Intervention de Michel Delebarre

Réunion du 20 novembre 2013 à 14h30
Lutte contre la contrefaçon — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel DelebarreMichel Delebarre, rapporteur :

Plus sérieusement, l’adoption de cette proposition de loi est une urgence, tant la contrefaçon constitue un fléau qui se développe et devient protéiforme.

Je ne répéterai pas ce qu’a déjà fort bien exposé Richard Yung. Nous connaissons l’impact économique de la contrefaçon, qui se paye pour notre pays en dizaine de milliers d’emplois mis en cause. Je veux surtout insister sur le fait que la contrefaçon, aujourd’hui, a changé de nature.

Avec le développement du commerce mondial, elle s’est internationalisée, en lien de plus en plus souvent avec des organisations criminelles, qui y trouvent une activité bien plus rentable et bien moins risqué, pénalement et financièrement, que, par exemple, le trafic de drogue.

Les marchandises faisant l’objet de contrefaçon ont elles aussi évolué, en se diversifiant considérablement. Autrefois, on appréhendait la question de la contrefaçon à travers le seul prisme des produits de luxe, ce qui expliquait sans doute une certaine tolérance à l’égard du phénomène, au motif que les entreprises qui en étaient victimes devaient vraisemblablement avoir les moyens de le supporter.

Aujourd’hui les choses ont changé. La contrefaçon porte non plus seulement sur des sacs à main ou des vêtements de marque, mais d’abord sur des pièces détachées d’automobiles, dans tous les sens, des médicaments, des produits cosmétiques, des éléments de construction pour le bâtiment ou encore des jouets d’enfants. Nous approchons de Noël, période bénie pour la contrefaçon ! Ce phénomène, qui se développe rapidement, pose un grave problème pour la sécurité et pour la santé des consommateurs.

Dans ces conditions, la proposition de loi, appuyée par un réel engagement du Gouvernement, et de vous-même, depuis l’origine, madame la ministre, a pour vocation de rendre notre législation plus efficace pour combattre la contrefaçon.

La lutte s’effectue selon deux axes : d’une part, par la voie de l’action civile des entreprises lésées, qui cherchent à obtenir réparation, et, d’autre part, par la voie pénale, moins souvent employée. Dans cette lutte, l’action des services des douanes, qui s’exerce dans un cadre communautaire précis, est, par construction, primordiale.

La proposition de loi adapte donc, et harmonise, les mécanismes civils existant dans le code de la propriété intellectuelle et renforce les moyens d’action et de contrôle des douanes. Elle comporte aussi quelques dispositions pénales. Il s’agit d’adaptations et d’ajustements de la réforme opérée par la loi du 29 octobre 2007 au regard de la pratique constatée depuis, ainsi que d’une meilleure mise en cohérence des divers dispositifs régissant la protection des différentes catégories de droit de la propriété intellectuelle.

Avant d’entrer davantage dans le détail, je tiens à rappeler que ce texte reprend entièrement, à quelques ajustements rédactionnels près, le contenu du texte que notre commission avait adopté sur la proposition de Laurent Béteille en juillet 2011. Cela représente seize articles dans la présente proposition de loi, pour lesquels la commission s’en est tenue, à quelques détails près, au texte de 2011. S’y ajoutent quatre articles contenant des dispositions nouvelles, qui intéressent directement les douanes.

La logique de la commission a été la cohérence avec sa position consensuelle de 2011 et la recherche de l’efficacité afin de permettre l’adoption rapide de ce texte.

Premièrement, la proposition de loi tendait à renforcer la spécialisation des tribunaux en matière de propriété intellectuelle. La commission n’a pas confirmé ce point. L’enjeu réside bien davantage, à nos yeux, dans le renforcement de la formation et de la spécialisation des magistrats en matière de propriété intellectuelle. Cela relève non du pouvoir législatif, mais bien de la pratique de la Chancellerie.

Deuxièmement, la proposition de loi vise à améliorer les dédommagements civils en matière de contrefaçon. Cette question fait l’objet de débats. Depuis la loi de 2007, en effet, afin de fixer le montant des dommages et intérêts, le juge doit prendre en considération, comme l’a dit Richard Yung, « les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l’atteinte ». La proposition de loi vise à apporter des précisions à cet égard : il est désormais indiqué que le juge prend en compte distinctement ces trois chefs de préjudice, et que les bénéfices réalisés par le contrefacteur peuvent comprendre les économies d’investissements qu’il a retirées de la contrefaçon.

La commission a préféré supprimer une disposition à la portée incertaine, visant à la confiscation des recettes tirées de la contrefaçon en cas de réparation insuffisante du préjudice, qui pouvait ouvrir la voie aux dommages et intérêts punitifs.

La commission des lois, partagée sur cette question, a jugé que l’on ne pouvait pas introduire dans notre droit civil un concept aussi débattu à l’occasion d’un texte de cette nature.

Le concept de dommages et intérêts punitifs est d’origine anglo-saxonne et consiste à fixer un montant de dommages et intérêts au profit de la personne lésée supérieur au montant du préjudice réellement subi par celle-ci, dans le but de « punir » la personne responsable du préjudice. Serait alors à craindre l’extension d’un tel mécanisme en droit français de la responsabilité.

J’indique que les représentants des entreprises directement victimes de la contrefaçon sont hostiles à ce principe, quand bien même celles-ci en retireraient des dommages et intérêts d’un montant supérieur.

Au surplus, je rappelle ce que je viens d’indiquer : le droit en vigueur permet déjà de prendre en compte, depuis 2007, les bénéfices réalisés par le contrefacteur. Une fois que seront adoptées dans notre droit les précisions apportées par cette proposition de loi, le reste, c’est-à-dire la pratique de fixation du montant des dommages et intérêts, relèvera de l’appréciation des juges, qui devront apprécier les trois catégories de reproches adressés au contrefacteur.

