Intervention de Nicolas Alfonsi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « justice » programme « protection judiciaire de la jeunesse » - examen du rapport pour avis

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi, rapporteur pour avis :

Ce projet de budget resserre les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), après l'avoir épargnée l'an passé : les crédits de paiement reculent de 5 millions d'euros, soit - 0,6 %, à 785 millions d'euros, mais le plafond d'autorisation d'emplois augmente de 75 agents (ETP) par rapport à 2012 - ceci après un effort exceptionnel consenti entre 2008 et 2012, où l'institution a perdu plus de 600 emplois et 16 % de ses crédits.

Au sein des juridictions pour mineurs, la montée en puissance des parquets se confirme. Les alternatives aux poursuites représentent désormais presque 60 % des procédures, contre 40 % pour l'ensemble des affaires traitées par les parquets.

Depuis le 1er janvier dernier, les juges des enfants appliquent la loi du 26 décembre 2011 qui tire les conséquences de la question préalable de constitutionnalité (QPC) du 8 juillet 2011. Ainsi, un juge des enfants qui a renvoyé une affaire devant le tribunal pour enfants ne peut présider celui-ci, comme c'était le cas jusqu'à présent. La séparation des fonctions d'instruction et de jugement pose de nombreuses difficultés, particulièrement dans les juridictions où il n'y a qu'un seul juge des enfants. La direction des services judiciaires constate que certaines juridictions recourent à un autre magistrat du TGI ou un magistrat placé qui président le tribunal pour enfant ; d'autres juridictions mutualisent les moyens des différents tribunaux pour enfants du ressort de la cour d'appel, comme le permet la loi - les magistrats estiment cependant que cette mutualisation augmente leur charge de travail et leurs frais de déplacement ; d'autres encore fonctionnent désormais en binôme : selon les juridictions, le juge des enfants qui connaît la situation du mineur n'instruit pas le dossier mais préside le tribunal pour enfants ou instruit le dossier pénal en laissant la présidence du tribunal pour enfants à un autre juge des enfants ; enfin, dans au moins 24 tribunaux pour enfants sur 140, les juridictions indiquent « s'en tenir à une application littérale de la loi du 26 décembre 2011 », c'est-à-dire que le juge des enfants qui instruit le dossier préside également le tribunal pour enfants, l'ordonnance de renvoi étant rendue par un autre magistrat au vu des éléments du dossier. L'ambiguïté de la loi du 26 décembre 2011 permet en effet une telle organisation, même si elle semble contraire à la décision du Conseil constitutionnel, qui exige une séparation des fonctions d'instruction et de jugement.

Cette situation est insatisfaisante et obligera sans doute à repenser l'organisation des juridictions pour mineurs.

Le budget accordé au secteur associatif habilité diminue encore de 2,5 % en 2014, soit un recul de 25 % depuis 2008.

Cette diminution n'est que pour partie la conséquence du recentrage de la PJJ sur le pénal. Ainsi, en 2014, le nombre de réparations pénales confiées au secteur associatif diminuera de 6,3 %, alors qu'il a déjà baissé de 6 % en 2013. De même, le secteur public semble vouloir de plus en plus réaliser lui-même les mesures d'investigation judiciaires, y compris dans les domaines où il est souvent moins compétent que le secteur associatif, comme la petite enfance.

On observe également que la PJJ tend à faire exécuter davantage « en interne », par ses propres services, des mesures qu'elle faisait exécuter auparavant par les associations, de sorte que celle-ci ont parfois le sentiment de devenir une variable d'ajustement budgétaire.

Or, il est important que le choix de confier ou non des mesures au secteur associatif soit fait dans l'intérêt des mineurs concernés, en fonction des compétences reconnues des uns et des autres, et non selon des considérations seulement pécuniaires. Les associations ont une compétence particulière dans certains domaines qui varient selon les territoires. Elles ont été novatrices, par exemple dans la mise en place de la mesure de réparation pénale, des centres éducatifs renforcés, ou même des centres éducatifs fermés.

Enfin, depuis 2008, la sous-budgétisation des crédits alloués au secteur associatif habilité a nourri un report de charge, qui atteignait 39,5 millions d'euros en 2012. Le Gouvernement avait décidé, dans le projet de loi de finances pour 2013, d'allouer spécialement 10 millions d'euros à la résorption de ces arriérés de paiement de l'État. Ces crédits viennent d'être dégelés. Ce projet de budget fait un nouvel effort pour résorber les arriérés de paiement : c'est une bonne chose.

J'en viens à la mesure judiciaire d'investigation (MJIE). Si l'État s'est désengagé depuis 2008 de la prise en charge des mesures de protection ordonnées au civil par le juge des enfants au titre de la protection de l'enfance en danger, il continue à financer et à exécuter les mesures d'investigation ordonnées par le juge.

