Vous avez raison.
Enfin, sur ma proposition, la commission des affaires européennes s'est penché sur la gouvernance européenne du numérique. En mars, mon rapport a été adopté à l'unanimité et il a fait l'objet d'un avis politique qui est remonté à la Commission européenne, rapport dont l'intitulé était volontairement provocateur : « L'Union européenne, colonie du monde numérique ? ».
Tous ces travaux serviront de base de réflexion.
J'ai voulu cette mission commune d'information car nous sommes à un tournant de l'Internet : l'affaire Prism a démontré que la gestion de l'Internet sous domination américaine ne pouvait durer en l'état. En outre, début octobre, à la conférence de Montevideo, les organisations de gestion des ressources de l'Internet, dont l'ICANN, ont pris leurs distances avec les méthodes américaines et préconisé le passage à une nouvelle étape : une gouvernance multilatérale de l'Internet serait la clé du développement de nos sociétés et assurerait la souveraineté des États.
Le Brésil, qui avait évoqué cette problématique lors du sommet de l'ONU à Dubaï en 2012, est un des rares pays émergeants à s'emparer du sujet.
J'ai souhaité intituler cette mission : « Nouveau rôle et nouvelle stratégie de l'Union » pour insister sur le rôle majeur de l'Europe qui doit se montrer plus dynamique. L'Internet dévorant l'ensemble de notre vie et de nos économies, nous devons prendre garde à l'organisation de notre monde virtuel mais aussi matériel. Le sursaut européen permettrait de défendre notre conception de l'Internet qui doit devenir plus démocratique. Pourquoi ne pas s'appuyer sur la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ? Entre la domination américaine et un Internet sous contrôle, comme en Chine, en Iran ou en Russie, une voie médiane, porteuse de développement mais aussi de liberté, est possible.
Pour y parvenir, nous devrons relever plusieurs défis : défi économique, tout d'abord, car de nouveaux modèles économiques ont rapidement émergé, notamment des sociétés monopolistiques non européennes.
Défi fiscal aussi : la commission des finances y a beaucoup travaillé.
Défi juridique : l'Internet défie les droits nationaux, qui parfois se contredisent. En outre, des espaces de non droit existent : ainsi en est-il des données personnelles et des métadonnées. Je regrette que l'affaire Prism n'ait pas accéléré le calendrier d'adoption du Règlement européen, même s'il est loin d'être parfait.
Défi culturel, enfin, car c'est la diversité culturelle dans son ensemble qui est en cause. Qui maîtrisera in fine la société de la connaissance et de l'information ?
Nous ne sommes plus dans un monde gouverné par des États-nations, mais dans un nouvel espace, à l'image de ce qu'était l'océan il y a quelques siècles, qui reste à partager et à maîtriser. Quel sera le devenir de ce réseau ? Qui le maîtrisera ? Quelles en seront les valeurs ? L'enjeu est de taille, car il en va de la souveraineté des États. La France et l'Europe ont un rôle essentiel à jouer. Les Allemands, qui ont lancé une mission d'enquête, sont les seuls à avoir réagi jusqu'à présent. Il serait intéressant de les rencontrer pour connaître leur diagnostic et leurs conclusions.