Intervention de Jean-Yves Leconte

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 décembre 2013 : 1ère réunion
Accueil et habitat des gens du voyage — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte, rapporteur :

Elle attire l'attention sur une question sensible mais y apporte des réponses simplistes et inadaptées. L'enjeu est d'importance : il s'agit de savoir quel sens nous donnons au mot de République.

À l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a censuré en octobre 2012 les dispositions les plus discriminatoires de la loi du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe, notamment l'obligation de rattachement pendant trois ans à une commune pour bénéficier d'une inscription sur les listes électorales, ou l'obligation de « pointer » tous les trois mois dans la commune où l'on est de passage. Mais dans ses grandes lignes, la loi de 1969 demeure et elle a pour effet d'exclure les gens du voyage du droit commun et d'en faire une catégorie particulière de citoyens.

Le régime du titre de circulation aurait dû conduire à disposer de chiffres fiables sur cette population et ses habitudes, or les données sont incertaines, aussi bien sur la structure par âges que sur le pourcentage de sédentarisation ou les habitudes de semi-sédentarité. On estime entre 250 000 et 500 000 le nombre de personnes concernées.

En application de la loi Besson, environ 40 000 aires d'accueil auraient dû être réalisées : la moitié seulement a été créée, selon la Cour des comptes. Même si cette loi était respectée, elle ne garantirait pas la fluidité de circulation, les places de stationnement resteraient insuffisantes. Parfaitement au fait de cette carence, les représentants de l'État font parfois preuve d'une complaisance coupable face aux installations illégales dont les maires demandent avec raison le démantèlement.

Il est urgent de faire respecter la loi, dans toutes ses dispositions, faute de quoi la situation se dégradera encore. Les communes en règle ne comprennent pas pourquoi elles ne peuvent obtenir le concours du préfet en cas d'occupation illicite de terrains.

La loi Besson du 5 juillet 2000 définit les gens du voyage comme les personnes dont l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles. Elle a mis en place un dispositif ambitieux destiné à régler les difficultés et répartir équitablement les efforts sur le territoire national. Treize ans plus tard, les aires d'accueil, plus particulièrement celles destinées aux grands passages, sont trop rares, ce qui engendre en chaîne des occupations illicites de terrains, des tensions avec les populations locales et le désarroi de nombreux maires.

La loi Besson confie aux communes la responsabilité de créer des aires d'accueil, attribue à celles qui la respectent des moyens renforcés pour lutter contre les stationnements illicites et investit l'État comme garant de cet équilibre, y compris par une contribution financière à la réalisation des emplacements.

Elle prévoit l'élaboration d'un schéma départemental, révisé tous les six ans. Les communes de plus de 5 000 habitants doivent aménager une aire. Mais le schéma peut en identifier d'autres, soit parce qu'il apparaît nécessaire d'installer des emplacements dans une zone peu urbanisée, soit parce que, par un accord intercommunal, la réalisation d'une aire prévue sur le territoire d'une commune de plus de 5 000 habitants est transférée sur celui d'une autre commune.

Les communes inscrites au schéma peuvent exercer elles-mêmes cette compétence, la transférer à l'intercommunalité dont elles sont membres (le transfert est de plein droit pour les communautés urbaines et les métropoles), ou la mettre en oeuvre dans le cadre de conventions intercommunales fixant les contributions financières.

Le schéma départemental, élaboré par le préfet et le président du conseil général, doit être approuvé conjointement dans les dix-huit mois de la publication de la loi du 5 juillet 2000 après avis des conseils municipaux concernés et de la commission consultative départementale des gens du voyage. Passé ce délai, l'approbation relève du seul préfet.

Les communes disposaient d'un délai initial de deux ans pour réaliser les aires d'accueil, délai prorogé de deux ans pour les communes ou EPCI ayant manifesté la volonté de se conformer à leurs obligations, puis, pour les mêmes collectivités, d'un délai supplémentaire, jusqu'au 31 décembre 2008.

Le bilan est globalement décevant. Les schémas ne sont que partiellement mis en oeuvre, avec de fortes disparités. Les Côtes-d'Armor sont le département le mieux doté en proportion ; ce sont les Alpes-Maritimes qui font le moins bien. Le Nord, qui a une obligation trois fois plus importante que d'autres, se situe néanmoins dans la moyenne nationale. Au 31 décembre 2010, seuls 52 % des places prévues en aires d'accueil (21 540 places réparties sur 919 aires) et 29,4 % des aires de grand passage (103 aires) avaient été réalisés.

L'État contribue aux investissements nécessaires à l'aménagement - avec un plafond de 15 245 euros par place - et à la réhabilitation des aires d'accueil, dans la proportion de 70 % des dépenses engagées dans les délais légaux. Il peut se substituer aux communes ou aux EPCI défaillants après mise en demeure du préfet demeurée infructueuse, acquérir les terrains, réaliser les travaux et gérer les aires pour le compte de la collectivité défaillante. Mais cette procédure n'a jamais été mise en oeuvre.

En contrepartie, lorsque les obligations ont été respectées, le maire peut interdire le stationnement des résidences mobiles en dehors des aires d'accueil aménagées. La loi de 2000 organise une procédure encadrée d'évacuation administrative mise en oeuvre par le préfet à la demande du maire, du propriétaire du terrain ou du titulaire du droit d'usage, en cas d'atteinte à l'ordre public. Le préfet met en demeure les occupants de quitter les lieux et fixe un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à 24 heures. Dans ce délai, le mis en demeure, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage peut saisir le tribunal administratif à fin d'annulation de l'arrêté préfectoral. Ce recours est suspensif. Le juge statue dans les 72 heures de sa saisine. Si l'occupation se poursuit sans que le tribunal soit saisi, le préfet peut procéder à l'évacuation forcée des résidences mobiles. Le dispositif peut être mis en oeuvre par le préfet dans les communes non inscrites au schéma départemental.

La proposition de loi de Pierre Hérisson vise à renforcer les moyens de lutte contre le stationnement illicite des gens du voyage. L'article 1er double les peines prévues pour réprimer l'installation en réunion sur un terrain appartenant soit à une commune qui a respecté ses obligations, soit à un propriétaire qui n'a pas donné son autorisation. Ce délit est aujourd'hui sanctionné de six mois d'emprisonnement et d'une amende de 3 750 euros.

Les articles 2 à 5 assouplissent les motifs fondant la mise en demeure et réduisent les délais de recours : la procédure pourrait être déclenchée en l'absence d'atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques ; le délai d'exécution de la mise en demeure serait de 24 heures au plus, ramené à six heures en cas de récidive. En cas de recours, le délai fixé au juge pour statuer serait abaissé de 72 à 48 heures.

Les deux derniers articles visent à mieux organiser les déplacements de grande ampleur. L'article 6 confie à l'État la responsabilité du bon ordre des grands passages et des grands rassemblements occasionnels ou traditionnels des gens de voyage. L'article 7 prévoit la signature d'une convention destinée à préciser les conditions d'occupation du terrain entre les représentants des gens du voyage et le maire concerné trois mois avant l'arrivée des caravanes. Dans sa rédaction actuelle, cependant, l'article vise tous les mouvements, quelle que soit leur taille... J'exposerai lors de la discussion des amendements les réserves que m'inspirent un certain nombre d'articles.

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