Intervention de Antoine Lefèvre

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 décembre 2013 : 1ère réunion
Autoriser le vote par internet pour les français établis hors de france pour l'élection des représentants au parlement européen — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre, rapporteur :

La proposition de loi de M. del Picchia prévoit, pour l'élection des représentants au Parlement européen, d'ajouter le vote par Internet aux modalités actuelles d'expression du suffrage des Français établis hors de France. Si elle était adoptée à temps, cette modification serait applicable lors des prochaines élections européennes.

La loi du 26 mai 2011 a rendu à nos compatriotes expatriés le droit de vote pour les élections européennes, dont ils étaient privés depuis 2003 à la suite du découpage en circonscriptions du territoire national. Depuis 2011 donc, les Français établis hors de France votent au sein de la circonscription « Île-de-France ». Notre collègue souhaite leur permettre, pour cette élection, de voter par correspondance électronique, c'est-à-dire par Internet. Cette modalité de vote, introduite pour la premières fois en 2004, à l'initiative de notre collègue del Picchia pour l'élection du Conseil supérieur des Français de l'étranger, est l'une des deux possibilités du vote électronique. Par vote électronique, on entend traditionnellement en France le vote par machines à voter, rendu possible dans les communes après autorisation du représentant de l'État, ou - ce qui concerne uniquement les Français de l'étranger - le vote à distance à partir d'un ordinateur, l'électeur ayant préalablement reçu un identifiant pour s'authentifier. Le vote par Internet se déroule plusieurs jours avant la date de scrutin et s'achève avant l'ouverture du bureau de vote.

Quels sont les objectifs de l'auteur de la proposition de loi ?

Le premier est de favoriser la participation électorale : les 24 et 25 mai prochains auront lieu, le même jour, l'élection des députés européens et celle, pour la première fois, des conseillers consulaires. Notre collègue redoute que les électeurs qui voteraient par Internet pour l'élection des conseillers consulaires - instituée par la loi du 22 juillet 2013 - ne se rendent pas au bureau de vote pour l'élection des députés européens, puisque la même facilité de vote n'existera pas pour cette élection.

Deuxième objectif : alléger l'organisation des élections européennes et des élections consulaires. Notre collègue indique que les bureaux de vote devront être doublés en raison des deux élections concomitantes, ce qui impliquera plus de personnel et de locaux. Sur ce point, la proposition de loi n'apporte aucune simplification car le vote électronique s'ajoute au vote à l'urne et ne s'y substitue pas. Ce serait donc un coût supplémentaire et non une voie de facilitation, les bureaux de vote devant être ouverts malgré la possibilité de voter par Internet.

Dernier objectif : aligner le droit applicable aux élections européennes sur celui réservé aux élections législatives. M. del Picchia estime logique que les électeurs établis hors de France, qui peuvent depuis 2011 élire par Internet leurs députés, puissent également le faire pour les députés européens.

Il convient de distinguer les objections opposées par le Gouvernement à cette proposition de loi, selon qu'elles portent sur son application à court terme ou sur son fond. Pour le ministère des affaires étrangères, son application en mai 2014 est matériellement impossible. Il estime qu'il faudrait un an pour mettre en oeuvre ce vote par Internet, car il convient d'analyser les risques en fonction de l'importance de l'élection, du corps électoral concerné, de la taille de la circonscription ou des règles juridiques applicables. De même, il faudrait un an pour passer des marchés publics et élaborer des mesures règlementaires après la saisine de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Or, ces démarches devraient être achevées avant le décret de convocation des électeurs, soit avant le 20 avril 2014.

Ces obstacles paraissent difficilement surmontables car la solution retenue pour le vote par Internet pour l'élection des conseillers consulaires n'est pas transposable en l'état pour celle des députés européens. En effet, les circonscriptions, les listes de candidats et les listes électorales ne seront pas les mêmes. En outre, faudra-t-il envoyer un identifiant par électeur ou un identifiant par élection, soit deux par électeur ?

Enfin, l'adoption de cette proposition de loi par le Sénat, puis par l'Assemblée à quelques mois, voire quelques semaines de l'échéance électorale, serait contraire à la tradition républicaine.

Des objections de fond ont également été formulées. Ce texte marquerait le franchissement d'un nouveau cap dans l'introduction du vote électronique pour les élections politiques françaises. Jusqu'à présent, le vote par Internet n'est autorisé que pour des élections pour lesquelles le vote des Français établis hors de France est isolé au sein de circonscriptions spécifiques, comme pour l'élection des députés au sein de onze circonscriptions ou celle des conseillers consulaires. Cette possibilité n'existe pas lorsque les Français établis hors de France votent dans la même circonscription que des Français établis en France, comme l'élection du président de la République, des députés européens ou lors d'un référendum national.

Dans le cas présent, les Français établis hors de France votent au sein de la même circonscription que les Franciliens. Instaurer une modalité supplémentaire de vote pour les seuls électeurs établis hors de France introduirait, au sein d'une même circonscription, des modalités de vote différentes et soulèverait une difficulté au regard du principe constitutionnel d'égalité entre électeurs. En effet, l'électeur, selon qu'il se situe à l'étranger ou en Île-de-France ne disposerait pas des mêmes modalités de vote.

En outre, qu'adviendrait-il si une fraude ou une erreur technique survenait lors du vote par Internet ? Contrairement au vote traditionnel, le juge ne peut pas aisément écarter les bulletins qu'il juge viciés. Imaginez qu'une défaillance au sein de l'urne électronique soit survenue pour les votes enregistrés entre 11 heures et midi : il serait impossible de retrouver les bulletins concernés car, une fois entrés dans l'urne électronique, ils ne sont plus traçables, en vertu du secret du vote. Un problème de cette nature pourrait conduire à l'annulation du scrutin pour la circonscription « Île-de-France ».

Enfin, dans le cadre de la mission d'information créée par notre commission, je mène depuis plusieurs mois avec notre collègue Alain Anziani des auditions sur le vote électronique. Le rapport que nous devrions rendre au début de l'année prochaine nous permettra de savoir s'il faut franchir l'étape à laquelle nous invite notre collègue del Picchia.

En dépit de ces remarques, je vous propose d'adopter cette proposition de loi qui devrait être examinée rapidement pour pouvoir être mise en oeuvre d'ici les prochaines élections.

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