Intervention de Arnaud Montebourg

Commission des affaires économiques — Réunion du 3 décembre 2013 : 1ère réunion
Politique industrielle — Audition de M. Arnaud Montebourg ministre du redressement productif

Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif :

Les 34 plans industriels lancés en septembre dernier s'inscrivent dans une démarche qui vise, depuis 18 mois, à replacer la question productive et industrielle au centre de l'action politique.

Les premières étapes de concrétisation de ce choix politique en faveur de l'industrie ont été le rapport Gallois et le pacte de compétitivité pour l'industrie française. Les premiers effets en apparaîtront dans les semaines qui viennent. Le crédit d'impôt sera en vigueur au 1er janvier prochain. La quasi-totalité des 35 mesures du pacte sont déjà appliquées, qu'il s'agisse du concours mondial de l'innovation, de la marque France ou de la politique de filières.

Pour élaborer les 34 plans, nous avons travaillé de manière originale. Comment mener avec succès une politique étatique dans un univers ouvert, marqué par une déferlante technologique au niveau mondial ? Notre réponse a été de mobiliser l'industrie elle-même. Nous sommes partis de la vision de terrain portée par les industriels. Nous les avons interrogés sur leurs projets, sur leur vision du développement, sur les opportunités de croissance qu'ils identifiaient. Ainsi, alors que la filière automobile est divisée depuis un siècle, nous avons réussi à réunir les constructeurs et les équipementiers, PSA, Renault, Valéo, Faurecia, Plastic Omnium, Michelin et à leur faire partager un diagnostic et des pistes de reconquête.

L'automobile, autrefois instrument de liberté, est devenue un esclavage financier et technique. Embouteillages, amendes, coûts de l'essence, des assurances : pour les jeunes générations, l'achat d'une voiture est devenu secondaire. De nouvelles pratiques se développent, comme l'autopartage. Le salut pour l'industrie viendra de l'innovation : les voitures à moins de deux litres au cent, les bornes électriques de recharge, les véhicules à pilotage automatique, les programmes d'autonomie et de puissance des batteries...

Notre démarche est mercantiliste, c'est-à-dire colbertiste, et je le revendique malgré les critiques ! Nous cherchons à développer la capacité de la France à vendre le travail national le plus cher possible. Nos plans industriels visent à augmenter les parts de marché mondial de nos producteurs.

Nous avons travaillé sur les frontières technologiques, écologiques et sociologiques auxquels se heurte la compétitivité française. Nous devons progresser en matière de réalité augmentée, d'objets connectés, de supercalculateur, de robotique, de nanoélectronique. Nous devons nous libérer de notre dépendance aux hydrocarbures qui porte atteinte à notre souveraineté : c'est la nouvelle frontière d'aujourd'hui ! Les plans de rénovation thermique, l'amélioration de la mobilité par avion, bateau, train vont en ce sens. Enfin, nous devons tenir compte des évolutions sociétales. Les manières de se loger, d'apprendre, de se soigner changent. L'e-éducation, l'hôpital numérique offrent des opportunités d'avenir.

Dans chaque plan, nous avons procédé de la même manière : coaliser des intérêts convergents afin d'aboutir à des diagnostics et des solutions partagés. Nous avons uni des forces autrefois divisées : tous les plans réalisent des alliances entre public et privé et font travailler des acteurs aux profils divers, PME et grandes entreprises, laboratoires publics et centres de recherche privés, investisseurs privés et financeurs publics.

Nous avons lancé un appel d'offres portant sur la mesure - nous voulions qu'elle soit effectuée par un acteur extérieur - des créations d'emplois potentielles liées aux projets apportés par les filières. Le cabinet McKinsey a été retenu au grand dam de certains. Un anglo-saxon, horresco referens ! Moi je m'en réjouis car il est intéressant de confronter notre vision hexagonale avec celle des artisans de la mondialisation. Finalement, nos analyses convergent sur les moyens à utiliser pour reprendre des parts de marché. McKinsey estime qu'à conjoncture macroéconomique constante, les mesures en faveur de l'innovation et des nouvelles technologies pourraient créer 470 000 emplois et 45 milliards d'euros de valeur ajoutée en France et 17 milliards d'exportations supplémentaires... Ce qui compenserait une partie des 750 000 emplois perdus en dix ans du fait de l'obsolescence et du sous-investissement.

