ensuite, si les contraintes budgétaires justifiaient de réviser ce programme immobilier, cette décision a plongé dans l'incertitude des établissements dont la fermeture programmée semble reportée sine die : c'est le cas des maisons d'arrêt de Dunkerque et d'Angers, que j'ai visitées cette année. Ces incertitudes nuisent à la bonne gestion des établissements et à l'investissement des équipes qui y travaillent, comme l'a d'ailleurs admis Mme Isabelle Gorce, directrice de l'administration pénitentiaire. Je crois que, ici encore, le ministère doit établir un programme clair des prochaines fermetures et reconstructions.
Je m'inquiète encore, dans mon rapport, de ce que les établissements en gestion publique deviennent des variables d'ajustement du budget de l'administration pénitentiaire. La gestion privée concerne, en effet, 51 des 190 établissements pénitentiaires. Le paiement des partenaires privés engagés dans la construction ou la gestion de ces établissements est déterminé par les clauses contractuelles de marchés publics qui engagent l'État sur plusieurs années consécutives : cette durée, de cinq à dix ans pour les marchés de gestion déléguée « classiques », atteint 27 ans dans le cas des contrats de partenariat conclus dans le cadre du programme « 13 200 ».
Cette organisation rend les dépenses très rigides - les crédits dédiés au paiement des prestataires privés, déterminés contractuellement, échappent à tout effort de rationalisation des dépenses publiques -, et elle rogne les marges de manoeuvre et la liberté d'action de l'État dans la détermination de sa politique pénitentiaire.
Le montant global des crédits de fonctionnement affectés aux établissements en gestion publique en 2014 s'élève à 138,7 millions d'euros. Cette enveloppe, quasiment égale à celle demandée en loi de finances pour 2013, est inférieure de 1,3 % aux dépenses effectivement engagées en 2012 et de 12,5 % aux dépenses effectivement engagées en 2011.
Au total, l'analyse des crédits affectés au fonctionnement des établissements pénitentiaires en fonction de leur mode de gestion fait apparaître un « effet de ciseaux » - l'enveloppe budgétaire allouée aux établissements en gestion publique supportant, dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques, le poids de la montée en charge des frais relatifs au fonctionnement des établissements en gestion déléguée et de ceux faisant l'objet d'un contrat de partenariat.
Dans une deuxième partie de mon rapport, j'appelle à porter une attention plus marquée au milieu ouvert : les aménagements de peine se limitent trop souvent au placement sous surveillance électronique, cela ne suffit pas. Il faut faire une plus large place à la semi-liberté, au placement à l'extérieur et à la liberté conditionnelle, ce qui exige d'inscrire l'effort de recrutement de CIP entrepris par le Gouvernement dans la durée.
La situation dans les prisons reste très préoccupante, le climat de violence y est prégnant, il est directement lié à la surpopulation carcérale, qui augmente en 2013, et il provoque le malaise, voire le désarroi des personnels pénitentiaires - au point qu'une étincelle paraît devoir suffire pour provoquer une explosion.
Enfin, les droits économiques et sociaux des détenus sont insuffisamment assurés. La création d'unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) est un progrès, elles offrent une bouffée d'oxygène, même si je ne me prononcerai pas sur le fait de savoir si ces unités ne sont pas qu'une conséquence de ce qu'on emprisonne des personnes qui, souffrant de maladies psychiatriques, auraient plutôt leur place dans des hôpitaux psychiatriques fermés.
En revanche, l'accès des détenus à l'emploi et à la formation professionnelle est entravé par la conjoncture économique : l'obligation d'activité économique n'est pas mise en pratique, faute d'offre de travail - mais aussi, il faut bien le dire, de manque d'imagination de l'administration pénitentiaire. Le Conseil constitutionnel, à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité, a reconnu cet été que notre droit du travail pénitentiaire, notamment issu de la loi pénitentiaire de 2009, était conforme à la Constitution : cette clarification est sans doute bienvenue, car l'obligation d'un contrat de travail ordinaire aurait quasiment empêché tout travail dans le cadre pénitentiaire.
Sur la formation professionnelle, je souhaite que l'expérimentation ayant consisté à confier la compétence à deux régions, soit évaluée avant, le cas échéant, d'être généralisée.
Voilà, mes chers collègues, une présentation bien synthétique des éléments que vous trouverez dans mon rapport. En raison de l'effort important de création de postes, je vous propose un avis favorable à l'adoption de ces crédits.