Or celle-ci compte parmi les plus lucratives qui soient !
Au total, on estime que la vente mondiale de médicaments contrefaisants a représenté environ 55 milliards d’euros en 2010. Je précise que ces faux médicaments, à l’instar de nombreux autres produits contrefaisants, mettent en danger la santé des consommateurs. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Sénat a décidé, en 2007, d’alourdir les sanctions relatives aux contrefaçons dangereuses pour la santé et portant atteinte à la sécurité. §Je constate que M. Hyest opine !
Mes chers collègues, pour mener la bataille, la France s’est dotée d’un arsenal juridique étoffé, et ce dès le XVIIIe siècle. Sans rappeler cette histoire dans le détail, je souligne que notre pays a figuré parmi les pionniers dans ce domaine, notamment en matière de droits d’auteur. C’est précisément avec cet enjeu qu’a commencé la protection des droits de propriété intellectuelle.
La dernière loi en date est celle du 29 octobre 2007, que je viens d’évoquer. Elle a constitué un progrès – nous l’espérons, comme pour tous les textes que le Parlement adopte ; on peut parfois en douter mais, en l’espèce, je suis persuadé que tel est le cas. Elle a notamment permis de renforcer la lutte contre les atteintes portées à la propriété intellectuelle.
Ces dispositions n’en restent pas moins perfectibles. C’est ce que Laurent Béteille et moi-même avons tâché d’établir à travers le rapport d’information que nous avons publié en 2011, et auquel la présente proposition de loi fait suite.
Premièrement, le renforcement des dédommagements civils accordés aux victimes de contrefaçons est sans doute la mesure la plus avancée au sein du dispositif que je soumets aujourd’hui à votre examen. Comme je l’ai indiqué, la contrefaçon demeure une faute lucrative, car elle permet de s’enrichir très confortablement et en ne courant que peu de risques, malgré la réforme des modalités de calcul du préjudice. Tel est le bilan qui doit constituer notre point de départ !
La loi de 2007 indique que le montant des dommages et intérêts versés doit résulter de la prise en considération de trois éléments : les conséquences économiques négatives, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral subi par la partie lésée.
Néanmoins, la notion de « conséquences économiques négatives » n’a pas été définie. Seul le manque à gagner est mentionné à l’article L. 331-3-1 du code de la propriété intellectuelle.
Pour la prise en considération des bénéfices réalisés, les titulaires de droits n’apportent pas toujours la preuve de l’étendue du préjudice subi du fait de la contrefaçon. En effet, ils ont souvent du mal à le faire. Au surplus, ils peuvent se montrer réticents à communiquer à la partie adverse des informations confidentielles concernant leurs marchés, les prix de leurs produits et leur chiffre d’affaires.
Au reste, la prise en considération des bénéfices réalisés par le contrefacteur n’est pas suffisante, car ce critère ne tient pas compte des économies d’investissements qu’il a retirées de la contrefaçon. Je présenterai d’ailleurs dans quelques instants un amendement visant à aller plus loin que la réforme des modalités de calcul des dommages et intérêts, c’est-à-dire, en définitive, à transposer dans ce domaine les dispositions en vigueur pour le trafic de drogue et la grande criminalité. Il s’agit de pouvoir saisir tout ou partie du patrimoine des contrefacteurs. Le principe est simple : frappons-les au portefeuille !
Enfin, le principal problème réside dans le fait que la loi de 2007 n’impose pas à la juridiction de distinguer les différents éléments d’appréciation. En matière de contrefaçon, une amende forfaitaire globale est souvent fixée par le juge sans que l’on sache comment elle a été calculée. Or, pour mieux cerner la question, il faudrait pouvoir en décomposer les différents éléments !
J’ajoute que la France est malheureusement connue pour fixer des dommages et intérêts plus bas que ses principaux voisins et concurrents économiques. Sans même évoquer les États-Unis, je songe en particulier à l’Allemagne.
Face à ce constat, je propose d’obliger les juridictions à « ventiler » les trois chefs de préjudice introduits par la loi de 2007. Les magistrats devront ainsi procéder à une analyse précise du préjudice subi.
