Intervention de Yannick Vaugrenard

Commission des affaires économiques — Réunion du 3 décembre 2013 : 1ère réunion
Sécurisation de la vie des entreprises — Examen du rapport pour avis

Photo de Yannick VaugrenardYannick Vaugrenard, rapporteur :

Ce projet de loi traduit l'engagement du Président de la République à mettre en oeuvre rapidement un « choc de simplification » ; il est issu d'une large concertation avec les entreprises et a été préparé avec M. Thierry Mandon, nommé parlementaire en mission auprès du Premier ministre à qui il a remis son rapport en juillet dernier.

Les projets de loi d'habilitation dépossèdent le Parlement d'une partie de ses prérogatives législatives - même si celui-ci conserve des moyens d'action juridiques, y compris la possibilité de modifier le contenu des ordonnances lors de la ratification, si le Gouvernement ne s'y oppose pas. Je crois que le temps est venu d'associer davantage le Parlement à l'élaboration des ordonnances : soit en instituant une consultation publique sur les projets d'ordonnance, en y donnant un rôle privilégié au Parlement ; soit, à tout le moins, en communiquant les projets d'ordonnance au Parlement - je vous propose de sensibiliser le Gouvernement en séance publique sur ce point important, car chez nos voisins européens le Parlement est étroitement associé à la simplification des normes.

Les projets d'habilitation, ensuite, nous laissent peu de possibilités d'amendements, car le Conseil constitutionnel a jugé que les parlementaires ne peuvent pas prendre d'initiatives tendant à élargir le champ de l'habilitation. Nous devons donc exprimer nos intentions dans les travaux préparatoires de la loi d'habilitation : ne négligeons pas ce rôle, car la jurisprudence constitutionnelle et même administrative ou judiciaire, fait référence à nos débats.

Cette remarque est d'autant plus importante que la simplification de la vie des entreprises ne relève pas seulement de normes législatives ou réglementaires mais aussi de comportements. Par exemple, il a été constaté que les greffes des tribunaux de commerce n'ont pas toujours des pratiques homogènes sur l'ensemble du territoire, et certains demandent des justificatifs non prévus par la réglementation. De ce point de vue, il est essentiel que le Gouvernement et le Parlement diffusent ensemble un message de simplification de la vie des entreprises à la société française et à son administration.

Le thème de la simplification n'est pas nouveau : depuis les années 1950, on répète qu'il faut « simplifier », mais sans parvenir à des résultats satisfaisants. Ce texte tire les leçons du passé en redonnant de la crédibilité à la simplification, laquelle a bien failli devenir elle-même un processus inflationniste et un nid à contentieux. La dernière loi de simplification du 22 mars 2012, pourtant issue de l'initiative parlementaire - une proposition de loi de M. Jean-Luc Warsmann -, a donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel annulant onze cavaliers législatifs.

Le véritable enjeu du débat, me semble-t-il, réside dans la « compétitivité-temps » et la charge administrative ; de fait, la complexité croissante du droit concerne tous les domaines, tous les pays et le droit international lui-même, en particulier au sein de l'Organisation mondiale du commerce ; dès lors, il faut s'efforcer de diminuer le nombre des règles, mais aussi gérer la complexité pour l'usager lui-même. L'outil informatique a déjà prouvé son utilité, mais la e-administration pourrait faire économiser jusqu'à 15 milliards à l'État et alléger de 25 % de la charge administrative pour les entreprises.

C'est le premier axe fondamental de ce texte, en particulier avec la facturation électronique - l'État traite manuellement des quantités énormes de papiers correspondant à plus de quatre millions de factures par an, dont certaines atteignent des centaines de pages.

La réussite de l'e-administration ne va cependant pas de soi : aux États-Unis, la saturation des sites internet publics a fragilisé le vaste programme « ObamaCare » de généralisation de la couverture maladie. C'est pourquoi je vous propose de souligner, en séance publique, notre attachement à l'équilibre auquel ce texte parvient entre l'extension progressive des obligations d'utiliser les outils de la e-administration, et un traitement particulier des très petites entreprises qui n'auraient pas les moyens de se mettre aux normes techniques.

Les exemples réussis et les bonnes pratiques conduites chez nos voisins européens sont allés dans ce sens, si on se réfère à l'expérience belge du « Dites-le nous une fois » - qui a été reprise en France - et du « Test Kafka », lequel évalue l'impact d'une nouvelle réglementation sur les charges administratives à l'aide d'un questionnaire précis sur le nombre et la périodicité des formalités et obligations induites par les normes envisagées.

Autre source de complexité, l'instabilité du droit. Il ne saurait être question d'exiger que le Parlement arrête de perfectionner les règles et de concilier les intérêts contradictoires qui traversent la société : l'adaptation du droit participe de la vocation même des assemblées parlementaires ; cependant, l'instabilité des normes est le principal obstacle à l'initiative, car elle crée de l'incertitude qui fait renoncer à bien des projets.

