Bien que l'on en parle assez peu en France, la Colombie vit depuis un demi-siècle un conflit interne qui oppose les forces de sécurité et des groupes paramilitaires ainsi que de multiples guérillas. Ces groupes armés sont responsables de violations massives des droits humains. La particularité de ce conflit est que les civils en sont les principales victimes. Plus de cinq millions de civils ont ainsi été victimes de déplacements forcés, la Colombie partageant sur ce point le premier rang mondial avec le Soudan. Les femmes et les jeunes filles sont particulièrement exposées à cette violence, qui inclut les violences sexuelles. Ces dernières ont été caractérisées par une décision de 2008 de la Cour constitutionnelle de Colombie comme « des pratiques habituelles, généralisées, systématiques et invisibles du conflit colombien », répondant ainsi à la définition des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. Ce constat est partagé par le bureau du procureur de la Cour pénale internationale qui dans son rapport intérimaire de novembre 2012 sur l'examen de la situation de la Colombie - puisque la Colombie fait partie des pays sous examen de la CPI - pointait à la fois l'ampleur du phénomène et le faible nombre d'enquêtes et de condamnations. Ce document annonçait également que les violences sexuelles feraient l'objet d'une attention prioritaire dans les rapports suivants.
Ces violences sont utilisées en Colombie par les acteurs du conflit armé pour terroriser les communautés et faciliter ainsi les déplacements forcés, pour se venger de groupes ennemis, pour disposer d'esclaves sexuelles ou pour punir et intimider les femmes qui luttent pour la défense des droits humains.
On peut identifier plusieurs obstacles à l'exercice de la justice dans le cas de violences sexuelles.
Tout d'abord ces violences font l'objet d'une quasi impunité : le nombre de dénonciations est limité, à la fois par manque de confiance dans le système judiciaire, par peur de représailles de la part des agresseurs et par crainte pour la victime d'être stigmatisée par la société. D'autres obstacles résident dans le manque de sécurité pour les victimes et pour ceux qui les défendent (avocats et organisations de défense des droits humains) et dans un faible accès aux programmes de protection, de surcroît inadaptés et incomplets. De plus, les fonctionnaires qui reçoivent les plaintes ont tendance à aggraver encore la détresse des victimes en mettant en doute leurs témoignages, tandis que le manque d'assistance médicale, sociale, psychologique et financière est criant. Par ailleurs, les moyens ne permettent pas de procéder aux enquêtes au niveau local. Enfin, les groupes armés se caractérisent par une forte présence et sont en mesure de menacer les victimes, les avocats et les juges, voire parfois d'infiltrer les institutions.
Face à cette situation, les autorités manquent quelque peu de volonté. Un projet de loi présenté par deux députés en juin 2012 permettrait d'assimiler les violences sexuelles liées au conflit à des crimes de guerre ou contre l'humanité. Or il est peu soutenu et se trouve toujours en cours d'examen. Un arrêt de 2008 (arrêt n° 092) de la Cour constitutionnelle a été suivi de peu d'effets : sur les 183 cas pour lesquels elle appelait à un examen prioritaire, seuls trois ont donné lieu à des condamnations.
En outre, le gouvernement a récemment fait adopter une révision constitutionnelle qui étend les compétences aux tribunaux militaires pour juger les militaires responsables de violations des droits humains, ce qui semble de nature à renforcer cette impunité. Certes, cette réforme a été annulée pour vice de forme mais son retour n'est pas impossible. Une autre modification de la constitution, dénommée « Cadre juridique pour la paix », a été votée. Elle confère au Congrès la compétence pour accorder des amnisties de fait aux acteurs du conflit armé.
Il faut être particulièrement vigilant car derrière l'image d'un pays en transition que la Colombie tente de donner, elle demeure, en dépit des négociations menées avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), en proie aux conflits armés. Les groupes paramilitaires demeurent alors que le gouvernement affirme qu'ils ont été démobilisés depuis la loi de 2005 et des violences, y compris sexuelles, sont toujours commises.
Nos recommandations portent donc sur le soutien aux associations de défense des droits des femmes et des droits humains en Colombie et au projet de loi dont j'ai parlé. Nous recommandons aussi de bien suivre l'évolution du processus de paix et des révisions constitutionnelles afin que ces mesures ne se traduisent pas par une impunité généralisée.