Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 20 novembre 2013 à 14h30
Prévention des inondations — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par un bref rappel : fin février 2010, Xynthia a causé cinquante-trois morts, 700 millions d’euros de dégâts au titre de l’inondation, le double si l’on tient compte de ceux liés à la tempête ; les 15 et 16 juin 2010, vingt-trois morts, deux disparus, 1, 2 milliard d’euros de dégâts à Draguignan et dans la basse vallée de l’Argens, dans le Var ; en novembre 2011, dans la basse vallée de l’Argens et le sud-est de la France, quatre morts, entre 500 millions et 800 millions d’euros de dégâts ; en décembre 2011, inondations dans les Vosges ; en octobre 2012, deux morts à la suite de pluies torrentielles sur La Garde et Toulon ; en octobre-novembre 2012, inondations dans le Pas-de-Calais ; en juin 2013, inondations en Haute-Garonne et dans les Hautes-Pyrénées, 127 communes sinistrées, 134 millions d’euros de dégâts ; fin octobre 2013, inondations dans la Drôme et l’Ardèche… À qui le tour ?

L’histoire s’accélère et, outre le coût humain, la facture est énorme : en moyenne, ces dernières années, elle a été de l’ordre de 700 millions à 800 millions d’euros par an, la moitié seulement de cette somme étant indemnisée au titre des catastrophes naturelles.

Quand viendra le tour de l’Île-de-France, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, le coût sera de 40 milliards d’euros ! Comme l’a fait observer notre collègue Pozzo di Borgo en octobre 2013, devant le conseil de Paris, « tous les experts s’accordent : il ne s’agit pas de savoir si une inondation de type 1901 surviendra, mais de savoir quand elle se produira. Chaque année, Paris a 1 chance sur 100 d’être frappé par une telle catastrophe. »

Dans ce qui n’est qu’un prérapport, l’OCDE relève que « l’absence d’une vision stratégique d’ensemble autour de ce risque majeur pour ce territoire stratégique essentiel révèle un déficit de la politique française de gestion des risques ». À l’origine de cette situation, l’absence de gouvernance unifiée, chacun des multiples acteurs ayant tendance « à faire valoir [sa] vision et [ses] intérêts spécifiques plutôt que de soutenir les objectifs d’ensemble [avec le risque] de l’inefficacité, du saupoudrage des ressources et que les efforts […] pourtant réalisés ne puissent pas totalement porter leurs fruits ». Résultat, « il n’y a pas eu d’investissements importants pour prévenir ce risque majeur depuis une vingtaine d’années. Et ces investissements découlent de la crue de 1901. Depuis, la métropole s’est agrandie. Aujourd’hui, Paris est protégé, la banlieue non. »

Paris est protégé, mais seulement contre l’inondation centennale, et sa banlieue doit se contenter, au mieux, d’une protection contre les crues trentennales. Or c’est là que se trouve l’essentiel du potentiel économique de l’Île-de-France, un tiers du potentiel national : une paille !

Cette situation est à comparer avec celle des Pays-Bas, où, depuis les années soixante, les ouvrages de protection sont conçus en fonction d’une fréquence de retour de la submersion de 10 000 ans dans la partie la plus peuplée et la plus industrieuse du pays, la Randstad Holland, d’une fréquence de retour de 4 000 ans pour les zones soumises à la submersion marine mais moins peuplées, de 2 000 ans à 1 250 ans selon les types de zones soumises au risque de crue des rivières et des fleuves. Depuis 2009, les ouvrages neufs doivent même tenir compte du réchauffement climatique : 1 milliard d’euros par an est prévu pour le futur programme d’adaptation, dit « programme Delta ».

La compétitivité d’un territoire, c’est peut-être aussi la sécurité qu’il assure aux entreprises contre les risques de catastrophes, qui, pour être « naturelles », n’en sont pas moins prévisibles.

Il est donc plus que temps de suivre l’exemple des Pays-Bas et de mettre enfin en place une politique de prévention de l’inondation digne de ce nom en France, à savoir une politique financée de manière pérenne et couvrant l’ensemble du territoire. Si les enjeux ne sont pas vitaux comme aux Pays-Bas, ils n’en sont pas moins essentiels.

Il est temps aussi de réviser les dispositifs de gestion de la crise et de l’immédiate après-crise, même s’ils donnent globalement satisfaction. À l’usage, on s’aperçoit en effet que l’empilement des dispositifs et la séparation des acteurs, chacun avec ses règles de fonctionnement, sont sources de lourdeurs, de dysfonctionnements et donc d’incompréhension de la part des sinistrés.

À l’occasion de la discussion du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, le Sénat a déjà adopté, en première lecture puis en deuxième lecture, en les complétant, un ensemble de dispositions essentielles, au travers des articles 35 B à 35 E.