Nous menons en parallèle une politique horizontale et des politiques sectorielles afin de reconstruire une offre industrielle offensive et productive. Le président Pompidou a mené avec succès une politique industrielle qui a été entièrement étatique et administrative comme le raconte Bernard Esambert dans ses Mémoires. Le président était le vrai ministre de l'industrie ! La conjoncture était différente et l'ouverture internationale de l'économie bien moins engagée.

Nous avons choisi, infidélité aux leçons de l'histoire, de confier le pilotage de la plupart des plans à des industriels des secteurs concernés. L'administration est placée à l'arrière, nous avons préféré laisser les rênes à des acteurs privés ayant un intérêt direct à la réussite des plans afin d'éviter l'enlisement. Nous avons fait face à un afflux de candidatures au point que j'ai dû départager des concurrents, parfois au détriment des grands groupes, en expliquant que les 34 plans n'étaient pas le CAC 34. Ces choix d'équilibre visent aussi à éviter la constitution de monopoles. J'ai privilégié les PME et les start up. Celle qui est choisie a pour mission d'associer les autres : un esprit coopératif doit régner entre des entreprises concurrentes.

Comme je le dis avec un peu de provocation à Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, ou au Commissaire européen à la concurrence Joaquin Almunia, ma politique industrielle consiste à organiser l'entente et la coopération qu'ils veulent précisément interdire. Mais ils sont nommés, tandis que je suis élu. J'ai la légitimité politique pour moi ! Il faut éradiquer la bruxellose. Les libéraux nous enseignent que la meilleure politique est l'impuissance politique, nous essayons de démontrer au contraire que l'État peut beaucoup. Sans lui, nous nous sentirions bien seuls.

J'ai évoqué des exceptions au pilotage privé, les voici. Le plan autonomie et puissance des batteries, parce que c'est un domaine où persistent des divergences sur la meilleure technologie, a été confié au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), garant de la neutralité ; celui sur les bornes électriques de recharge a été confié à un préfet hors cadre, M. Francis Vuibert. En matière de nanotechnologies, le CEA et la société franco-italienne STMicroelectonics travaillent ensemble. Enfin, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information est responsable du plan sur la cybersécurité.

Pour en terminer sur la méthodologie, nous travaillons actuellement à l'élaboration de feuilles de route, en associant tous les talents locaux. Pas moins de 500 personnes du secteur privé collaborent avec mon administration. J'ai réuni les présidents de région afin qu'un travail d'identification des entreprises à moderniser soit mené. Nous souhaitons agréger ces entreprises dans le cercle d'action commun, pour les aider.

Je voudrais conclure en abordant le 34ème plan, usine du futur, l'un des plus originaux. Les entreprises françaises ont perdu la course à l'innovation faute de marges suffisantes pour investir. Nous souhaitons une mobilisation humaine, technique et technologique à l'échelle régionale pour moderniser rapidement l'appareil productif des PME. Notre idée est d'agir sur un modèle différent de celui du contrat de plan. Nous avons demandé à Dassault Systèmes, entreprise considérée par Forbes comme plus innovante que Google, au troisième rang mondial sur son marché et bientôt au premier, et à FIV, entreprise de machine outils et de robotique, de nous aider : comment rendre les usines flexibles, réactives, avec des machines polyvalentes, adaptables ? Il appartiendra aux régions de mettre en oeuvre ce plan, en particulier de détecter les 1 000 ou 2 000 entreprises qui ont besoin de se moderniser. Nous solliciterons les fonds européens pour sa réussite. Voilà, à grands traits, les principes et les axes de ces 34 plans.

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