La réforme de l'investigation s'est traduite par la création de la mesure judiciaire d'investigation éducative (MJIE), qui a remplacé à la fois la mesure d'investigation et d'orientation éducative et la mesure d'enquête sociale.

La MJIE a été conçue pour être modulable dans son contenu et sa durée. La direction de la PJJ a ainsi élaboré des documents proposant des pratiques d'investigation à partir de l'état des connaissances, correspondant aux « modules » de la MJIE. Il s'agit d'adapter l'investigation à la problématique particulière de chaque mineur : mineur auteur de passages à l'acte violent, mineur dans les infractions à caractère sexuel, mineur en errance, maltraitance physique et psychologique, entre autres.

Il ressort des évaluations menées par la chancellerie et des informations que j'ai moi-même recueillies auprès de professionnels que, si la MJIE est très utilisée par les juridictions, en réalité l'appropriation de la réforme ne s'est pas vraiment faite.

En effet, les rapports d'investigation visent à tout dire, alors qu'ils devraient répondre de manière ciblée à une question technique et précise. Les fédérations d'associations estiment que la MJIE n'a pas atteint son objectif du fait de la contrainte budgétaire. Par exemple, la MJIE suppose une expertise psychologique renforcée. Or, le nombre de postes de psychologues financés ne permet pas d'y faire face dans de bonnes conditions.

J'en viens au problème récurrent des centres éducatifs fermés (CEF). Le précédent Gouvernement avait lancé un programme de transformation de vingt établissements de placement éducatifs en CEF. Huit ouvertures de CEF ont été réalisées fin 2012 et en 2013.

Ces projets ont été initiés avant le moratoire arrêté en août 2012. La garde des sceaux souhaite désormais privilégier les projets de création pour maintenir des places en hébergement classique et garantir ainsi une offre de placement territoriale diversifiée, ce dont nous pouvons nous féliciter. Ce projet de budget comporte ainsi les moyens, en crédits et effectifs, pour créer deux nouveaux CEF l'an prochain.

Comme l'avait montré le rapport d'information de nos collègues François Pillet et Jean-Claude Peyronnet, les CEF fonctionnent plus ou moins bien. À la suite de ses deux dernières visites en août et en septembre 2013 dans les CEF de Pionsat et d'Hendaye, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a publié des recommandations sur le fondement de l'urgence, estimant que la prise en charge des jeunes dans ces centres constituait une atteinte grave aux droits fondamentaux des enfants.

Je me suis pour ma part rendu, le 24 octobre dernier, au CEF de Châtillon-sur-Seine qui dépend de la direction territoriale Côte d'Or/Saône et Loire.

Pour autant que j'aie pu en juger au cours de cette brève visite, ce CEF public semble fonctionner correctement. En effet, le taux d'occupation est bon, les placements sont d'une durée raisonnablement longue et le nombre d'incidents est stable et relativement peu élevé - une vingtaine par an. Le centre, dont le maire a énergiquement soutenu la mise en place, a noué de très nombreux partenariats avec des petites entreprises locales pour la formation des jeunes. Toutefois, même pour un centre qui semble fonctionner relativement bien, il existe une difficulté évidente à assurer une prise en charge éducative et pédagogique vraiment efficace, compte tenu du turn-over très important des éducateurs et de la nécessité de les former à la spécificité du travail en CEF.

Concernant le désengagement de la PJJ de la protection de l'enfance en danger et des jeunes majeurs, il faut rappeler que les mineurs délinquants sont souvent des mineurs en danger. Il faudrait dès lors assurer une continuité de la prise en charge, la coupure entre les services étant très regrettable, ce que les magistrats soulignent de façon récurrente. La nouvelle directrice de la PJJ, Mme Catherine Sultan, nous a indiqué qu'elle réfléchissait à une manière de redonner, de manière limitée, des compétences à la PJJ en matière d'enfance en danger.

Un mot d'ensemble pour finir, avec la perspective de l'expérience que j'ai acquise sur le sujet ces dernières années : depuis dix ans, les choses se sont améliorées : les réformes n'ont pas manqué, de la création des CEF en 2002 à la réorganisation territoriale de la PJJ en 2008 et aux redéploiements qui ont suivi ; des questions restent en suspens, on pourrait imaginer une remise à plat de l'ordonnance de 1945 mais la contrainte budgétaire est telle que nous devons nous y adapter et améliorer ce qui existe, avec les associations, qui sont des partenaires indispensables.

Sous réserve de ces quelques remarques, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la PJJ.

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