Le projet de loi d'habilitation explore ici une solution novatrice : il propose d'expérimenter le « certificat de projet » en offrant des perspectives stables aux porteurs de projets sans pour autant brider le législateur dans ses initiatives de perfectionnement du droit.

Je résumerai maintenant brièvement les six dispositions du projet de loi sur lesquelles porte notre examen pour avis.

L'article premier comporte des mesures qui visent pour l'essentiel à simplifier et à sécuriser la vie des entreprises.

Parmi les plus significatives, je citerai l'allégement des obligations comptables des petites et très petites entreprises : cela concerne 1,33 million d'entreprises de moins de 50 salariés au total, dont 1,1 million de micro-entreprises de moins de dix salariés.

J'ai évoqué le développement de la facturation électronique par étapes et je précise qu'elle concernerait les relations des fournisseurs non seulement avec l'État mais aussi avec les collectivités territoriales et leurs établissements publics respectifs.

Je mentionne également la création d'un cadre juridique pour le financement participatif. Cette technique consiste, pour les entreprises naissantes à rechercher des fonds par l'intermédiaire d'un site internet accessible au grand public : cela représentait 6 millions d'euros en 2010 pour financer 15 000 projets, mais ce phénomène serait en croissance très forte avec 30 millions d'euros levés au cours du premier semestre 2013. Il s'agit d'assurer un niveau de protection de l'internaute financeur qui doit être supérieur à celui d'un consommateur sans pour autant imposer aux entreprises des obligations conçues pour des levées de fonds massives.

L'article premier favorise également le développement du numérique pour atteindre l'objectif de couverture intégrale du pays en très haut débit d'ici 2022 : on recense, à ce jour, environ 300 000 raccordements contre 33 millions de lignes pour le réseau en cuivre d'Orange ; le coût du raccordement final avoisine 200 euros en immeuble collectif et 400 euros pour l'habitat individuel et c'est précisément les modalités juridiques du raccordement qu'il convient de clarifier, surtout dans les lotissements.

Au plan juridique, le volet communication de cet article premier prévoit de sécuriser le pouvoir de sanction de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) : à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 5 juillet dernier qui a annulé le dispositif, l'ARCEP a besoin de retrouver dans les meilleurs délais l'exercice de son pouvoir de sanction dans des conditions qui garantissent le respect du principe d'indépendance et d'impartialité des juridictions.

L'article premier prévoit aussi de simplifier les dispositions du code du travail concernant les obligations des employeurs en matière d'affichage et de transmission de documents à l'administration. Nos collègues députés ont ajouté que cette simplification devait se faire « dans le respect des droits des salariés » et je crois utile d'accentuer encore le trait en prévoyant une procédure consultative sous l'égide du ministère en charge du travail.

Enfin, cet article prévoit la simplification des obligations déclaratives des 100 000 entreprises soumises à la participation des employeurs à l'effort de construction (qui représente 0,45 % du montant des rémunérations).

L'article 2 rassemble des mesures relatives au traitement des difficultés des entreprises. Statistiquement, 60 000 entreprises représentant 245 000 emplois ont fait l'objet d'ouverture d'un redressement judiciaire ou d'une liquidation judiciaire en 2012, tandis, je le rappelle, qu'on recense environ 550 000 créations d'entreprises, en moyenne, chaque année.

L'habilitation vise principalement à favoriser le recours aux mesures de prévention et à faciliter la recherche de nouveaux financements de l'entreprise bénéficiant d'une procédure de conciliation.

Je vous propose de souligner l'enjeu crucial qui consiste à mieux préserver la confidentialité au stade de la prévention des difficultés des entreprises. Dans notre pays, la trésorerie des entreprises repose, en moyenne, à hauteur de 30 % sur le crédit bancaire et à 70 % sur le « crédit fournisseur » et, par conséquent, le moindre signe de vulnérabilité détecté par les fournisseurs peut être fatal. Or la confidentialité qui est censée entourer les mesures de prévention est très difficile à garantir dans les « petits » tribunaux de commerce et c'est pourquoi certains chefs d'entreprises peuvent éprouver des réticences à faire appel aux tribunaux. Certains tribunaux ont mis en place des bonnes pratiques à ce sujet et il conviendrait de les généraliser en créant un numéro vert permettant aux chefs d'entreprise de s'entretenir par téléphone, de façon totalement anonyme et confidentielle, avec des experts de la prévention, comme d'anciens juges consulaires.

Un tel dispositif ne relève pas nécessairement du domaine législatif mais l'occasion est propice à demander au gouvernement de préciser ses intentions sur ce point.

L'article 3 porte sur la simplification de règles qui concernent la vie juridique des entreprises.

