C'est la troisième année que je vous présente un avis sur les crédits du programme « Développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie », qui intéresse la commission des lois au titre de ses compétences en matière de droit des entreprises, de simplification de leur environnement juridique, de protection et de sécurité des consommateurs, de régulation des marchés et de mise en oeuvre du droit de la concurrence, mais qui a un champ plus large, puisqu'il concerne aussi certains secteurs économiques particuliers comme l'industrie et les communications électroniques ou postales. Ce programme regroupe, entre autres, les crédits de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et de la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS), qui dépendent du ministère de l'économie et des finances, ainsi que de l'Autorité de la concurrence.
Le périmètre du programme a encore changé substantiellement, comme chaque année ! L'impact sur son budget, qui représente un peu plus d'un milliard d'euros en 2014, est de l'ordre de 250 millions d'euros. Il s'agit notamment de la réintégration des 150 millions d'euros de compensation auprès de la Poste des aides au transport de la presse, crédits qui étaient sortis du programme dans le budget 2013... À périmètre constant, les crédits du programme diminuent en 2014 de 6 % en autorisations d'engagement et de 5,5 % en crédits de paiement. Ces diminutions font suite à des années de baisse qui ont sérieusement entamé les effectifs et la capacité d'action de la DGCCRF. Le programme « Développement des entreprises » est celui qui est chaque année le plus mis à contribution par la réduction des dépenses dans la mission « Économie », souvent davantage que la moyenne budgétaire.
La DGCCRF voit toutefois sa situation s'améliorer légèrement, grâce à une progression de ses crédits de 2,27 % en autorisations d'engagement et de 1,36 % en crédits de paiement et à la perspective de 15 emplois supplémentaires en 2014, après une stabilisation de ses effectifs en 2013 qui faisait suite à une réduction de presque 20 % de ses emplois en cinq ans. L'Autorité de la concurrence, elle, devrait connaître une légère progression de ses crédits. Pour un budget annuel inférieur à 21 millions d'euros, elle rapporte des centaines de millions au budget de l'État par le produit des amendes qu'elle prononce : 439 millions d'euros en 2010, 420 millions d'euros en 2011 et 540 millions d'euros en 2012.
Le programme devrait comporter 50 millions d'euros de crédits pour abonder le fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant contracté des emprunts toxiques. Il est curieux que ces crédits, fort utiles au demeurant, figurent dans un programme consacré aux entreprises alors qu'il existe une mission budgétaire « Relations avec les collectivités territoriales » !
J'aborde à présent la question de l'impact de la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE) sur les services chargés des missions de concurrence et de consommation.
Dans son rapport de 2013 sur l'organisation territoriale de l'État, la Cour des comptes a confirmé mon évaluation de la situation des directions départementales compétentes en matière de concurrence et de la consommation, dans leur volet improprement appelé « protection des populations » : malaise persistant des personnels, perte de visibilité, manque de cohérence et d'efficacité dans un contexte de forte réduction des effectifs, difficultés de gestion dans les directions départementales, accentuées par la juxtaposition de métiers différents, avec des cadres qui ignorent parfois la nature des missions de protection des consommateurs, ainsi que par les disparités statutaires dans les nouvelles directions mises en place en 2010, enfin, baisse du nombre des contrôles.
In fine, c'est le contrôle qui est affaibli - l'affaire de la viande de cheval l'a bien montré - au risque de nouvelles menaces pour la santé et la sécurité des consommateurs. Je m'interroge sur les contrôles de la mention « fait maison » introduite par la loi Hamon : il n'y a manifestement pas assez d'agents pour les réaliser.
Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss ont remis un rapport au Gouvernement il y a quelques mois sur la stratégie d'organisation à cinq ans de l'administration territoriale de l'État.
Lors du conseil interministériel pour la modernisation de l'action publique de juillet dernier, le Gouvernement a confirmé l'organisation administrative issue de la RéATE, dans un souci de stabilisation des structures, en donnant la priorité à l'amélioration du pilotage et du fonctionnement des services déconcentrés. Il a toutefois reconnu la nécessité de « répondre aux contraintes spécifiques aux missions de contrôle et de protection des consommateurs », en cherchant une meilleure articulation entre niveau régional et niveau départemental. On pâtit de la rupture du lien hiérarchique et de la chaîne de commandement entre l'administration centrale et les équipes opérationnelles dans les directions départementales, placées sous l'autorité du préfet.
Après plusieurs déplacements en région l'année dernière, j'ai effectué cette année un déplacement en Champagne-Ardenne, pour mieux apprécier le rôle des pôles C, chargés de la concurrence et de la consommation, des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). J'ai ainsi rencontré des agents très investis, mais dans des directions qui peinent à trouver leur place dans le paysage administratif. Le rôle de pilotage en matière de concurrence et de consommation du pôle C reste mal compris et mal perçu ; son rôle opérationnel semble très variable d'une région à l'autre en fonction des choix locaux et est souvent critiqué par les agents affectés dans les directions départementales. Dans ces conditions, il faut imaginer une nouvelle articulation entre l'échelon régional et l'échelon départemental, tout en restant dans l'épure de la RéATE. Certains avaient envisagé la création d'unités territoriales des DIRRECTE pour regrouper les missions de concurrence et de consommation, avec les agents de la DGCCRF. Le conseil interministériel de juillet a fermé cette porte.
