Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 19 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « enseignement scolaire » - examen des rapports pour avis

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin, rapporteure pour avis des crédits consacrés à l'enseignement professionnel au sein de la mission « Enseignement scolaire » :

Plusieurs facteurs concourent aujourd'hui à l'affaiblissement de l'enseignement professionnel sous statut scolaire. Je le déplore vivement, d'autant que l'enseignement professionnel accueille une large proportion d'enfants issus de milieux populaires ou défavorisés. Il devrait donc faire l'objet de toute notre attention.

Le premier facteur d'affaiblissement est proprement budgétaire. Alors que les crédits de la mission « Enseignement scolaire » progressent de 1,2 %, les crédits de l'enseignement professionnel public baissent de 0,24 %. En revanche, l'enseignement professionnel privé voit ses crédits augmenter de 0,56 %. Cette différence de traitement ne me semble pas justifiée. Surtout, ce budget ne permet pas de rattraper les coupes claires opérées au cours de la précédente législature. Il n'est pas non plus à la hauteur d'une politique ambitieuse de revalorisation de la voie professionnelle.

En outre, les lycées professionnels pâtissent d'un affaiblissement des recettes tirées de la taxe d'apprentissage due par les entreprises. Comme le taux d'imposition est proportionnel à la masse salariale, la montée du chômage fait baisser mécaniquement le produit. La crise économique conduit ainsi à une raréfaction des recettes des lycées professionnels, ce qui met en péril l'équilibre de leurs budgets.

La construction de la taxe et l'affectation des fonds par les organismes collecteurs désavantagent très nettement les élèves de l'enseignement professionnel public. Le produit de la taxe est en effet réparti en deux grandes parts :

- l'une appelée « quota » revient obligatoirement à l'apprentissage ;

- l'autre appelée « barème » est constitué des versements libératoires des entreprises vers les formations technologiques et professionnelles de leur choix.

La révision de la répartition de la taxe d'apprentissage a donné lieu à la publication du décret du 23 décembre 2011. Il est désormais prévu une augmentation progressive du taux du quota de 52 % à 59 % du produit de la taxe d'apprentissage de 2011 à 2015 afin de répondre à l'objectif de développement de l'apprentissage. Ce quota est actuellement porté à 55 % pour la taxe d'apprentissage versée en 2013.

Je considère que l'extension du quota porte préjudice au financement de l'enseignement professionnel, alors même qu'aucune compensation adéquate n'est perçue. Les filières industrielles qui sont pourtant plus porteuses que les filières tertiaires seront les principales touchées.

Par ailleurs, au niveau de l'ensemble du second degré, le public reçoit à peine plus que le privé alors que ce dernier scolarise cinq fois moins d'élèves.

Une réforme de la collecte et de la répartition de la taxe est donc nécessaire pour garantir un équilibre stable entre l'apprentissage et la voie scolaire d'une part, entre les établissements publics et privés d'autre part. Il serait sans doute moins onéreux et plus équitable de transférer la collecte au Trésor public qui ferait ensuite une répartition en fonction d'un taux moyen par élève ou apprenti.

Le deuxième facteur d'affaiblissement de la voie professionnelle sous statut scolaire réside dans la survalorisation de l'apprentissage.

Le Gouvernement poursuit la politique de développement de l'apprentissage engagée au cours de la précédente législature. Pourtant le contexte économique restreint drastiquement les possibilités de conclusion de contrats d'apprentissage et il paraîtrait nettement plus approprié de renforcer la voie scolaire.

À long terme, un développement démesuré de l'apprentissage n'apparaît pas plus viable. Une telle politique favorisant une entrée accélérée sur le marché du travail n'apportera aucun profit, ni individuel, ni collectif. Pour la carrière professionnelle du jeune, une insertion rapide, avec les plus bas diplômes possibles, serait synonyme de moindre salaire, de moindre faculté d'adaptation, de moindre capacité à la reconversion et au final de moindre progression de carrière. Parallèlement, pour la compétitivité globale de l'économie, renoncer à l'élévation du niveau de qualification serait prendre le contrepied de tous les objectifs affichés par le Gouvernement. Cela rendrait certainement inopérante toute politique de reconquête industrielle.

Les organisations patronales plaident pour la constitution de parcours mixtes entre l'alternance et la voie scolaire. Elles préconisent concrètement de mettre en place des parcours dits « 1+2 » jusqu'au bac professionnel : un an sous statut scolaire puis un contrat d'apprentissage sur deux ans.

J'avoue ma réticence. Ces appels au mixage des parcours et des voies veulent toujours déboucher sur l'alternance, le passage par la voie scolaire s'apparentant à un sas, en attendant que les entreprises soient prêtes à accueillir des apprentis. C'est d'une certaine façon mettre la voie scolaire au service de l'alternance. C'est une façon de donner la main aux entreprises dans la construction des parcours de formation.

Il ne faut pas négliger le risque d'une déstabilisation des lycées professionnels. Il suffirait pour cela que les employeurs recrutent en apprentissage uniquement les « meilleurs » élèves dès la fin de la seconde. Dans ce cas, les « meilleurs » élèves iraient tous vers l'apprentissage, en renonçant ainsi sans le savoir à toute poursuite d'études. Parallèlement, les élèves plus faibles resteraient dans l'éducation nationale, qui accumulerait les difficultés sans voir croître parallèlement ses moyens pour les résoudre. Il serait facile, ensuite, de vanter les mérites de l'alternance, qui aurait de fait sélectionné de meilleurs profils. La survalorisation de l'alternance crée ainsi elle-même les conditions de sa justification.