Cet article comporte notamment des mesures qui favorisent indirectement le financement des entreprises : la sécurisation du régime des actions de préférence et la clarification de la réglementation applicable aux titres financiers complexes.

Par ailleurs, j'ai porté une attention particulière au régime des conventions réglementées. L'exemple-type est un contrat passé entre une société et un de ses dirigeants : on comprend immédiatement qu'il comporte des risques de conflits d'intérêt et c'est pourquoi le code de commerce prévoit un régime renforcé de contrôle de ces conventions.

Le projet de loi vise essentiellement à exclure du champ de ce régime les conventions qui ne présentent pas de risques : c'est le cas des conventions passées entre une société-mère et une de ses filiales à 100 %.

Inversement, il m'a paru opportun de renforcer le contrôle des autres conventions qui peuvent donner lieu à des abus et je vous soumettrai une suggestion dans ce sens.

L'article 6 porte sur les conditions d'exercice de la profession d'expert-comptable. Il prévoit essentiellement la mise en conformité du statut des experts comptables prévu par une ordonnance de 1945 avec le droit de l'Union européenne en ouvrant des possibilités d'installation aux personnes morales exerçant la même profession dans un autre État membre.

L'article 10 prévoit la modernisation de la gouvernance et la clarification juridique de la gestion des participations de l'État.

Je note que si le dispositif du projet de loi n'est pas très détaillé, l'exposé des motifs reprend presque mot pour mot l'une des principales recommandations faite par notre commission à l'occasion de l'examen des crédits de l'État actionnaire : il s'agit de donner à l'État une plus grande souplesse de nomination au sein des conseils d'administration et de désigner des représentants de l'État issus d'un vivier plus étendu qu'aujourd'hui. Sur ce point précis, l'État ne peut désigner dans le cadre juridique actuel que des agents publics en activité ou retraités de la fonction publique et des dirigeants d'entreprises publiques pour le représenter dans les conseils des entreprises dans lesquelles il détient des participations. En revanche, des agents publics en activité ne peuvent siéger qu'en qualité de représentant de l'État.

Afin de disposer de profils d'administrateurs plus diversifiés, venant notamment du secteur privé, le Gouvernement devra modifier au moins cinq lois. Techniquement, ce n'est pas simple et, ce n'est là qu'un des multiples volets de la modernisation et du toilettage des textes relatifs à la gestion des participations. Après réflexion, il m'a paru plus sage de ne pas risquer d'entraver la tâche du Gouvernement en détaillant et en compliquant à l'extrême le dispositif de l'article 10 tout en parsemant le texte de l'adverbe « notamment ». Cette application du principe de simplicité à nous-même, ne conduit cependant pas du tout à signer « un chèque en blanc » au Gouvernement. D'une part, je souligne que l'exposé des motifs est pris en compte par le Conseil constitutionnel lorsqu'il statue sur la précision de l'habilitation. D'autre part, j'estime souhaitable, plutôt que de rallonger le texte, de délimiter l'habilitation par une borne très claire en précisant qu'elle n'autorise pas le Gouvernement à diminuer le niveau de contrôle de l'État actionnaire dans les entreprises stratégiques relevant de son périmètre. Ce point est parfaitement consensuel puisque l'article 10 a pour objet la clarification du droit applicable aux participations de l'État et non pas la modification des seuils de contrôle. Je vous soumettrai un amendement dans ce sens.

Enfin, je vous en ai déjà dit un mot dans la première partie, l'article 13 du projet de loi prévoit une expérimentation du certificat de projet : selon le même principe que le certificat d'urbanisme, le certificat de projet apporterait au pétitionnaire une garantie de stabilité juridique dans l'hypothèse où il déposerait un dossier de demande d'autorisation dans les 18 mois suivant la délivrance dudit certificat. Cette expérience se déroulerait dans un nombre limité de régions - l'Aquitaine, la Franche-Comté et la Champagne-Ardenne ont été pressenties - et pour une durée n'excédant pas trois ans.

Je conclus cette présentation en vous suggérant d'approuver ce projet de loi d'habilitation :

- d'une part, sous réserve de l'adoption des cinq amendements que je vous ai annoncé avant de vous les présenter en détail ;

- et d'autre part, en assortissant cette approbation de deux remarques auxquelles j'attache une importance particulière. Premièrement, il est essentiel d'associer le Parlement à l'élaboration des ordonnances prévues par ce projet de loi. Il ne s'agit pas de « changer la donne constitutionnelle » mais de perfectionner les pratiques existantes de consultation des commissions parlementaires et de transmission des projets de textes. En second lieu, j'insiste sur la nécessité de respecter le rythme des réformes prévu aux articles 18 et 19 du projet de loi et, si possible de l'accélérer. En effet, si ce rythme n'est pas significativement plus court que celui de la procédure législative de droit commun, la raison d'être de l'habilitation qui est de répondre à une urgence économique, en serait fragilisée.

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