Des dispositions parfois identiques et en tout cas toujours très proches ont été reprises dans la présente proposition de loi. Pour avoir force de loi, elles attendent d’être votées par l’Assemblée nationale, à l’occasion de l’examen en deuxième lecture du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, prévu dans trois semaines. La commission a donc eu raison de ne pas soumettre de nouveau au débat ses articles 1er, 2, 3, 4, 5, 13 et 14, non que ceux-ci manquent d’intérêt ou de pertinence, bien au contraire, mais parce que leur adoption serait redondante et aurait risqué d’entretenir la confusion.

Au lieu d’un texte unique relatif à la lutte contre l’inondation, les hasards et les méandres de la discussion parlementaire ont fait que nous en aurons deux si le Parlement suit nos propositions : l’un relatif à la prévention, objet des articles 35 B à 35 E du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, qui n’attend plus que la décision de l’Assemblée nationale pour être voté ; l’autre relatif à la gestion de la crise, de l’après-crise et à l’indemnisation des dommages, objet du texte dont nous débattons ce soir.

Je souhaite cependant vous rappeler brièvement, avant de revenir sur ces propositions nouvelles, l’esprit et l’essentiel des dispositions que nous avons déjà adoptées, parce que je sais qu’elles suscitent des interrogations, pour ne pas dire des oppositions, que j’ai du mal à comprendre, je l’avoue, eu égard aux enjeux rappelés en préambule.

Les dispositions relatives à la prévention de l’inondation déjà adoptées par le Sénat se bornent, en effet, à appliquer à la prévention de l’inondation un principe de bon sens : pas de politique efficace tant qu’on ignore qui doit faire quoi et qu’il n’en a pas les moyens.

Juridiquement, à ce jour, la prévention de l’inondation n’incombe à personne ; c’est une « compétence sans maître », pour reprendre l’expression de notre collègue Vandierendonck. Tout au plus la responsabilité de ceux qui auraient contribué à en aggraver les effets peut-elle être recherchée : les propriétaires riverains des cours d’eau non domaniaux, en principe responsables de leur entretien, les auteurs publics ou privés d’ouvrages, pour manque d’entretien, les élus et les préfets, pour des décisions d’urbanisme prises ou non prises, les mêmes, pour des fautes commises dans la gestion de l’alerte ou des secours.

Or la disparition progressive de la société rurale, où la propriété des cours d’eau non domaniaux représentait une richesse à entretenir, l’urbanisation accélérée ont amené les collectivités territoriales à se substituer de fait aux particuliers et à mettre en place localement des politiques de prévention de l’inondation afin de protéger la population, mais trop souvent au coup par coup et à retardement, à la suite de catastrophes dramatiques en termes de victimes et de destructions.

Les dispositions adoptées n’imposent aucune obligation nouvelle aux collectivités qui ont déjà choisi d’assumer la compétence, avec les responsabilités qui l’accompagnent ; elles leur donnent simplement, si elles le désirent, des ressources supplémentaires pour y faire face. De même, elles n’imposent aucune modification dans l’organisation du dispositif de lutte si celui-ci leur donne satisfaction ; tout au plus les intercommunalités se substitueront-elles aux communes dans les syndicats ou syndicats mixtes auxquels elles appartiennent déjà. Elles prévoient que « les communes sont compétentes en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations », mais que cette compétence s’exerce obligatoirement au niveau des communautés de communes, des communautés d’agglomération ou des communautés urbaines et des métropoles.

L’un n’allant pas sans l’autre, elles prévoient en outre que les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre substitués à leurs communes membres pour l’exercice de la compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations peuvent instituer, en vue du financement des actions liées à l’exercice de cette compétence, « la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations » ainsi créée. Ce n’est nullement une obligation si elles disposent déjà de financements suffisants.

L’objet de cette taxe affectée est « le financement des travaux de toute nature permettant de réduire les risques d’inondation et les dommages causés aux personnes et aux biens.

« Dans les conditions prévues à l’article L. 113-4 du code des assurances, le montant des primes d’assurances contre le risque inondation et celui des franchises tient compte, à due proportion, de la réduction des risques qui résulte des actions de prévention. »

L’assiette très large de cette taxe, répartie « entre toutes les personnes physiques ou morales assujetties aux taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, à la taxe d’habitation et à la cotisation foncière des entreprises », en fait un outil de solidarité et d’aménagement territorial face à l’inondation et garantit des taux bas. Son recouvrement n’entraîne en outre aucun frais supplémentaire.

Encore une fois, il s’agit d’une taxe dont la création est facultative, plafonnée à 40 euros par habitant et dont le produit est « exclusivement affecté au financement des charges de fonctionnement et d’investissement […] résultant de l’exercice de la compétence ».

Selon la simulation réalisée par la direction générale des collectivités locales, la DGCL, cette taxe, instituée partout à son plafond, rapporterait environ 600 millions d’euros par an, chiffre à rapprocher des 250 millions à 350 millions d’euros dépensés annuellement pour la prévention active de l’inondation, qui s’en trouverait ainsi stimulée, ainsi que du montant des dégâts annuels, de l’ordre de 600 millions d’euros.

