Intervention de Souad Wheidi

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 21 novembre 2013 : 1ère réunion
Violences à l'égard des femmes dans les zones de conflit — Table ronde sur l'état des lieux des violences

Souad Wheidi, présidente de l'ONG libyenne Observatory on gender in crisis :

Je vous remercie de m'avoir associée à cette réunion, d'autant que je remarque que la Libye est absente des analyses que nous avons entendues jusqu'à présent. Pour ma part, j'ai trouvé dans les témoignages concernant la Bosnie des échos des drames vécus par les femmes libyennes : il s'agit de souffrances cachées, dont on ne peut parler. Dans mon pays toutefois, il y a une originalité déterminante qui renforce la gravité de la situation : l'ordre de viol venait directement du chef de l'État lui-même, c'est-à-dire de l'autorité qui aurait dû protéger les victimes.

Aujourd'hui en Libye, les femmes qui ont été violées veulent être considérées comme des victimes de guerre, d'autant qu'elles ont joué un rôle très actif dans la révolution. Moi-même je suis retournée dans mon pays au moment de la révolution, alors que je vivais en France, pour participer à la lutte. En quelque sorte, je me sentais coupable d'être loin de la Libye. Au départ, on n'imaginait pas qu'il y aurait tant de violence. On pensait que les forces de l'ordre enverraient des gaz lacrymogènes. Mais elles ont utilisé des lance-roquettes contre les manifestants.

Les premiers témoignages que j'ai entendus venaient de camps de réfugiés. Je m'y étais rendue parce qu'aucune commande destinées aux besoins des femmes n'avait été passée, ce qui paraissait étonnant. J'ai compris pourquoi sur place : c'était les hommes qui passaient ces commandes. Les femmes n'osaient pas exprimer leurs besoins. C'est dans le premier camp où je suis allée que j'ai rencontré pour la première fois une victime de viol, âgée de 15 ans seulement. Elle m'a demandé de l'aider à lire un test de grossesse. Elle était atteinte d'une très forte fièvre ; j'ai finalement réussi à la faire sortir du camp pour la faire soigner à l'hôpital. C'est vraiment difficile, dans certaines régions, de dire qu'on a subi un viol. Ce qui bouleversait le plus cette jeune fille était d'avoir été filmée pendant qu'on la violait : ces images avaient été largement diffusées par téléphones portables. Quand j'en ai parlé à des camarades, ils n'en ont pas été autrement surpris.

Ils m'ont montré un de ces films. Je ne sais pas quel âge avait la victime. Elle m'a paru très jeune, une fillette encore. On ne peut même pas parler d'acte sexuel à propos de ce qu'elle a subi. Son bourreau était un malade mental et un monstre. Encore aujourd'hui, l'émotion me submerge. Pour ma part, ce film a changé toute ma vie. Depuis que je l'ai vu, je milite pour la cause des victimes. Ce qui m'a vraiment émue, c'est que sans relâche, pendant son agression, cette jeune fille supplie son père de tourner la tête et de ne pas regarder. Il avait été obligé d'assister à son calvaire, le but était aussi de l'humilier à travers elle. Dans une société traditionnelle comme la société libyenne, c'est le pire qui puisse arriver à un être humain.

Le viol a été utilisé en Libye pour détruire toute résistance contre le pouvoir. Je parle de la période de la révolution.

La situation en Libye présente deux spécificités à mon avis : d'une part, les viols y ont été utilisés comme une réelle arme de guerre puisque, comme je le disais, l'ordre venait du chef de l'État lui-même, qui fournissait d'ailleurs ses milices en viagra ; d'autre part, leur caractère massif et collectif. Il n'y a pas de victimes qui n'aient été violées par une brigade - une trentaine d'hommes. Le drame est d'autant plus immense que le nombre d'habitants en Libye est faible - 6 millions seulement.

Il faut ajouter que le viol a été utilisé comme arme de guerre contre les hommes également, et dans les prisons de manière systématique. Là encore, les scènes ont été très fréquemment filmées. Aujourd'hui, les victimes craignent plus que tout que ces films soient diffusés sur des sites pornographiques. Ces films sont d'ailleurs devenus l'enjeu d'un chantage : de l'argent contre leur non-diffusion.

Une autre spécificité du cas libyen : dans les villes qui ont été dans un premier temps libérées du pouvoir puis reconquises, les représailles ont été atroces. Des viols systématiques et massifs ont eu lieu dans chaque maison. Personne ne pouvait y échapper : les victimes étaient des femmes, des jeunes filles, des enfants et des vieillards.

Il faut lire le livre d'Annick Cojean, « Les proies dans le harem de Kadhafi », pour comprendre qu'en Libye, nous avons à traiter cet héritage épouvantable de femmes violées en si grand nombre par le chef de l'État lui-même et utilisées par lui comme esclaves sexuelles.

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