Le présent texte permet également de mieux définir les conséquences économiques négatives induites par la contrefaçon, en précisant qu’elles recouvrent non seulement le gain manqué mais aussi la perte subie par la partie lésée.
Il convient parallèlement d’obliger les juridictions à prendre en considération les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels en cause. Si vous n’investissez pas dans la recherche, si vous vous contentez d’exploiter le résultat de la recherche menée par autrui, vous en tirez un avantage économique manifeste. C’est on ne peut plus clair dans le domaine des médicaments, que j’ai déjà évoqué : la mise au point d’une molécule coûte des sommes considérables !
En conséquence, je propose d’améliorer le dispositif de la redevance forfaitaire. La loi de 2007 a permis à la partie lésée de demander à la juridiction de lui allouer, par substitution au mécanisme de dédommagement reposant sur les trois chefs prévus, une somme forfaitaire qui ne saurait être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé une autorisation. Cette somme correspond peu ou prou au niveau des royalties qu’il aurait dû acquitter.
Je propose également de préciser que le montant des dommages et intérêts forfaitaires doit être supérieur au montant des redevances ou droits qui auraient été dus en l’absence de contrefaçon. Nous débattrons certainement de cette question avec M. le rapporteur dans la suite de nos discussions. L’idée fondamentale reste la suivante : on ne doit pas pouvoir s’enrichir indûment en se livrant à la contrefaçon. Or, dans le système actuel, si le chiffre d’affaires ou les bénéfices de la victime s’élèvent à une somme donnée, les dommages et intérêts s’établissent précisément à ce montant, même si le contrefacteur présente un chiffre d’affaires ou un bénéfice dix fois supérieur. Par conséquent, il en empoche 90 % ! Voilà ce que cela signifie ! C’est ce à quoi il faut mettre fin.
À cet égard, la mise en œuvre du dispositif prévu dans le présent texte devrait conduire à une augmentation des dommages et intérêts accordés au titulaire des droits. Dans le même temps, elle devrait permettre d’enrayer une pratique répandue : le « forum shopping », ou le « tribunal shopping ». De fait, pour les raisons que je viens d’indiquer, si l’on apprend que les tribunaux d’Hambourg ou de Ludwigshafen versent des dommages et intérêts d’une certaine importance dans tel ou tel domaine, les personnes lésées auront tendance à se présenter devant eux !
Concernant la spécialisation des juridictions civiles en matière de propriété intellectuelle, je note que M. le rapporteur a supprimé – à mon corps défendant – la disposition permettant la concentration, au sein du tribunal de grande instance de Paris, du contentieux relatif aux indications géographiques.
Je n’insisterai pas sur ce sujet, qui peut sembler secondaire. Quatre ou cinq affaires de ce type sont jugées chaque année et, à nos yeux, la présence de juges spécialisés au tribunal de grande instance de Paris aurait été préférable. Toutefois, cette disposition n’est pas le cœur du présent texte. Je suis persuadé que nous aboutirons à un accord sur ce sujet.
Pour autant, il me semble nécessaire de réfléchir à la possibilité de renforcer encore la spécialisation des juridictions dans le domaine de la propriété intellectuelle.
Nous avions proposé, à l’origine, de limiter fortement le nombre des tribunaux de grande instance compétents en matière de contentieux, et de le fixer à quatre ou cinq, voire à un seul.
La Chancellerie est en désaccord avec nous sur ce point, pour des raisons que je respecte : cette proposition ne correspond pas à sa philosophie, plutôt orientée vers une généralisation des affaires à travers les tribunaux. En effet, le ministère de la justice n’est pas favorable à la spécialisation des juges et considère qu’ils doivent pouvoir exercer successivement plusieurs types de pratiques.
Sans me prononcer sur ce point, j’estime que nous avons tout de même intérêt à disposer, en France, de juges et de juridictions susceptibles de traiter ces dossiers souvent complexes et de créer des jurisprudences ensuite respectées.