La perspective d'un salaire immédiat pour le jeune est un avantage comparatif extrêmement fort de l'apprentissage, surtout en période de crise. Je souhaite que soit menée une réflexion approfondie afin de limiter le désavantage financier qui frappe les élèves sous statut scolaire. Il pourrait être envisagé de verser à tous les lycéens professionnels une indemnité au titre de leur période de formation en milieu professionnel (PFMP). Il ne pourrait s'agir d'une rémunération au sens strict puisqu'il n'existerait aucun contrat de travail. Mais, une gratification ou une compensation des frais de stages constituerait une aide précieuse pour les lycéens professionnels, qui rapprocherait leur situation financière de celle des apprentis.

Je considère que le niveau de l'indemnisation partielle des stagiaires sous statut scolaire devrait être fixé nationalement dans un souci d'équité. Reste à définir le payeur. Si elles étaient mises à contribution, les entreprises restreindraient certainement leurs offres de stage. Les régions ne disposent pas des ressources financières pour assumer cette charge supplémentaire. Il reviendrait donc sans doute à l'État de financer l'indemnisation des stagiaires. Une fraction de la taxe d'apprentissage pourrait y être affectée.

Troisième sujet de préoccupation : la mise en place des cartes régionales des formations professionnelles. Les dispositions de la loi de refondation de l'école ne permettent pas de répondre à toutes les questions de fond. Il faut au moins résoudre les trois noeuds de difficulté suivants :

- sur le plan de la méthode, quelle répartition des rôles entre les présidents de conseils régionaux et les recteurs prévaudra-t-elle ?

- sur le plan des principes éducatifs, comment éviter l'aggravation des inégalités sociales et territoriales entre les élèves ?

- sur le plan de la stratégie économique, comment tenir compte des besoins nationaux de développement des qualifications et des métiers ?

Les inspections générales elles-mêmes considèrent que l'analyse des partenariats entre les conseils régionaux et les recteurs révèlent des situations disparates.

Certaines académies travaillent de façon étroite avec la région. C'est le cas par exemple en Champagne-Ardennes d'après le témoignage du recteur de l'académie de Reims. Cette situation de coopération harmonieuse dans une petite académie ne peut cependant pas être généralisée à l'ensemble du territoire.

En l'absence de cadrage national et de procédures formalisées de collaboration, l'élaboration de la carte des formations dépend beaucoup des individus et des relations personnelles qu'elles ont établies. Toutes ces coopérations ne sont donc pas institutionnalisées à proprement parler et peuvent disparaître si l'un des partenaires quitte ses fonctions, soit en raison d'une mutation, soit en raison d'une élection. Les partenariats région-rectorat demeurent donc fragiles.

En outre, dans certaines régions, les relations entre les élus et le recteur sont nettement plus tendues. Le dialogue ne débouche sur aucun consensus. Dans ce cas, chacun reste dans son pré carré et aucune politique cohérente n'est construite. La plupart des académies oscille entre les deux pôles de la collaboration au blocage.

La tentation de l'adéquationnisme et l'affaiblissement du cadre national ne sont pas le seul fait des régions. L'autonomie sans cesse croissante des politiques rectorales est, du côté de l'État, un obstacle à la construction d'une politique cohérente au plan national et porteuse d'orientations partagées. La situation est compliquée dans certaines régions (Île-de-France, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur) où coexistent plusieurs recteurs qui poursuivent parfois des objectifs différents.

De plus, les recteurs ne sont pas les seuls acteurs de la formation. Il faut tenir compte de tous les champs qui relèvent du ministère de l'agriculture, du ministère de la santé, du ministère de la jeunesse et des sports. Il existe, au sein des structures de l'État, un défi à relever en termes de pilotage des politiques éducatives à l'échelon déconcentré.

Il est essentiel qu'aucun des partenaires ne se retrouve en position d'arbitrer seul. Il faut contraindre chacun à croiser les données et les perspectives pour mener une réflexion collective. La législation issue de la refondation de l'école doit être à cet égard complète. Il manque la définition d'un cadre global définissant plus clairement les modalités de construction d'une politique à la fois nationale et territorialisée, partagée entre les services de l'État et les conseils régionaux. Ce sont les régions elles-mêmes, souvent à la peine pour définir les besoins prévisibles de l'économie à moyen et à long terme, qui ont le plus besoin d'un État régulateur définissant les priorités nationales et structurant les filières d'avenir.

Avant de conclure, je dirai un mot de la rénovation de la voie professionnelle. Je regrette que le Gouvernement poursuive sans inflexion la réforme lancée il y a maintenant cinq ans. Pourtant, les difficultés pédagogiques sont massives. Les résultats au baccalauréat sont stabilisés à des niveaux très inférieurs à ceux qu'on connaissait avant la réforme. Les sorties sans qualification sont très élevées. L'échec en BTS est toujours aussi massif. La réforme reste dans son principe même ambiguë : veut-on privilégier l'insertion professionnelle ou la poursuite d'études ? En hésitant sans cesse entre ces deux pôles, on finit par échouer sur les deux tableaux. La voie professionnelle peut paraître écartelée entre les deux pôles du certificat d'aptitude professionnelle (CAP) et du brevet de technicien supérieur (BTS) avec une perte de substance inquiétante du bac professionnel.

J'appelle donc à la prise en compte des critiques de fond que je vous ai résumées et je reste dans l'attente d'un engagement de l'éducation nationale en faveur d'une véritable revalorisation de la voie professionnelle. C'est pourquoi j'émettrai un avis de sagesse sur l'adoption des crédits consacrés à l'enseignement professionnel au sein de la mission « Enseignement scolaire ».

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