La réflexion doit se poursuivre sur les moyens de supprimer le caractère lucratif d’une faute sans basculer forcément dans les dommages et intérêts punitifs. Il serait envisageable d’explorer la voie de l’amende civile pour récupérer l’éventuel chiffre d’affaires indu, mais au bénéfice du Trésor public. Il s’agit, à mon avis, d’une orientation intéressante.

Troisièmement, la proposition de loi tend à ajuster et harmoniser de façon bienvenue différentes procédures prévues par le code de la propriété intellectuelle en matière de collecte de preuves de contrefaçon : droit à l’information, procédure de saisie-contrefaçon, etc. Je vous proposerai un amendement ponctuel pour compléter le travail déjà réalisé par la commission.

Quatrièmement, la proposition de loi tend à renforcer les moyens d’action des douanes, qui sont particulièrement intéressées par ce texte et sont au cœur de tous nos dispositifs.

Elle vise à harmoniser la procédure de retenue douanière pour les différents droits de propriété intellectuelle, en conformité avec le droit communautaire. Le Gouvernement présentera, en outre, des amendements pour tenir compte du règlement européen adopté en juin dernier en matière de contrôle douanier des droits de propriété intellectuelle, qui appelle des modifications dans notre droit interne. Concernant la retenue, je vous présenterai, en complément, un amendement de précision.

Par ailleurs, ce texte vise encore à autoriser plus largement les douanes à mener des opérations d’infiltration en matière de contrefaçon, ainsi qu’à faciliter la constatation de l’infraction de contrefaçon, en leur permettant de solliciter un vendeur, selon la technique dite du « coup d’achat », qu’elles mettent en œuvre dans un certain nombre de cas.

Il est également prévu d’étendre de façon encadrée l’accès des douanes à l’ensemble des locaux des prestataires de services postaux et des entreprises de fret express. Il s’agit là d’une harmonisation, puisque cette disposition ne concerne aujourd'hui que La Poste. Cela permettra aussi aux douanes d’accéder aux locaux à usage d’habitation qui sont à l’intérieur de locaux professionnels, avec l’autorisation de l’occupant. Sans autorisation, il faudra, comme aujourd’hui, solliciter une autorisation du juge des libertés et de la détention.

En matière de moyens d’action des douanes, une disposition, que la commission a approuvée dans son principe, et pour laquelle je vous proposerai un amendement afin de mieux l’encadrer, est, en revanche, controversée. Il s’agit de l’obligation de transmission aux douanes par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express, que l’on appelle « les expressistes », de toutes leurs données relatives à l’identification des expéditeurs, des destinataires et des marchandises transportées dans les colis. Cette obligation existe en droit communautaire pour le contrôle des colis de provenance extracommunautaire. En l’espèce, tous les colis – je dis bien : tous les colis ! – sont ici visés. Ce dispositif ne concerne donc pas que la contrefaçon, il vise également quelques autres infractions douanières.

L’objectif des douanes est de pouvoir appliquer, à partir de critères de risque, des traitements automatisés à ces données pour cibler les contrôles. Pour justifier cette disposition, est invoqué le développement du commerce électronique, à partir de l’étranger notamment, le trafic diffus de colis pouvant dissimuler – c’est de plus en plus le cas – de nombreuses marchandises interdites.

J’ai demandé au Gouvernement de poursuivre un dialogue technique avec les expressistes, qui sont très hostiles à cette nouvelle obligation, laquelle représenterait un coût pour eux et pourrait créer, selon eux, des distorsions de concurrence avec les autres États de l’Union européenne.

Se posent également la question de l’atteinte à la vie privée et aux données personnelles et celle de la proportionnalité de cette atteinte avec l’objectif de contrôle poursuivi, d’autant que nous sommes dans un contexte particulier : celui du secret des correspondances.

Le Conseil constitutionnel est très sensible à ces questions, comme l’a montré sa décision du 22 mars 2012 sur la loi relative à la protection de l’identité, dans laquelle il a censuré le fichier d’identité biométrique. Bien sûr, nous ne sommes pas dans le cas d’un fichier comparable, mais, face à la multiplication du nombre de fichiers en tous genres à des fins de contrôle, le législateur doit être très attentif à l’encadrement de ceux-ci, au nom de la protection de la vie privée. C’est d’ailleurs le sens de l’un des amendements qui seront présentés sur ce sujet.

Cinquièmement, la proposition de loi vise à aligner les délais de prescription en matière de propriété intellectuelle sur le délai de droit commun de cinq ans, issu de la réforme de 2008, engagée sur l’initiative de notre collègue Jean-Jacques Hyest.

Enfin, sixièmement, la proposition de loi comporte quelques dispositions éparses, notamment en matière pénale, qui figuraient déjà dans le texte de 2011. Il est notamment prévu d’aggraver les sanctions pénales encourues en matière de contrefaçon lorsque celle-ci porte sur des produits présentant un danger pour la santé ou la sécurité : on passerait ainsi de trois à cinq ans de prison et de 300 000 à 500 000 euros d’amende, afin de prendre en compte les nouvelles formes de contrefaçon.

Avant de conclure, je souhaite dire un mot sur les nombreux amendements déposés sur la question des certificats d’obtention végétale en matière de semences de ferme.

En acceptant de rapporter sur le texte de notre ami Richard Yung, j’ai découvert qu’il s’agissait, en réalité, d’un texte de politique agricole, une dimension que je n’avais pas saisie de prime abord. §Ce qui m’a motivé, ce sont les milliers d’emplois mis en cause, …

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