J’évoque rapidement le droit à l’information : la proposition de loi tend à offrir à la victime plus de possibilités d’obtenir des informations de nature économique sur le contrefacteur, avec des clarifications procédurales sur lesquelles nous reviendrons durant la discussion.
Afin de faciliter l’établissement de la preuve de la contrefaçon, je propose également de préciser que le juge peut ordonner la production d’éléments de preuve détenus par les parties, quelles qu’elles soient, indépendamment de la saisie de contrefaçon, qui est l’outil de base en matière de lutte dans ce domaine. Cela n’est pas possible aujourd’hui.
Il convient en outre de renforcer les capacités d’intervention des services douaniers, qui sont aux avant-postes dans la lutte contre la contrefaçon. Tel est l’objet des articles 6 à 15, portant notamment sur la retenue douanière, sur l’infiltration des réseaux, sur l’opération dite « de coup d’achat » consistant à faire des propositions d’achat, ainsi que sur le contrôle des locaux des opérateurs. Ces dispositions sont très attendues par les douaniers, dont je tiens ici à saluer le dévouement et le travail remarquable.
La présente proposition s’inscrit dans la droite ligne du plan national de lutte contre la contrefaçon, élaboré au début de l’année par la ministre du commerce extérieur, que je souhaite remercier pour son soutien, et le ministre de l’économie et des finances.
Le dispositif que je vous propose d’adopter vise, par ailleurs, à conforter la bonne réputation et l’attractivité juridique de notre pays dans le domaine de la lutte contre la contrefaçon. Je rappelle que nous discuterons demain matin de la création d’une nouvelle juridiction européenne unifiée des brevets qui aura compétence exclusive pour connaître de l’ensemble des litiges touchant à ces questions.
La plupart d’entre nous se réjouissent de ce grand progrès, d’autant que Paris a été choisi comme siège de cette nouvelle juridiction. Mais il nous faut être à la hauteur de notre réputation, et faire en sorte que la place de Paris soit reconnue comme lieu d’excellence en matière de jurisprudence. En outre, nos juges doivent être valorisés ; ils seront, si j’ose dire, en « concurrence » avec des juges allemands ou hollandais, extrêmement bien formés.
Ce texte est également cohérent avec la stratégie européenne en matière de propriété intellectuelle. Il vient compléter le règlement de 2013 concernant le contrôle, par les autorités douanières, du respect des droits de propriété intellectuelle, qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain.
Par ailleurs, la révision de la directive du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques permettra, je l’espère, de neutraliser la funeste jurisprudence dite « Nokia-Philips », qui a mis un terme à la possibilité, pour la douane, de retenir les marchandises présumées contrefaisantes qui ne font que transiter par le territoire français ou communautaire.
Cet arrêt nous place dans une situation paradoxale : les douaniers savent très précisément qu’un conteneur est rempli de marchandises contrefaites, mais ils le regardent passer, car il part pour une autre destination, alors même que nous savons que, souvent, son contenu revient en France, sous une autre forme et par d’autres moyens. Telle est aujourd’hui la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.
Il faudrait également évoquer la contrefaçon numérique, mais il s’agit d’un autre sujet, très important, que nous espérons pouvoir traiter dans le cadre du Comité national anti-contrefaçon, le CNAC. Je proposerai à cette occasion une réforme du statut des hébergeurs.
Je n’évoquerai pas non plus la question des semences de ferme, qui a beaucoup agité certains milieux agricoles et dont beaucoup d’entre nous ont été saisis. J’ai d’ailleurs été quelque peu stupéfait de l’être, dans la mesure où cette proposition de loi ne traite en aucun cas des certificats d’obtention végétale et des semences, qui y sont liées. La question du droit, pour les agriculteurs, d’utiliser une partie de leur récolte pour réensemencer leurs champs, que l’on appelle « le privilège de l’agriculteur », correspond à une autre législation qui n’entre pas dans le cadre de la présente proposition de loi.
Tel est l’essentiel du dispositif de cette proposition de loi que je souhaitais vous exposer. §