La situation sur le terrain continue de se dégrader. Ainsi, la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations des Ardennes pourrait n'avoir plus que trois agents de la DGCCRF en 2014. Dans ces conditions, comment peut-on assurer les missions de contrôle ?
J'ai également été surpris de constater l'interventionnisme de certains préfets dans les missions de contrôle des agents chargés de la protection des consommateurs, au nom de considérations extérieures, comme l'emploi.
J'en viens à présent au bilan du régime d'entrepreneur à responsabilité limitée (EIRL).
L'EIRL a été institué par la loi du 15 juin 2010, dont le rapporteur au Sénat fut Jean-Jacques Hyest, dans un but de protection du patrimoine de l'entrepreneur individuel. Mettant fin au principe de droit civil de l'unicité du patrimoine, ce statut très demandé par les milieux de l'artisanat permet à un entrepreneur individuel, qui ne veut pas exercer sous forme de société, de constituer un patrimoine professionnel d'affectation, distinct de son patrimoine personnel. Outre la possibilité d'opter pour l'impôt sur les sociétés, comme pour l'EURL, l'EIRL offre en principe l'avantage de protéger le patrimoine personnel de l'entrepreneur. Ce système paraît plus adapté pour les créateurs d'entreprise que pour les entrepreneurs déjà en activité.
La mise en route du dispositif a tardé, du fait de l'attente des textes d'application, en matière fiscale notamment. Au 31 août 2013, on recensait 17 896 EIRL, à comparer à un total de 1,8 million d'entreprises individuelles et de 390 000 créations d'entreprises individuelles en 2012. L'objectif fixé par l'étude d'impact était de 100 000 EIRL fin 2012. Près d'un tiers des EIRL cumulent ce statut avec le régime de l'auto-entrepreneur. Ce chiffre doit être comparé avec les 37 000 déclarations d'insaisissabilité, dont 16 000 pour la même période 2011-2013. Même si elle suscite des critiques au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, la déclaration d'insaisissabilité a été largement plébiscitée dans mes auditions pour sa simplicité. Il faut ici remercier le président Hyest, qui a permis le maintien de ce dispositif que le Gouvernement avait prévu de supprimer.
Plusieurs facteurs expliquent le relatif insuccès de l'EIRL. La séparation des deux patrimoines suppose de remplir des formalités et des obligations comptables. La loi prévoit dans certains cas, à titre de sanction, la confusion des patrimoines. D'après mes auditions, les facteurs psychologiques sont prépondérants. Un chef d'entreprise qui ne veut pas créer de société et exerce en nom propre, par simplicité, ne choisira pas un statut compliqué. Pour triviale qu'elle puisse paraître, cette explication me paraît sérieuse. Il reste enfin la question de l'accès au crédit : les banques sont hésitantes vis-à-vis de l'EIRL. En tout état de cause, elles peuvent toujours demander des garanties au-delà du patrimoine professionnel. On pourrait distinguer au regard de l'EIRL les prêteurs des autres créanciers professionnels.
Dans ces conditions, l'EIRL paraît un bon système pour les entrepreneurs individuels familiarisés avec les questions juridiques et comptables, qui n'ont pas besoin de crédit pour financer leur activité professionnelle et qui ont des actifs professionnels limités. Il n'est pas sûr que ce soit la cible initiale.
Le grand nombre de statuts dont les entrepreneurs perçoivent mal les avantages et les inconvénients constitue en lui-même une source de complexité.
Le projet de loi relatif au commerce et à l'artisanat, présenté par la ministre Sylvia Pinel, comporte quelques simplifications comptables pour l'EIRL, sans bouleverser le dispositif. Les experts-comptables suggèrent l'application automatique du régime de l'EIRL à tous les entrepreneurs individuels, le dépôt annuel du bilan valant déclaration d'affectation du patrimoine professionnel. Cette simplification drastique ne serait pas sans soulever quelques interrogations juridiques.
Un mot sur un sujet de préoccupation que j'avais déjà exprimé l'année dernière : en 2010, le législateur a décidé de rattacher administrativement à l'Institut national de la consommation (INC) les trois commissions compétentes en matière de consommation, et notamment la commission de la sécurité des consommateurs. À ce jour, son personnel est toujours rattaché au ministère de l'économie et des finances, ses crédits n'ont toujours pas été transférés à l'INC et ses bureaux dans les nouveaux locaux de l'INC restent vides. La loi de 2010 reste lettre morte, pour des motifs administratifs qu'on ne parvient toujours pas à m'expliquer. Une convention est en cours de négociation : j'espère qu'elle aboutira en 2014.
Je propose un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Développement des entreprises et du tourisme ».