La contrepartie de cette taxe, ce sont des investissements et des actions directement liés à la prévention de l’inondation, opérations dont le contribuable peut facilement apprécier l’importance et la pertinence, et qui auront une incidence sur le montant des primes d’assurance du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles et des franchises : rien à voir donc avec une taxe sans autre affectation que l’amélioration hypothétique d’un quelconque équilibre budgétaire.

Je précise enfin que le bras armé des communautés, en matière de prévention de l’inondation, ce sont les syndicats mixtes constitués à l’échelle des bassins versants, qui les rassemblent avec leurs partenaires naturels : départements, régions, agence de l’eau, etc.

Voilà pour le rappel des dispositions qui ont déjà été votées par le Sénat et que nous souhaitons voir adopter par l’Assemblée nationale.

Comme je l’ai dit, l’objet initial de cette proposition de loi était aussi de revisiter les dispositifs de gestion de la crise et de l’immédiat après-crise, dont l’empilement, ainsi que l’âge et le cloisonnement des acteurs, chacun avec ses règles de fonctionnement, sont devenus sources de lourdeurs, de dysfonctionnements et d’incompréhension pour les sinistrés.

Les dispositions proposées se bornent à reprendre les observations de notre mission commune d’information sur les inondations qui se sont produites dans le Var, et plus largement dans le sud-est de la France au mois de novembre 2011, présidée par notre collègue Louis Nègre. On peut les suivre selon trois fils rouges qui s’entrecroisent : clarifier et simplifier les dispositifs existants ; associer la population et les élus à la lutte contre l’inondation pour leur permettre de mieux habiter leur territoire ; améliorer un système assurantiel que beaucoup de pays nous envient mais qui peut encore progresser.

La discussion des articles et des amendements nous permettra de rentrer dans le détail de ces propositions ; je me bornerai donc ici à en rappeler l’esprit.

L’article 6, qui définit la notion de cours d’eau, l’article 11, qui vise à accélérer la procédure de déclaration d’état de catastrophe naturelle et l’article 15, qui tend à accélérer la perception de la fraction de TVA correspondant aux travaux découlant de l’état de catastrophe naturelle, sont des articles de clarification et de simplification des procédures visant à accélérer leur mise en œuvre et à éviter les conflits entre les différents acteurs concernés.

L’amendement que j’ai déposé à l’article 16 et qui a pour objet de faciliter la passation des marchés liés aux opérations d’urgence en cas d’aléa imprévisible est de même nature : son adoption permettra d’accélérer et de clarifier les choses.

Les cinq articles suivants visent à associer les élus et la population aussi bien aux opérations de secours qu’à la prévention de la catastrophe : l’article 7 amendé tend à associer plus étroitement les services de l’État, les élus et la population à l’élaboration des plans de prévention des risques d’inondations, les PPRI, et à leur permettre d’évoluer plus facilement en fonction des avancées de la politique de prévention ; l’article 8 a pour objet de rendre les élus majoritaires dans les organes délibérants des comités de bassin et des agences de l’eau ; l’article 9 organise l’échange d’information entre élus, préfet et directeur des secours ; l’article 10 associe les réserves communales de sécurité à la prévention et à la lutte contre l’inondation ; l’article 12 vise à rendre obligatoire la création par le préfet d’une commission de suivi de l’après-crise.

Enfin, les articles 18 à 20 et l’amendement que j’ai déposé à l’article 17 constituent un toilettage du dispositif d’indemnisation au titre du régime assurantiel des catastrophes naturelles.

L’amendement déposé à l’article 21, quant à lui, tend à mieux articuler le régime assurantiel des catastrophes naturelles avec le régime de solidarité des calamités agricoles.

Mes chers collègues, quels que soient ses défauts et ses insuffisances, j’ai la faiblesse de penser que cet ensemble de dispositions – celles déjà adoptées par le Sénat dans le cadre du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles et celles dont nous allons débatte aujourd’hui – constitue un tout cohérent.

Une telle occasion de donner à notre pays les moyens de faire face aux défis que la nature lui lance, défis qui se multiplient et dont les conséquences seront d’autant plus terribles que nous resterons dans l’attente, risque de ne pas se représenter de sitôt. Je n’ai rien contre la concertation, mais il arrive un moment où il faut franchir le pas, quitte à rectifier ensuite le tir s’il le faut.

Devant le désastre ayant frappé son département, la Drôme, il y a quelques semaines, notre premier vice-président, Didier Guillaume, a eu ce mot, prononcé sur un ton laissant percer une certaine colère : « Chacun devra prendre ses responsabilités pour avancer. »

Je ne doute pas que le Sénat confirme aujourd’hui son engagement clair dans la lutte contre ce fléau qu’est l’inondation. Nous saurons bientôt si l’Assemblée nationale emprunte la même voie : sa décision ne sera pas sans conséquence. Encore une fois, comme disait notre premier vice-président, à chacun de prendre ses responsabilités ! §

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